J.-L. Ducasse, 1 Samuel 17

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  • Le récit dans la perspective du corps qui vient.
Une tradition de lecture

Chez les chrétiens le livre, la Bible, le corpus biblique ajoute au premier testament hérité de la tradition judaïque le second : les quatre Evangiles, les Actes des Apôtres, les lettres apostoliques et l’Apocalypse. L’articulation entre l’un et l’autre testaments se dit en termes d’accomplissement ou d’achèvement. Ce qui ne signifie pas que le second testament rendrait caduc le premier, qui resterait là comme pour mémoire. La bible chrétienne est inséparablement l’un et l’autre testaments Les deux restent à lire et la liturgie chrétienne l’atteste qui les offre en perspective à la lecture dans l’assemblée eucharistique depuis toujours. Les Ecritures ne s’accomplissent pas dans une idée, une théorie, un simple enseignement mais dans un corps, celui de Jésus Christ. Celui-ci s’est manifesté en effet comme fils unique. La naissance de ce fils d’homme, est reconnue comme celle qui fut annoncée par les prophètes,en particulier sous les vocables de fils de David, surgeon de la souche de Jéssé… Mais quand l’évangile dit à propos de ce qui arrive à Jésus qu’ainsi s’accomplissaient les écritures, ce n’est pas non plus la réalisation point par point de ce qui aurait été auparavant, prédit, et décrit dans les détails et qu’il n’y aurait qu’à constater.

C’est même un changement considérable de point de vue qui s’accomplit. Ainsi que l’écrit Jean-Pierre Duplantier : « La venue dans le monde, en lieu et place du Messie, de cet homme en qui le verbe se fait chair le Verbe de Eternel qui inspire les Ecritures est une révolution considérable. (…) Avec la révolution christique, les hommes peuvent envisager que ce ne sont pas les idées qui mènent le monde, mais que c’est ce qui se trame dans le corps des hommes autour de cette voix inconnue qui travaille leur chair ».   (J-P.Duplantier. Cours biblique n°2 novembre 2004)

Ainsi l’apôtre Paul écrira dans la lettre aux Ephésiens : « Ce mystère, Eternel ne l’a pas fait connaître aux hommes des générations passées comme il vient de le révéler maintenant par l’Esprit à ses saints apôtres et prophètes : les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, associés à la même promesse, en Jésus Christ, par le moyen de l’Evangile. (Ephésiens 3, 5 – 6)

Le corps dont parle Paul (ici dans la lettre aux Ephésiens, et de façon développée dans la 1° lettre aux Corinthiens) n’est pas à prendre comme une métaphore. Il renvoie au corps glorieux du Christ ressuscité qui attirera tout à lui. Cela laisse entendre que notre corps actuel, expérimenté, que nous avons tendance à prendre pour le corps réel (et c’est peut-être ce qui nous rapproche le plus du Philistin) est figure d’un corps en gestation, d’un corps promis. Ce qui fait dire à Paul que la création qui gémit dans les douleurs d’un enfantement.

Alain Dagron invite à remarquer avec plus de précision que l’effet majeur de l’Evangile du Christ est d’attirer et de rassembler tous les restes portant la marque du Fils, lorsque les événements de chez nous ont fait leur travail.

C’est cette perspective qui inspire pour moi la lecture de l’épisode que nous venons de lire.

         Jésus fils de David.

On retrouve en effet en Jésus tous les traits que l’histoire de David commençait à articuler en laissant ouverte l’énigme.

Dans l’évangile Jésus sera appelé Christ et fils de David, il se présentera lui-même comme le bon berger, qui conduit des brebis qui ne sont pas les sienne, les arrache à ceux qui veulent les tondre, au prix de sa vie…il les conduit… il en fait un seul troupeau rassemblé par un seul pasteur.

