Le Doigt qui montre la lune,
Raymond Lemieux

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La communication de la foi

C’est dans ce contexte qu’il convient de penser ce qu’on appelle la “communication de la foi”. Si on considère d’un peu plus près les doléances de nos contemporaines, en effet, leurs craintes par rapport aux traditions, aux Églises, aux sectes, à ce qu’ils considèrent être la foi ou la religion, se résument à peu près toujours aux mêmes paramètres: ils craignent, littéralement, de se faire embarquer. Sans doute est-ce là, d’ailleurs, une réaction de santé: baignés dans une multitude de discours séducteurs, informés des impasses de beaucoup de ces discours, ils refusent de se faire mener là où ils ne voudraient pas aller. Cette réaction ne vient pas d’un manque de générosité, comme on pourrait être porté à conclure trop rapidement, elle vient plutôt de l’expérience que chacun croit posséder: à travers le spectacle de ceux qui visiblement se font avoir et sont poussés à des gestes insensés, fanatiques, et dans l’expérience personnelle des discours multiples dont chacun dénonce la séduction, parce qu’il se sent vulnérable devant elle, tout en se voulant lui-même séducteur.

Nos contemporains craignent comme la peste l’aliénation: être pris dans la séduction de l’autre et, dès lors, ne plus être en mesure de choisir le sens de leur vie. Aussi, même quand ils acceptent d’entendre les discours des héritiers des grandes traditions, ils manifestent un mouvement de fuite dès que ces discours leur proposent un engagement, une compromission de leur subjectivité. On les voit demander le baptême pour leurs enfants, ou le mariage pour eux-mêmes, gestes porteurs pour eux d’identité puisqu’ils consistent à inscrire un état de fait dans une tradition [13], ce qui est loin d’être dénué de sens. Mais s’ils revendiquent ce droit – parce que c’est bien pour eux un droit que l’Église a le devoir de leur reconnaître – ils continuent d’éviter systématiquement les responsabilités que cela suppose. Les deux discours, celui de la demande et celui de l’offre, celui des fidèles et celui des pasteurs, se superposent mais ne se rencontrent pas: l’affirmation d’un droit d’une part, d’une responsabilité de l’autre. L’hétérogénéité des désirs est telle qu’elle annihile la communication. Il advient même que les efforts déployés pour contrer cet effet génèrent eux-mêmes méfiance plutôt que confiance.

L’erreur serait bien sûr de chercher dans le seul affinement des techniques de communication la solution du problème. Le problème n’est pas technique. C’est une question de désir. Et on le sait mieux aujourd’hui que jamais: ce n’est pas parce que l’information existe et qu’elle est disponible qu’on est bien informé. On s’informe, au contraire, quand des motivations suffisantes poussent à chercher l’information et, surtout, quand de clairs enjeux de salut sont liés à cette recherche. La conjoncture internationale nous donne un exemple typique de cette réalité. Qui en Occident s’intéressait à l’Afghanistan, voire à l’islam, avant les événements de septembre 2001? Par le choc émotif qu’ils ont produit, ces événements ont poussé à s’informer, à connaître l’autre, ce qui n’est pas encore, bien sûr, reconnaître son désir.

Ceci nous pousse à questionner ce qu’on entend par la foi qu’on prétend communiquer. Qu’est ce que la foi ? Deux pièges majeurs, à mon sens, menacent tout discours qui veut “communiquer la foi”.

Le premier consiste à réduire la foi à un ensemble de croyances, c’est-à-dire à sa dimension cognitive, imaginaire. Quand cela arrive, la communication s’en trouve tout simplement mise en concurrence avec d’autres productions d’images, d’autres “connaissances”, pour la plupart plus efficaces (ne serait-ce parce qu’elles ne portent pas l’usure du temps), plus clinquantes, plus séduisantes. Dans les sociétés dites avancées, le monde contemporain ne manque pas de propositions de croyances. Il en est au contraire sursaturé parce que tout producteur de bien, de quelque nature, doit chercher la confiance de ceux à qui il prétend les vendre. La concurrence séductrice est effrénée.

