Recherche de conditions favorables à la lecture biblique , J.-L. Ducasse

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4.3.3.   Un peu de méthode, cohérente avec le texte lui-même.

  • Dans le cadre de la lecture en pastorale ordinaire, on supposera le découpage du texte fait à l’avance, par les animateurs, selon des critères d’unité de temps d’espaces et d’acteurs. Ce ne sont pas ces questions-là qui intéressent au premier chef les lecteurs venus pour la préparation d’un sacrement. De plus les textes prévus par le rituel sont à recevoir tels qu’ils nous sont donnés. Cependant, pour la bonne conduite du groupe, il n’est pas indifférent que l’animateur ait situé, pour sa préparation personnelle, le texte en l’ayant inscrit dans un ensemble plus vaste.

Les repères qui suivent peuvent constituer comme un guide pratique de la lecture.

  • D’abord entendre le texte. Dès lors qu’il s’agit d’entendre la parole comme parole, il n’est pas indifférent qu’un corps prête sa voix au texte, ni pour celui qui lit ni pour ceux qui entendent.
  • Restituer le texte de mémoire est utile surtout s’il n’est pas long. Cela permet de prendre acte des transformations qu’on lui fait subir sans y prendre garde et amène à lui être plus attentif. L’humour vient dans cette phase à la découverte d’éléments que l’on omet, ajoute ou transforme, (et pas par hasard). Cela débouche les oreilles du lecteur et le soigne de ses acouphènes !
  • Encourager les lecteurs exprimer les choses qui s’imposent à eux d’emblée comme choquantes, incompréhensibles, touchantes. Cela permet de se libérer d’affects qui pourraient occuper l’esprit tout au long de la lecture et rendre sourd à ce qui se passe dans le groupe. A défaut de ce premier temps, on risque de procéder de façon trop volontariste au débrayage indispensable pour la pise en compte de l’altérité du texte (et donc pour une vraie lecture). Mais il convient de n’y pas passer trop de temps. On ne résout pas sur le champ les problèmes posés par ces interventions spontanées. Mieux vaut noter pour ne pas oublier d’en reparler. En cours de lecture l’observation du texte aura contribué à les résoudre ou les déplacer.
  • Vient alors une phase décisive et laborieuse : l’observation du texte. C’est la première règle de lecture. C’est notre manière, aujourd’hui, de mettre nos pas dans les pas du Christ.
  • La détermination de l’animateur à ramener au texte et aux éléments qu’il fournit lui-même aux questions qu’il nous amène à nous poser est essentielle. Sinon on part du texte et l’on dérive sans autre guide que les opinions des uns et des autres.
  • L’animateur évitera de se laisser embarquer dans de longues explications sur la signification des mots du texte qui l’embarqueraient dans la culture au détriment de la lecture.
  • On pourra être amené à repérer les phases d’une action qui débute par un problème à résoudre et aboutit à sa solution, moyennant l’intervention d’acteurs. Et moyennant quelles luttes ces transformations s’accomplissent [11].
  • Mais il conviendra de ne pas se laisser prendre seulement par l’histoire d’une acquisition ou d’une perte. En effet la manière de raconter l’histoire, notamment les figures qui interviennent pour la mettre en discours, déplacent les enjeux… et les lecteurs avec, s’ils y consentent [12].
  • On rendra donc les lecteurs attentifs aux indications d’acteurs, d’espaces, et de temps et à leurs articulations originales. Elle permettront d’ailleurs en un premier temps de découper le texte en séquences figuratives. Ce découpage facilitera la progression par étapes dans la lecture.
  • L’observation de ces indications d’acteurs, d’espace et de temps renvoient au Je-ici-maintenant du lecteur ainsi qu’à la position de celui qui parle par ce texte [13]. De qui et d’où ce texte parle-t-il et quelle est la place de lecteur que je prends, qu’il m’invite à prendre ?
  • On sera aidé en ceci par la prise en compte les anomalies du texte : choses qui heurtent notre façon de voir [14] ou semblent mettre à mal la logique du texte. Elles nous obligent à déplacer notre point de vue. Vos pensées ne sont pas mes pensées.
  • Il arrive, chemin faisant, qu’après avoir pris le temps de l’observation, l’on éprouve une ouverture qui révèle des choses imprévues, déplace des représentations. Alors c’est une interprétation du texte qui vient. Il est bon de la laisser venir, mais aussi de vérifier sa compatibilité avec le texte. [15]
  • On avance ainsi, de proche en proche, sans mettre la main sur un sens définitif du texte. Il arrive qu’un point de vue commun s’impose à l’ensemble des lecteurs, inattendu. Parfois ce qui était latent devient patent, ce qui était caché s’impose comme provisoirement évident [16].
  • Il est enfin précieux de garder mémoire, non pas tant du sens du texte que des effets en nous de telle ou telle lecture. Ce sont comme des petits cailloux qui balisent le chemin parcouru.