La reconnaissance de sa filiation davidique n’empêchera pas que l’on se demandera de qui il est le fils. Lui-même laissera entendre qu’une filiation peut en cacher une autre. Ainsi il posera la question à ses interlocuteurs à propos du Christ : « comment peut-on dire que le Christ est fils de David puisque David lui-même l’appelle son Seigneur, ainsi qu’il est dit au livre des psaumes : « le Seigneur a dit à mon seigneur, siège à ma droite jusqu’à ce que j’ai fait de tes ennemis un escabeau pour tes pieds. » au moment même où ils s’interrogent sur le devenir du corps dans la perspective de la résurrection. Quand on lui reproche de se dire fils de Dieu, il demande que soient reconnues accomplies par lui des œuvres qui désignent son Père et le désignent comme fils. Qu’est-ce donc qu’être fils ? Reconnaître que l’on doit quelque chose de sa vie à un père. Mais qu’est-ce qu’un père si ce n’est quelqu’un qui représente autre chose que lui-même et qui croit en ce qu’il représente. Jessé n’est-il pas un père à cette manière… Alors un fils pourrait-il aussi signifier pour son père ce qui s’accomplit en l’humain et qui le dépasse, qui dépasse l’humain parce que c’est œuvre du Dieu qui le façonne à son image et à sa ressemblance ?

         Le corps qui récapitule tout en lui

Dans la lettre aux Ephésiens, « L’éternel a fait reconnaître sa volonté de tout récapituler dans le Christ à la plénitude des temps. » Le mot traduit par récapituler comprend bien, dans le grec original la racine képhalé : tête. Mis en perspective avec l’épisode de la décapitation du Philistin, c’est intéressant. Il s’agit de trouver enfin la vraie tête pour des corps qui est assurément en manque cruel de principe d’unité. D’autre part, dans l’évangile, un corps qui tombe la face contre terre, c’est tout sauf une catastrophe pour lui, dès que c’est en présence de Jésus. C’est un corps qui va être envisagé autrement. Le corps du champion, qui se disait « le Philistin », ce corps qui se donne comme totalisant son peuple et tendant à mettre les autres à son service est une c’est une figure tordue, une défiguration du corps promis.

Les rencontres que fait Israël au cours de sa longue pérégrination sont souvent difficiles, occasion de peurs, de souffrances, d’épreuves. Elles ne sont jamais banales. La promesse demeure d’une seule chair vers laquelle il va, et sans doute bien d’autres avec lui.

         Une autre manière d’envisager nos combats

            Ce récit de 1 Sam 17, je l’ai lu à ma manière en essayant d’être fidèle au mode de réception des Ecritures que l’on m’a enseignés dans la tradition chrétienne. Il demeure pour nous tous, un héritage, c’est-à-dire ce qui fait de nous des fils. Il demeure une promesse qui nous invite à espérer. Et je crois qu’il ouvre la perspective d’un corps en lequel nos blessures trouvent un soin.

Comment cela se manifeste-t-il dans l’engagement de nos corps dans les combats de la vie ? Et dans le choc de nos paroles balancées parfois comme des imprécations ? Quand nous caricaturons le réel et nous lançons des défis. Quand le déni du réel et l’oubli du symbolique nous engagent dans un imaginaire débridé. Ou encore quand nous laissons l’irruption de l’éternel toucher nos corps et qu’ils parlent en révélant la face ignorée de nos combats où il est à l’œuvre.

La lecture demeure un de ces moments où la parole fait son œuvre en nous et entre nous. Les Ecritures demeurent à lire, pour tout homme qui veut bien s’en approcher. S’il est vrai que c’est dans le corps qu’elles achèvent au prix de la blessure, ce qui compte c’est de garder ouverte cette blessure. Ainsi, nous sommes sans cesse au travail comme les enfants du laboureur, confiants que ce travail de lecture dont nous ne nous lassons pas est un trésor.

Je termine en m’inspirant d’un hymne. Eternel qui nous brûle le cœur   Au carrefour des écritures,   Ne permet pas que leur blessure   En nous se ferme.   Tourne nos sens à l’intérieur   Force nos pas à l’aventure   Pour que le feu de ton bonheur   A d’autres prenne.