La réduction de la foi à un système de croyances, à une vision du monde porteuse d’identité fait de cette foi non plus un acte, une instance éthique d’où un sujet advient par le risque même qu’il prend avec l’Autre, mais un objet supposément capable de satisfaire le désir. Le sujet y est acculé encore une fois à la désillusion parce qu’un système d’image, quel qu’il soit, n’est jamais qu’une représentation, une fiction. Grégoire de Nysse disait à ce propos: “Le concept saisit des idoles de Dieu. Seul l’étonnement dit quelque chose”. Réduire la foi à sa seule dimension cognitive est, à la limite, de l’ordre de l’idolâtrie. Cela consiste à refuser de se laisser étonner par l’Autre. On n’a plus à s’inquiéter, puisque l’on sait.

Allons plus loin: l’enjeu d’une telle réduction est celui-là même que nous présente la Genèse dans l’épisode du péché originel: savoir plutôt que croire. “Le jour où vous en mangerez, dit le serpent, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal [14]. Si l’on sait, plus besoin de chercher le désir de l’Autre. Ce choix éthique est ici posé comme fondateur d’humanité [15].

Le contrôle de l’image, le contrôle du savoir, en toute société, est un enjeu de pouvoir. L’image tient lieu de ce qu’elle représente. Elle ne laisse pas de place au vide, pas de place pour une altérité. Réduire la foi à un système de croyances qui totalise l’expérience du monde ne peut que conduire au rejet de l’autre. D’un côté se trouvent dès lors le bien, de l’autre le mal, d’une part les bons qu’on peut reconnaître, d’autre part les méchants.

Le second piège se présente différemment mais est du même type. Il consiste à réduire l’acte de foi non plus à sa dimension imaginaire, cognitive, mais à sa dimension expérientielle, affective. Pour nos contemporains gavés de discours de connaissance, l’expérience se présente souvent comme l’antidote de ces derniers. Ils opposent dès lors spontanément aux dictatures du savoir l’expérience des choses. Mais chercher le salut dans l’expérience peut aussi bien s’avérer sans issue que le chercher dans la seule connaissance. On en arrive alors à prendre cette expérience, d’autant plus imposante que sa charge émotive est grande, comme critère unique de jugement sur le monde, et seule voie de salut. L’arbitraire propre à une telle position est alors aussi terrible que celui des savoirs dits objectifs puisqu’au terme de sa logique se trouve le fanatisme.

Comme le montrent de très nombreuses études sur les sectes [16], la logique de l’expérience peut très bien se retourner sur elle-même et refuser la relativité du langage que lui imposerait le risque de la communication. Assujetti à ce supposé vécu qui s’impose à lui, le sujet rejette alors tout compromis avec le monde pour ne s’en tenir qu’à sa seule perception de la vérité. Il se justifie en s’excluant d’une coexistence qui le pousserait à renoncer à sa pureté. On connaît mieux, désormais, la propension mortifère de cet exclusivisme: plus lui sont opposés des arguments de raison, plus est renforcé le sentiment d’être seul à avoir raison, plus le sujet s’isole dans sa seule “vérité”, jusqu’à choisir la mort comme voie obligée de salut [17].

Bref la réduction de la foi à l’un ou l’autre de ses avatars cognitif ou affectif conduit à une impasse où le sujet croyant se trouve dans l’impossibilité d’advenir. Dans un cas comme dans l’autre, en effet, le réel est dénié: le réel, c’est-à-dire la séparation, la perte, l’absence qui suscite le désir.

Certes l’acte de foi, s’il est un non-sens de le réduire à la seule connaissance ou au seul sentiment, a besoin de l’instance cognitive et de l’instance affective pour se déployer. La première lui procure des lieux de consistance, des espaces de reconnaissance, des cadres de vraisemblance qui le rendent socialement repérable. À travers les traditions, elle permet de fournir des balises à l’expérience (ne serait-ce qu’en disant: telle chose, on l’a déjà tentée et ça ne marche pas…), des possibilités d’en repérer le sens pour aujourd’hui. La seconde lui sert de propulseur, de dispositif énergétique, de moteur. Elle le motive, le met en mouvement, par les bouleversements mêmes qu’elle introduit dans la vie. Il ne s’agit donc pas de renier le cognitif et l’affectif, d’isoler la foi des croyances et du sentiment religieux mais bien de mettre ces derniers, croyances et sentiments, à leur place relative, instrumentale dans l’acte de foi.

Qu’arrive-t-il en celui-ci, en effet, sinon que le sujet, autrement aliéné dans l’imaginaire ou assujetti à l’expérience, choisit, dans sa liberté qui advient effectivement par cette possibilité de choix, d’agir en direction d’un Autre qui lui échappe mais dont il accepte d’entendre la voix ?