4.3.4. Pratiquement, comment ça marche ?

Après avoir présenté quelques repères pour la mise en œuvre de la lecture, présentons maintenant des remarques sur ce qui se passe en fait.

Bien sûr toutes les phases décrites ici ne sont pas à observer comme un parcours obligatoire. On laisse à la lecture une certaine liberté. Mais l’animateur garde les repères en mémoire. Ils l’aident à ne pas passer à côté d’articulations déterminantes du texte.

Souvent les contraintes de nombre (une quarantaine de parents), de temps, environs ¾ d’heure, nous obligent à aller plus vite qu’on ne voudrait. On peut être tenté d’injecter dans la lecture du jour des trouvailles des lectures précédentes. Or il est important de ne pas se laisser prendre par le désir d’avoir fait dire ceci ou cela, mais de rester plus attentif à permettre à chacun d’aller son chemin, dans le respect du texte et l’écoute d’autrui.

Dans un acte de lecture respectueux du texte et du lecteur s’ouvre un champ de révélation, c’est-à-dire de choses voilées/dévoilées. Ce parcours est heureux mais pas nécessairement euphorique. Il faut accepter que des résistances se manifestent en chacun des membres du groupe, animateur compris. Du coup on n’évitera de considérer comme manquée une lecture qui n’a pas abouti pas au consensus. Ainsi font les montagnards qui aiment s’émerveiller devant le paysage surgissant au creux d’un col : quand le somment est dans la brume ils n’estiment pas l’ascension vaine pour autant ! D’ailleurs qui sait l’état du chemin de ceux qui lisent ?

Généralement les parents s’intéressent et interviennent. Parfois les moins habitués à la Bible ont une manière étonnante d’aller droit à des observations essentielles que leurs habitudes de lecture cachent à ceux qui sont plus habitués. Ce type de lecture ne privilégie pas les savants. La première partie de la réunion a favorisé l’expression de tous sans discriminant d’ordre religieux. Cela les autorise à s’exprimer sans complexe pendant la lecture. Par contre l’apport de ceux qui ont quelque connaissance biblique s’avère souvent utile et le dialogue peut s’instaurer entre eux.

Quand on lit un texte choisi par des parents, le plus souvent, sans oublier ce qui les avait touchés, ils sont étonnés de ce que l’observation du texte permet de dégager, de remuer de nos représentations, d’éveiller comme désir. Ce que cela touche en chacun nous échappe. Mais la lecture nous renvoie immanquablement et pour l’interroger à notre désir de posséder le sens ou les personnes, aux événements que l’on tente de maîtriser, sans bien sûr y parvenir. Et, au lieu de présenter cela comme une intolérable frustration, elle nous fait, en ce lieu, entendre parler de choses cachées depuis les origines, qui déjà nous sont données, et que nous verrons lorsque viendra le jour !

Rares sont les parents qui choisissent des textes évoquant directement la mort et la résurrection du Christ. Observant cela, nous pourrions être tentés de renoncer à lire ensemble ces textes-là. L’expérience nous a montrés qu’on gagnait à oser le faire sans attendre qu’ils les choisissent. L’occurrence de la liturgie peut y aider. En temps pascal, par exemple, pourquoi ne pas prendre des textes en référence à ce temps, en justifiant le choix par le temps liturgique. Ensuite, on ne contraint pas les parents à reprendre ces textes-là pour la célébration du baptême. Mais pourquoi les tenir à l’écart de ce qui est au cœur du cœur de la foi. « Que vous ne veniez pas souvent à la messe le dimanche et soyez probablement peu familier des textes bibliques ne constitue pas une raison suffisante pour ne pas vous donner « ce que nous avons de meilleur en magasin » avons-nous dit à un petit groupe de parents un soir, « les chrétiens croient en la résurrection du Seigneur. Celle-ci est intimement liée à la manière dont il est mort, dont il a donné sa vie. Vous avez pu remarquer que, parmi les textes bibliques qui vous ont été proposés, il y en a un qui dit carrément : ‘si nous mourrons avec lui, avec lui nous vivrons’. Voulez-vous que nous le lisions ensemble, pour qu’il nous ouvre le cœur même de la foi ? Nous n’avons pas été déçus du voyage.

