Comment lis-tu en catéchèse ? J-L Ducasse

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4. Proposition de lecture avec un groupe d’enfants

Aucun parcours de catéchèse ne saurait être parfait. La proposition présentée ci-dessous n’a pas non plus cette prétention. Nous nous risquons à concevoir un temps de catéchèse [16], centré sur la lecture du texte Luc 4, 14-30 prenant en compte les étapes précédentes de cet article :

  • observation critique du parcours catéchétique.
  • examen de la proposition de la liturgie dominicale.
  • éléments de lecture basés sur l’observation des figures.

4.1. Le texte, son découpage, la journée de catéchèse.

Le parcours catéchétique analysé visait à favoriser le rapport entre catéchèse et célébration dominicale. Nous conservons cette option.

Nous adoptons la traduction liturgique du texte [17]. Bien sûr le texte est restitué dans son intégralité.

Nous retenons aussi le découpage en deux séquences : Cela correspondra à deux temps de lecture répartis dans la même journée avec les enfants. Nous gardons ainsi le bénéfice du découpage sans perdre celui de l’intégralité du texte dans le même temps-fort de catéchèse [18]. Le matin nous lisons Luc 4, 14-21. L’après midi nous lisons Luc 4, 21-30.

Pour la préparation préalable avec des catéchistes nous gardons également la citation du prologue (Luc 1, 1-4), telle qu’elle introduit l’évangile du 3° dimanche ordinaire de l’année C. Cela permet d’observer de près l’énonciation et la catéchèse telles qu’elles se présentent dans le contrat de départ du texte.

4.2. Des balises pour la lecture

4.2.1. La juste place des animateurs

Animer la lecture avec les enfants suppose d’avoir lu le texte entre animateurs. Cela non pour imposer aux enfants la bonne lecture (la nôtre !), mais pour repérer des articulations du texte qui donnent des indications pour sa visite. La question de la juste place de l’animateur dans la lecture se pose de façon spécifique quand il s’agit d’enfants. L’animateur est pris entre le respect du texte et la prise en compte de ce que l’enfant, les enfants peuvent entendre, ou plus exactement de ce qu’il pense qu’ils peuvent entendre. Le pari que nous faisons est qu’ils peuvent entendre à leur mesure le texte tel qu’il est. Faire droit à leurs questions sur le sens des mots, par exemple : l’onction, est nécessaire. Se laisser entrainer dans une explication de texte serait tourner le dos à la lecture. Lecteurs avec eux, les animateurs travaillent à ouvrir l’espace commun de la lecture pour qu’elle porte son fruit.

Cela suppose de leur part d’accepter de ne pas se croire obligés de ramener au vraisemblable les anomalies du texte. Par exemple le côté apparemment caractériel de Jésus qui, au lieu de s’expliquer, semble chercher le conflit, ou encore la violence extrême de ses interlocuteurs, ou encore le détail plus technique de l’absence de lecture de la part de Jésus. C’est par ses anomalies que le texte nous déloge de notre excès de connaissance et de notre désir de maîtrise pour nous mettre à la lisière de l’inconnu, de l’inouï, de l’invisible.

Ce travail vise à donner aux animateurs un minimum d’indications leur permettant de ne pas laisser la lecture s’égarer au gré des associations qu’enfants et adultes seront tentés de faire à partir de telle ou telle figure, mais de les aider à suivre les enchaînements que le texte offre à leur observation puis à leur interprétation. S’il est vrai que celui qui ignore les Ecritures ignore le Christ [19], suivre le Christ comme un disciple, passe par le respect des enchaînements propres au texte plutôt que d’errer sous l’empire de nos idées chères ou de nos fantasmes.

Alors peuvent se produire des effets inattendus. Une manière de penser paraît soudain inepte face à ce que la lecture fait apparaître, et l’on s’en sépare. Une perspective s’ouvre dans la relation au Christ. Parfois le corps est touché : alors vient la crainte, la torpeur, la joie, ou encore la colère comme dans le texte que nous lisons… Le plus souvent on n’a pas conscience de ce que la lecture a bougé en nous et dans les enfants. Avec le temps cela porte son fruit.

Le travail préparatoire dont nous donnons quelques éléments ici est toujours à reprendre. Chaque lecture est neuve. Ce que nous en relatons n’est à considérer que comme un moment d’une lecture particulière et non comme le passage obligé de toute lecture du texte considéré.