Thomas d’Aquin disait à ce propos que la vertu de religion (et non pas la religion comme système, ou comme institution culturelle) est inclinatio ad Deum. Dans cette expression c’est bien sûr la copule, le ad, qui est important, puisque de Dieu, nous ne savons pas grand’chose sinon de nous en tenir aux images que nous nous en faisons, et de l’inclinaison, nous ne pouvons saisir que la fugacité, la fragilité. Un mouvement, donc, vers l’Autre que l’on n’atteint jamais ici-bas. À cette vertu toujours à réactiver, reprendre, recommencer, dit-il, s’opposent deux vices : l’idôlatrie qui est précisément réduction de l’Autre à l’image qu’on en produit, et l’irréligion qui est refus de l’Autre dans le retournement sur soi-même [18]. La vertu de religion, dès lors, devient l’instance d’un choix à reprendre sans cesse, à chaque instant de la vie et dans tout événement. Une réélection [19] du choix de vivre contre la mort.

Choisir de miser sur l’Autre, sur la parole, sur le mystère, choisir d’agir en direction de l’Autre, c’est ouvrir et garder ouvert l’espace du mystère, de l’inconnaissable. C’est garder ouvert un appétit qui n’est jamais rassasié ici-bas. C’est, disait encore Grégoire de Nysse, “aller de commencements en commencements par des commencements qui n’ont jamais de fin” [20]. “Notre désir est sans remède”, avouait Thérèse d’Avila, plus péremptoire encore. Certes, comme l’enseignent maints mystiques, le désir devient alors un risque pris sans filet, avec l’abîme.

L’acte de foi qui fait ainsi de la confiance une condition de vie peut-il être communiqué ? Il est plutôt de l’ordre de l’excès et de l’ouverture, comme dit Michel de Certeau :

C’est une pure dépense. Elle est déraison, parce qu’elle n’est pas rentabilisable. Départ et surcroît, geste “poétique” d’ouvrir l’espace, de passer la frontière, de jeter par la fenêtre, de risquer plus : un langage chrétien se paie à ce prix. Capitalisations intellectuelles, théorisations vertueuses, réserves de toutes sortes sont dérisoires. Le prix à payer est autre. D’un mot, ou pourrait dire: alors que l’autre est toujours pour nous menace de mort, le croyant, par un mouvement déraisonnable, en attend aussi la vie. Faire place au proche, ce sera céder la place – peu ou prou mourir – et vivre. Ce n’est pas là passivité, mais combat pour faire place à d’autres, dans le discours, dans la collaboration collective, etc. Ce travail d’hospitalité à l’égard de l’étranger est la forme même du langage chrétien. Il ne se produit que partiellement; il reste relatif à la place particulière qu’on “occupe”. Il n’est jamais fini. Il est perdu, heureusement noyé dans l’immensité de l’histoire humaine. Il s’y efface comme Jésus dans la foule. [21]

Le doigt qui montre la lune indique une direction pour le regard, jamais l’appropriation d’un objet. Il implique un mouvement vers, une inclinaison dans le sens indiqué. Cela, certes, mérite d’être crié sur les toits, parce que ce dont il est question ici, c’est bien d’un travail de salut, c’est-à-dire de la possibilité de sortir de l’aliénation et de l’assujettissement. Cette communication devient même d’une certaine urgence si on considère la surproduction d’images de salut et la surexcitation des expériences que propose la logique marchande dominante, cette logique qui fait des images et des expériences non pas des signifiants de l’Autre mais des marchandises à consommer.

Cela mérite d’être crié sur les toits. Mais si le lieu de l’acte de foi peut ainsi être montré, la foi ne peut être démontrée. Instance éthique, elle ressort d’un choix libre du sujet. Elle mérite et exige, dès lors, d’être éduquée pour que chaque sujet puisse saisir, pour lui-même, le sens du ad auquel il est appelé. Cette éducation, est une opération subtile: elle consiste à accompagner le sujet, à travers ses expériences et ses savoirs, pour qu’il puisse les traverser en continuant de tenir son regard orienté envers l’Autre.

Sans nous étendre sur une question exigeante [22] au même titre que celle de la communication, signalons encore deux conditions pour que cette éducation se produise.