L’accueil des parents pour le baptême des petits enfants ne permet pas (du moins la plupart du temps) de se retrouver plusieurs fois pour lire des textes bibliques. Mais une telle lecture pratiquée régulièrement avec des parents quelque peu impliqués dans la catéchèse, montre que certains, après deux ou trois rencontres, entrent bien dans la démarche d’expression libre au début, puis prennent goût à observer le texte et le font avec finesse, opérant des déplacements qui les étonnent, les réjouissent, les laissent perplexes.

Sans prétendre conclure mais pour encourager à poursuivre.

Dans la lecture ce que lit l’autre a une grande importance pour chaque lecteur. Il le rend attentif à un aspect du texte qu’il n’avait pas retenu. Ce faisant il lui arrive de le révéler le lieu où la parole veut parler en lui. Ainsi pouvons-nous entendre le témoignage d’Henri J.M.Nouwen, bouleversé par la lecture que fait Rembrandt de l’épisode dit de l’enfant prodigue (Luc 15, 11 – 32). Cette lecture se donne à voir en son célèbre tableau : Le retour de l’enfant prodigue. Grace à l’observation très attentive et à la contemplation de ce tableau, Nouwen affirme :

« J’ai été conduit vers un lieu intérieur où je n’avais jamais pénétré auparavant. C’est le lieu en moi où Dieu a choisi d’habiter. C’est le lieu où je suis en sécurité dans les bras du père tout amour qui m’appelle par mon nom et me dit : ‘Tu es mon fils bien aimé sur qui repose toute ma faveur’ Ce lieu a toujours été là : c’était pour moi la source de la grâce. Mais jamais je n’avais pu y pénétrer et y demeurer. Si quelqu’un m’aime il observera ma parole et mon père m’aimera Nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure Ces mots m’ont toujours beaucoup touché, je suis la demeure de Dieu. [17] »

Et le même homme reconnaît la difficulté à demeurer en ce lieu :

« Mes pensées, mes sentiments, mes émotions et mes passions m’attiraient constamment hors de l’endroit que Dieu avait choisi pour y faire sa demeure ! »

Puisse la lecture biblique contribuer à ramener sans cesse tout frère humain en ce lieu qui est celui où se joue son accomplissement.

Jean-Loup Ducasse     Saint-Médard-en-Jalles     Avril 2009

Notes

[1] D’abord produit pour un Week-End proposé par le CADIR Aquitaine sur la pratique de la lecture biblique dans la vie sacramentelle, ce texte a été remanié pour une présentation dans le cadre d’un colloque intitulé Regards croisés sur l’énonciation, organisé à l’Institut Catholique de Lyon les 24 et 25 avril 2009, par le CADIR Rhône-Alpes.

[2] Document présenté en deux livrets : Accueil et célébration du baptême des petits enfants. Texte d’orientations pastorales. Diocèse de Bordeaux. 12 avril 2009, accompagné d’un second livret annexe, composé de fiches théoriques et pratiques susceptibles d’être réactualisées.

[3] Le choix et les pistes de lecture sont très souvent (et inconsciemment) commandés par le souci de faire dire aux textes une vérité à croire, une attitude à promouvoir, un thème à illustrer.

[4] Nous reviendrons plus loin sur les « techniques de lecture et les études conjointes ».

[5] Maurice Bellet   Le Dieu Sauvage.    p. 91

[6] Cité dans un numéro de la revue Christus sur le « devenir enfant ».

[7] Personnellement, des jalons les plus marquants, qui ont renouvelé ma propre foi et ma pratique pastorale, sont

  • d’abord la redécouverte de la pertinence du texte biblique et la confiance en lui, tel qu’il nous est donné par l’Eglise,
  • ensuite la redécouverte de l’aptitude d’humains de toute condition, culture, appartenance religieuse, à le recevoir et à le lire,
  • enfin, plus récemment celle de la pertinence comparable du rituel au service du sacrement.

