Comment lis-tu en catéchèse ? J-L Ducasse

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1.3. Troisième alerte : un montage de textes et d’images conduit les enfants

1.3.1. Association de péricopes par un thème commun

La lecture de Luc 4, 14-30, n’est pas isolée dans le parcours, qui propose aux enfants pour la même rencontre, comme en complément, cinq autres brefs passages de Luc, choisis en fonction du thème retenu. Nous citons le livre de l’animateur :

Luc montre aussi que les paroles et les actes de Jésus ont scandalisé les maîtres de la religion juive, provoquant de leur part une forte opposition (…)

  • Jésus guérit un homme le jour du sabbat (…)
  • Les guérisons par Jésus sont toujours signes d’une réalité plus profonde (…) la guérison du paralysé témoigne du pardon des péchés (…)
  • Jésus mange et boit avec les publicains et les pécheurs, il accueille aussi les enfants (…)   en accueillant ainsi les petits et les exclus, Jésus indique que sa mission et donc la Bonne Nouvelle s’adresse à tous.

Alors que dès le prologue, l’évangile de Luc mettait en évidence l’importance du « récit ordonné » pour que le lecteur puisse « vérifier la solidité des enseignements reçus », le parcours catéchétique défait cet ordre en découpant des péricopes, ici et là pour les rapprocher. Il en substitue un nouveau en proposant la lecture de l’opposition des juifs en lieu et place des parcours figuratifs proposés par le cours même du texte évangélique. C’est l’évangile qui est cité, mais la nouvelle mise en perspective des passages découpés en détourne le mouvement.

1.3.2. Substitution d’une bande dessinée aux textes associés.

De ces passages associés, seules les références sont citées. Les textes sont évoqués par cinq dessins faisant séquence. Chaque dessin comporte comme seul élément du texte évangélique (sous forme de bulle sortant d’un personnage) une parole de Jésus et la réplique de ses opposants. Ceci à l’exception du dernier texte cité où seule paraît la parole de Jésus : laissez venir à moi les petits enfants. En effet l’opposition vient en ce dernier cas des disciples de Jésus et non des autorités religieuses des juifs. On comprend qu’il ne soit pas conforme au propos de la citer.

Texte cité

Paroles de Jésus

Paroles de ses opposants

Luc 6, 6-11

Lève-toi, étends la main

Il guérit les malades même le jour du sabbat

Luc 5, 27-32

Je suis venu appeler non pas les justes mais les pécheurs pour qu’ils se convertissent

Il mange et il boit avec les publicains et les pécheurs.

Luc 5, 17-26

Tes péchés te sont pardonnés

Il dit des blasphèmes : Dieu seul peut pardonner les péchés.

Luc 7, 36-50

Tes péchés te sont pardonnés. Ta foi t’a sauvée, va en paix !

Si c’était un prophète, il saurait que cette femme est une pécheresse

Lc 18, 15-17

Laissez les enfants venir à moi. Le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent.

 

1.3.3. Rapprochement de scènes de l’évangile et de la vie des enfants.

Du texte cité et explicitement reproduit de Jésus à la synagogue de Nazareth, le parcours est passé à d’autres textes dont est donnée la référence et qui sont représentés par des dessins, qui font séquence. En page suivante, sous le titre : « ça fait réagir », viennent d’autres dessins présentant des scènes de vie d’enfants. Il s’agit alors d’attention, consentie ou refusée, envers des handicapés, des prisonniers, des enfants à accompagner à la messe, des camarades d’école mal habillés ou mauvais en classe. Bref de situations dans lesquels sont confrontés ceux qui se font proches des autres et ceux qui ne le sont pas. « Et toi, réagis aussi. Invente la suite de ces dialogues » est-il demandé au lecteur.

Par glissements successifs, le parcours fait passer de la présentation d’un texte biblique à une lecture guidée de type explicatif puis à un discours moralisateur [8], invitant l’enfant, non à lire, mais à produire une actualisation édifiante du texte.

2. Luc 4, 14-30, dans la liturgie dominicale

Puisque le parcours catéchétique que nous venons d’observer se veut inscrit dans la perspective de la liturgie eucharistique dominicale, voyons donc comment celle-ci nous offre le texte en question [9].

Deux libertés prises dans le découpage du texte et sa présentation attirent l’attention :

2.1. Un texte coupé en deux, effets prévisibles

Le texte est présenté en deux morceaux, répartis sur deux dimanches successifs : les troisième et quatrième dimanches ordinaires de l’année C. On peut regretter que cette coupure empêche d’accueillir en son entier l’épisode. Toutefois son mérite est de souligner l’importance de l’accomplissement des écritures, cité en fin de premier épisode et de nouveau en début du second. Comme si la liturgie invitait à entendre d’abord Jésus annoncer, en lieu et place de la simple lecture du prophète, l’accomplissement de la parole, aujourd’hui ; puis, après une pause, de l’entendre à nouveau annoncer cet accomplissement pour mettre l’accent sur les réactions de ses auditeurs et le rebondissement de sa parole. Reste aux pasteurs et liturgistes de faire en sorte que, d’un dimanche à l’autre le premier épisode fasse attendre le second, et que le second rappelle le premier.