4.2.2. Eléments d’observation retenus

Bien sûr ce que nous avons dégagé aux chapitres précédents en revenant sur le texte après critique du parcours catéchétique analysé est à prendre en compte. Considérant cela comme acquis, nous nous en tenons ici à présenter un découpage du texte en séquences, et à suggérer l’observation des chaînes signifiantes.

Le découpage en séquences va aider à progresser par étapes dans la lecture avec les enfants, en leur donnant à observer successivement des unités de sens cohérentes. Ce sont des unités d’espaces-temps-acteurs. L’animateur de la lecture passera de l’une à l’autre en temps opportun. On n’épuisera jamais ce qu’offre chaque séquence. Et le but de l’opération n’est certainement pas de notre part de dire tout ce que nous avons vu nous-mêmes, mais d’accompagner la lecture en confrontant leurs réactions au mouvement du texte. L’une ou l’autre des observations suivantes pourra aider cette progression.

4.2.2.1.  Tableau initial : entrée en scène de Jésus. (Lc 4, 14-16a)

Jésus revient en Galilée, mais pas seul : avec la puissance de l’Esprit. Sa renommée se répand dans toute la région, dans les synagogues des juifs où il enseigne tous font son éloge. Dans le cadre de sa région où il revient, tout lui est apparemment très favorable. Le texte va encore concentrer l’action en un lieu plus précis : Nazareth, le lieu où Jésus a grandi, et de Nazareth, la synagogue. Que va-t-il se passer quand Jésus va intervenir en ce point précis de l’espace ?

4.2.2.2. A la synagogue 1 : la parole de Jésus et son amont. (Lc 4, 16b-21)

Cette séquence prépare la parole de Jésus. On peut y distinguer trois éléments.

Le déroulement de la liturgie : le texte prend le temps de le détailler (gestes, déplacements, rôles, objets). On gagnera à s’attarder avec les enfants sur la série des gestes et leur enchaînement, ce qui mettra en évidence l’effet de zoom sur Jésus (la relation : tous/un) mais aussi le chaînon manquant : le texte ne précise pas que Jésus lit ! (sa manière d’intervenir dans la liturgie ne serait pas à confondre avec celle du lecteur habituel, qu’il fut probablement auparavant). Au lieu et au temps du rite, généralement répétitif, il se passe quelque chose d’inhabituel, d’inédit.

Le passage d’Isaïe que trouve Jésus : il présente une histoire de consécration et d’envoi. On fera encore préciser aux enfants la série des choses dites sur celui dont parle ce texte mais aussi la série des bienfaits surprenants qu’il est envoyé annoncer.

De qui cela peut-il parler, tant du côté de l’envoyé que des destinataires ?

La prise de parole de Jésus : elle annonce l’accomplissement de l’écriture à leurs oreilles [20] Elle l’annonce dans ce cadre de la synagogue de Nazareth, les regards de tous ses compatriotes fixés sur lui, ce jour de Sabbat. C’est un condensé exceptionnel du point de vue espace-temps-acteurs.

Au passage nous avons relevé trois énigmes. Dans la liturgie, c’est l’absence de lecture de la part de l’acteur Jésus. Dans le passage d’Isaïe, l’identité, non déclarée, de l’acteur disant : l’esprit de Dieu repose sur moi demeure disponible. Dans la prise de parole de Jésus qu’est-ce donc que l’accomplissement de l’écriture ?

Certes on voit bien que ces trois éléments ne sont pas étrangers les uns aux autres, mais ils ne sont pas articulés en une démonstration. Jésus se garde bien de dire : c’est moi que l’esprit de Dieu a consacré par l’onction. C’est au lecteur qu’il revient de construire la relation entre les éléments qui permet leur interprétation.

Vais-je reconnaître en Jésus celui qui a reçu l’onction ? En son corps l’écriture serait-elle en train de s’accomplir à mes oreilles ? Mais alors, c’est d’une audace inouïe ce qu’il dit là ! Mais pour l’entendre, il me reste à me reconnaître en ces pauvres auxquels est portée la Bonne Nouvelle, en ces prisonniers qui se voient annoncer qu’ils sont libres. Ou encore me faudra-t-il admettre que je suis aveugle et qu’il m’annonce que je verrai la lumière, opprimé et que je serai libéré… ? Là où j’avais l’habitude d’entendre lire une écriture vais-je entendre désormais, ici, maintenant, un corps parlant, me parlant ?

On peut terminer la lecture de cette séquence en demandant aux enfants : comment pensez-vous que les gens vont réagir à ce que Jésus vient de leur dire.