Bien sûr ces choses étaient posées au départ du ministère comme principe. Mais elles ne sont devenues convictions structurant mes réactions de pasteur qu’après que j’aie traversé un certain nombre de difficultés et de doutes (souvent d’autant plus cachés à ma conscience qu’ils étaient largement partagés dans le clergé). Et heureusement le parcours n’est pas fini !

[8] Nous aborderons plus loin les difficultés propres au temps de la lecture proprement dite.

[9] Nous avons choisi d’éditer les textes bibliques à part du petit livret de présentation du baptême, pour éviter toute confusion.

[10] Il est urgent de porter à la connaissance des instances d’élaboration des traductions liturgiques l’importance de traductions qui respectent les figures que le texte met en discours. En parler aux évêques, aux centres de pastorale liturgiques en toute occasion !

[11] Composante narrative du texte. Prenons comme exemple la lecture de Lc 11, 9 – 13 : « Et moi, je vous dis: demandez et l’on vous donnera; cherchez et vous trouverez; frappez et l’on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit; qui cherche trouve; et à qui frappe on ouvrira. Quel est d’entre vous le père auquel son fils demandera un poisson, et qui, à la place du poisson, lui remettra un serpent? Ou encore s’il demande un œuf, lui remettra-t-il un scorpion? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »  On peut envisager ce passage comme encourageant une quête d’objet sur la base d’une expérience entre père et fils somme toute plutôt positive, et poursuivant jusqu’à la demande au Père du ciel de l’Esprit-Saint. Mais la lecture butera sur la question que n’a pas manqué de nous poser un père de famille : « je ne suis pas très au courant de ces choses, affranchissez-moi, c’est quoi, l’Esprit-Saint ? »

[12] Composante discursive ou figurative du texte. Ainsi la même lecture de Lc 11, 9 – 13 n’aura pas manqué d’allécher par la promesse de bonnes choses à recevoir et l’attente de ce qui est encore meilleures. Mais elle provoque souvent dans un groupe où la parole a acquis une certaine liberté des réactions assez vives du type : «Tu parles, dans la vie c’est pas comme-ça. Depuis le temps que je demande et cherche du boulot, en frappant à toutes les portes… ça se saurait si ça marchait ! » Puis l’observation du texte va d’abord amener à remarquer que l’invitation à demander, chercher, frapper, semble déliée de toute contrainte de temps ou de lieu puis que l’objet de la demande tout comme celui de la quête ne sont pas précisés. Comme si c’était l’élan même du désir qui était souligné. Ensuite vont venir successivement la relation d’un père et d’un fils, puis de « vous » et de « votre père des cieux ». Avec le papa et son fils on voit qu’à un objet on pourrait être amené à en substituer un autre : à un poisson, un serpent, à un œuf, un scorpion…Ces couples inattendus brouillent le sens de ces mots connus habituellement dans les registres connus de la nourriture ou de la zoologie. De quels objets s’agit-il donc ? L’intervention d’un papa et de son fils, suivie de « vous » et « votre père du ciel » va déplacer la demande du côté du non-objet par définition qu’est le souffle saint ; l’Esprit saint ! L’encouragement du désir est maximum. Mais la définition de l’objet échappe. Il semble pourtant qu’il soit du côté de la vie, telle qu’un père peut en figurer le don. Savez-vous que ce parcours ne laisse pas indifférent qui le suit ?

[13] Le repérage des marques de l’énonciation dans le texte permet de voir comment chacun se situe dans la lecture. Observons cela en restant sur le même texte de Luc. Dans un premier temps, en se contentant du découpage présenté plus haut, on observe qu’il y a un « je » qui s’adresse à un « vous » (et moi je vous dis) en invitant d’abord à demander, chercher, frapper, sans préciser auprès de qui agir ainsi. Comme si celui qui parle en ce texte éveillait d’abord en son interlocuteur le désir, la quête, la soif de rencontre. Immanquablement des lecteurs vont se positionner par rapport à cela : entendant cela comme s’adressant à eux. Puis, premier déplacement suggéré, le texte va faire allusion à ceux d’entre les « vous » qui sont pères, et à leur relation à leur fils. Les papas sont les premiers concernés dans cette phase de la lecture, cela les renvoie à leur relation au désir exprimé à leur endroit par leurs fils. Mais qui n’est témoin de relations entre un père et un fils. Second déplacement : combien plus votre père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent le vous auquel s’adresse le je du texte apprend ici qu’il a un Père des cieux et que celui ne demande qu’à lui donner l’Esprit-Saint, s’il le lui demande. Le lecteur qui suit de près le texte est amené à partir de son désir, de sa quête, de sa soif de rencontre, à se reconnaître comme fils d’un Père céleste et encouragé à lui demander son souffle. L’animateur pourra ensuite situer ces quelques versets de l’évangile en commençant dès le premier verset du chapitre 11, où l’espace-temps-acteur de Jésus (celui-là même qui dit : et moi je vous dit dans notre passage) est particulier en même temps qu’universel en puissance : « il arriva qu’alors qu’il était en un lieu, priant, quand il eut cessé, une de ses disciples lui dit : Seigneur, apprends-nous à prier comme Jean l’a appris à ses disciples ». La réponse de Jésus met sur les lèvres des disciples : « Notre Père qui es aux cieux… »