La coupure est cohérente avec cette organisation acteur-temps-espace unique dans toute la bible : cet instant, dit aujourd’hui de l’accomplissement, où tout semble inviter au suspens :

  • l’acteur, Jésus distingué de tous : assis, dans une relation privilégiée au texte biblique, les regards de tous fixés sur lui :
  • le temps : aujourd’hui de l’accomplissement de la parole de l’Ecriture :
  • l’espace de la synagogue de Nazara.

Un acteur, ici et maintenant, aux dimensions inattendues. Cela méritait un point d’orgue. Faire une pause en ce point du texte permet de se poser des questions !

2.2. Le prologue de Luc en introduction : retour d’énonciation

Dans la liturgie du 3° dimanche, où nous est donnée la première partie du texte, elle est précédée du prologue de l’Evangile de Luc.

plusieurs ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui, dès le début, furent les témoins oculaires et sont devenus les serviteurs de la Parole. C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après m’être informé soigneusement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi, cher Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as reçus.

Pourquoi ce retour en arrière ? Il n’éclaire aucunement le lecteur sur le « contexte » de l’événement. Mais c’est le rappel de la première marque d’énonciation de cet évangile. C’est une histoire entre toi et moi que l’on peut entendre comme une relance du lecteur, lui rappelant ce qu’il lui revient de faire de ce texte. Ce texte est écrit pour toi, lecteur, à toi de te faire une opinion, toi qui as déjà entendu parler de Jésus !   On peut y voit une sorte de règle de la transmission évangélique [10] ; les témoins oculaires deviennent serviteurs de la parole et leur service permet à ceux qui en bénéficient de vivre à leur tour pleinement les événements transmis. Il s’agit moins de faits dont la narration serait transmise que d’une expérience à laquelle le lecteur est invité. Et si le récit est ordonné, c’est qu’il y a des points de passage. La liturgie semble nous indiquer que celui là est capital. Il interroge chaque lecteur dans sa propre expérience de l’évangile

Introduire le prologue de Luc en ce lieu c’est y placer un dispositif préparant un sujet lecteur à se laisser toucher à son tour par l’intervention de Jésus comme parole vive. C’est intéressant de mettre ce dispositif d’énonciation en perspective avec celui de la première lecture du livre de Néhémie, donnée en ce 3° dimanche ordinaire [11].

Esdras ouvrit le livre ; tout le peuple le voyait, car il dominait l’assemblée. Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout. Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand, et tout le peuple, levant les mains, répondit : « Amen ! Amen ! » Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur, le visage contre terre. Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu, puis les lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre.

Dans ce dispositif de lecture, Esdras lit, puis la lecture est suivie d’explications. Le peuple est amené à réagir comme un seul homme. Dans l’Evangile de Luc, la lecture est précédée par ce qui va permettre la juste implication du lecteur. Nous trouvons bien, dans l’Evangile, une série d’intermédiaires mais leur fonction n’est pas la même que dans le livre de Néhémie. Ces intermédiaires renvoient davantage chacun à l’expérience personnelle de la rencontre de Jésus, de l’accueil de sa parole. Dans l’Evangile, Jésus désormais prend la place de l’écriture. Il s’adresse à ceux qui veulent bien se reconnaître pauvres, prisonniers, aveugles, opprimés… Et à ceux-là même qui résistent il continue de s’adresser pour peu qu’ils veuillent bien entendre en tel homme ou femme non issu d’Israël l’action du Dieu qui sauve. Le rappel des prophètes Elie et Elisée revient là non comme un désaveu mais comme le témoignage de ce que Dieu peut faire en chaque être humain qui reconnaît sa pauvreté et croit à sa manifestation dans son peuple.

2.3. Luc, catéchète

Luc évoque « les enseignements (catéchetes logon) que tu as reçus ». Le terme employé est celui qui a donné : catéchisme, catéchèse. Il signifie l’écho de la parole en quelqu’un : ce qui a résonné en toi. Une catéchèse n’est pas un exposé systématique.

De plus, Luc propose un récit ordonné. N’y voyons pas la marque d’une argumentation rhétorique mais un parcours de figures dont il convient au lecteur de suivre les étapes. Luc n’argumente pas pour convaincre, il donne des éléments pour une activité libre de sa lecture : reconnaître la solidité des paroles reçues.

Il est regrettable de ce point de vue que le parcours catéchétique abordé précédemment n’ait pas retenu le texte tel que la liturgie le présente. D’une part, en omettant le prologue (ne serait-ce que pour la lecture des animateurs) il perd le bénéfice de ce retour à l’énonciation de départ, qui est proprement catéchétique. D’autre part en remplaçant la citation des prophètes par un résumé réducteur, il ne renvoie pas le lecteur à sa propre pauvreté, comme lieu de la réception de la parole de liberté du Fils, mais à un regard rétrospectif et moralisateur.

L’introduction de la lecture : commencement de l’Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc le rappelle : nous sommes à un commencement ! En ce chapitre 4°, attention, lecteur, le commencement fait retour. L’accomplissement est un commencement. Tu ne recevras ce commencement s’accomplissant en Jésus que si quelque chose de cet ordre s’accomplit en toi, aujourd’hui, dans l’instant de ta lecture, de l’écoute de la Parole ! [12]