4.2.2.3. A la synagogue 2 : la parole de Jésus et son aval [21]. (Lc 4, 21-28)

Sur l’ensemble de cette séquence, Les enfants noteront le changement progressif de ton d’abord chez les auditeurs, puis de la part de Jésus, enfin dans la réaction violente des gens de la synagogue. On pourra se demander comment la relation se transforme et ce qui est en jeu. Nous distinguons trois temps : les réactions et commentaires des gens de la synagogue, la réponse de Jésus (elle-même comportant deux points), et la très vive réaction de ses auditeurs.

  • a. Les réactions et commentaires des gens de la synagogue.

On observera le passage des auditeurs de Jésus de l’émerveillement et du témoignage au questionnement sur son identité : « n’est-ce pas là le fils de Joseph ? ».

La forme interro-négative ne laisse guère la place à une autre identité que celle de fils de Joseph. Dans ce cas la question de la filiation est close. Ce que la parole de Jésus laissait entendre (en se gardant bien de le dire formellement) à ses auditeurs de l’onction de l’esprit reposant sur lui et de sa filiation divine est aboli.

  • b. La réponse de Jésus.

Elle est en deux points. Dans le premier Jésus semble deviner ce que vont dire ses compatriotes et l’exprime au moyen de la figure du médecin. Curieuse manière de dialoguer que de dire aux interlocuteurs ce qu’ils vont vous dire ! Mais peut-être ont-il besoin que soit révélé ce qu’ils ont sur le bout de la langue sans en avoir conscience. Qu’attendent-ils de Jésus, sans oser (se) le dire ? De profiter de façon privilégiée de ses dons pour restaurer leur santé, entretenir leur quotidien ?

Dans le second point Jésus abandonne la figure du médecin, qui visiblement ne lui convient pas, pour s’inscrire dans la lignée des prophètes [22]. Il met alors en relation la résistance des gens de son pays avec l’envoi des prophètes à une femme, puis à un homme, hors Israël.

On observera la série de différences entre

  • une femme veuve à Sarepta de Sidon, et beaucoup de veuves en Israël
  • un homme lépreux, Naaman, un syrien, et beaucoup de lépreux en Israël

La différence, qui n’est pas nécessairement opposition porte non pas sur

  • étranger versus Israël,                                                mais sur :
  • un(e )dans tel pays hors d’Israël versus beaucoup en Israël
  1. c. La vive réaction des auditeurs de Jésus

Pourquoi sont-ils «tous furieux » ? Ils semblent ne réagir que collectivement, gardiens jaloux des bienfaits du Seigneur comme privilège, voire monopole d’Israël (ce qui va avec la revendication d’obtenir du médecin un soin privilégié pour son pays).

Ne pourraient-ils pas entendre autrement l’envoi et l’action de Dieu hors Israël ? Non comme désaveu ni rejet d’Israël et de ses fils, mais comme le témoignage d’une sollicitude de Dieu pour tout être humain, considéré dans sa personne au lieu de sa blessure, jusqu’à envoyer à chacun(e) non seulement ses prophètes, mais son Fils.

4.2.2.4. Tableau final : Sortie de scène de Jésus (Lc 4, 29-30)

Jésus, en début de texte revient en Galilée, puis vient à Nazareth., accompagné de renommée et des éloges de tous, avant d’entrer dans la synagogue. En fin de texte, il se fait sortir de la ville par tous les gens furieux de la synagogue, et mener jusqu’à un escarpement de la colline où la ville est construite, pour le précipiter en bas.  

On observera l’écart entre le tableau initial et le tableau final. Peut-on dire que Jésus a réussi sa première prédication dans son pays ? Et si cet affrontement de celui qui sera plus tard crucifié – avant de ressusciter le troisième jour- était nécessaire pour faire libérer ses concitoyens captifs de leur propre ville, opprimés par une vision étriquée de leur appartenance à Israël, quitte à faire apparaître à leurs yeux aveuglés la violence cachée qui les habite. Alors, oui, la prophétie d’Isaïe s’accomplirait effectivement pour eux, dès aujourd’hui !

« Jésus, passant au milieu d’eux, allait son chemin ! » Il est entré précédé de renommée et d’éloges, il sort dans l’opprobre. Mais il ne sera pas précipité en bas. Il demeure libre d’aller son chemin. « Laissez passer l’homme libre ! [23] »

Lecteur, ta lecture n’est pas finie, Jésus te précède, suis-le !