[14] Si donc vous qui êtes mauvais savez donner de bonne choses à vos enfants Réactions parmi les lecteurs : « Comment se permet-il ce jugement ! » Puis vient souvent dans le groupe quelqu’un pour reconnaître que l’éducation est chose délicate et qu’on a le sentiment d’avoir manqué des choses capitales dans la relation avec ses enfants. Pourtant on remarque que le texte n’insiste pas sur les bévues des parents mais sur leur capacité à donner de bonnes choses.

[15] Ainsi de la joie de certains couples qui préparent leur mariage à « se retrouver » dans le texte  : « Ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas ». Ils avaient d’emblée eu une intuition : ce texte nous ressemble ! Puis ils y découvrent plus explicitement un parcours. L’unité du couple vient une fois reconnues la différence des sexes (il les fit homme et femme) et la séparation des générations (ainsi l’homme quittera son père et sa mère). Mais il arrive qu’à la faveur de l’insistance sur l’unité (ainsi ils ne sont plus deux mais font plus qu’un) et de l’imprécision de la traduction (ce que Dieu a uni, alors que le mot grec correspondant est ce que Dieu a « conjugué » ils se croient confortés dans une représentation fusionnelle de la vie de couple. Quand cette interprétation précipitée a pu s’exprimer, c’est le moment de faire apparaître la butée que présente le texte : cette unité dynamique et relationnelle n’a rien à voir avec la fusion imaginaire. La figure de la conjugalité fait rebondir la lecture. Qui est donc ce tiers qui semble au principe même de l’amour qui unit l’homme et la femme mais aussi à son horizon ? Comment les conduit-il vers une seule chair comme le texte de la Genèse le laisse déjà entendre. D’ailleurs quand le texte dit « ce que Dieu a conjugué, que l’homme ne le sépare pas », cela ne peut-il pas s’entendre non seulement du couple homme-femme mais de la relation entre Jésus et son Père, que les Pharisiens semblent questionner profondément ? Voilà nos tourtereaux invités à entrevoir une unité qui se joue dans un faisceau de relation où l’altérité homme femme est prise en compte, la séparation d’avec les parents engagée, et qui implique encore la relation entre Jésus et son père, mais aussi entre Jésus et ses disciples.

[16] Pour revenir au texte évangélique précédemment cité sur la demande, tout-à-coup les parents réalisent

  • que leurs bébés demandent, ne serait-ce que par leurs cris, que l’on n’accède à leur demande
  • qu’ils cherchent et trouvent, ne serait-ce que quand leur main et leur bouche attrapent le sein, le biberon.
  • mais aussi qu’ils leur donnent la belle joie de frapper à leur porte, de désirer la relation avec celle qui a comblé leur faim, avec celui dont ils reconnaissent la voie, qu’ils désirent connaître sous un autre mode que celui de pourvoyeur de satisfaction de leurs besoins immédiats.

En effet, si l’on n’avait accédé à leur demande, s’ils n’avaient trouvé après avoir cherché, si l’on n’avait pas ouvert notre cœur quand ils frappaient… ils ne seraient pas demeurés vivants, ni nous non plus. Et si nous étions dans une situation comparable, adultes, devant celui que l’on nomme Dieu et que Jésus appelle « votre père du ciel » ? Chacun repart de la lecture avec ce qui l’a travaillé et éclaire son chemin pour le jour qui vient. Et l’on se rend compte que ce travail là, c’est un trésor !

[17] Henri J.M.Nouven. Le retour de l’enfant prodigue. Ed. Albin Michel. 1992. P. 32