  1. L’articulation du dire et du faire. Puisque la foi est un acte, c’est dans l’agir qu’on peut repérer son authenticité, qu’elle devient crédible en tant que processus de désaliénation. L’agir, avec ses effets de construction ou de destruction, de vie ou de mort, est le test de vérité ultime des discours, l’épreuve à laquelle tout dire doit être soumis pour trouver sa crédibilité. Un dire qui va sans faire ne peut que rester stérile. Il voue la subjectivité à l’impuissance. C’est dans le risque pris avec les autres que devient crédible le discours rendant compte d’un risque pris avec l’Autre. Un dire qui va sans faire est un dire impuissant, stérile. Mais un faire, même élémentaire, avant même tout discours, peut valoir mille dires. Il signifie que l’on passe “du monde virtuel au monde réel”, comme l’écrit Jean-Paul II dans son message pour la 36e journée mondiale des communications sociales [23] du 12 mai 2002. Le monde réel, c’est-à-dire non plus seulement celui des réseaux de reconnaissance et des identités (quel que soit leur mode de production), mais celui des solidarités.
  2. S’il faut crier sur les toits, le doigt qui montre la lune nous dit aussi que cette éducation de la foi ne peut être seulement une entreprise de masse. À l’instar de tout acte éducatif, elle a besoin du face à face, de la relation interpersonnelle qui permet à la vérité du désir d’émerger là où précisément chaque sujet prend le risque de vivre avec d’autres sujets.

Le cri peut bien alors devenir chuchotement, con-fidence, qui est une autre forme de la con-fiance. Les premiers jésuites, écrit leur général en 1997, “croyaient profondément en cette cura personalis, au point d’abandonner parfois la prédication aux foules, au profit de la conversation spirituelle de personne à personne” [24]. Elle peut et doit certes s’exercer de bien des façons selon les cultures. Elle suppose toujours, cependant, la conviction que l’autre a besoin d’une présence gratuite et stimulante pour pouvoir passer du statut d’enfant [d’aliéné] à celui de personne libre et solidaire. Entendue dans ce sens, l’éducation de la foi présente un défi énorme aujourd’hui qu’on cherche partout à minimiser les investissements et à maximiser les performances. Mais en dehors d’elle, n’est-on pas condamné à indéfiniment regarder le doigt sans jamais apercevoir la lune….?

Le 4 février 2002

 

[1] Augustin, La doctrine chrétienne (De doctrina christiana), introduction et traduction par Madeleine Moreau, notes complémentaires d’Isabelle Bochet et Goulven Madec, Paris, Bibliothèque augustinienne 11/2, 1997, prologue, 3.

[2] Anne Fortin et Anne Pénicaud, “Augustin lecteur des Écritures”, Sémiotique et bible, décembre 2001, 3-23.

[3] Ibidem.

[4] Augustin, La doctrine chrétienne, op. cit. Conclusion du livre I, par. 40, cité par Fortin et Pénicaud.

[5] Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, film de Jean-Pierre Jeunet, France, 2001, 116 min.

[6] D’aucuns, tel Régis Debray, le réfèrent à la Chine ancienne (cf. Dieu, un itinéraire, Paris, Éditions Odile Jacob, 2001, p. 16). Pour le Dictionnaire de Proverbes et Dictons Paris, Dictionnaires le Robert (Les usuels du Robert – poche), 1989, « Ils te montrent la lune et tu regardes le doigt » est un proverbe africain, en langue rundi (Burundi).

[7] Paul Ricœur, “Avant la loi morale : l’éthique”, Encyclopædia Universalis, supplément Les enjeux, 1984, 42-45. Le texte de Ricœur continue de la façon suivante : Ma liberté veut être. Mais, s’il est vrai que la liberté se pose par elle-même, elle ne se voit pas, elle ne se possède pas elle-même. Nous avons donc besoin de toute une suite de notions intermédiaires qui permettent à la liberté de se réfléchir, de prendre possession d’elle même. À cet égard, la liberté, ne pouvant ni se voir ni se trouver, ne peut que s’attester – rendre témoignage d’elle-même par le moyen d’œuvres dans lesquelles elle se rend objective. Cette liberté qui se pose, non seulement je ne la vois pas, je ne la sais pas, mais je ne peux que croire en elle ; me poser libre, c’est me croire libre. C’est faute de vision, d’intuition, que la liberté est condamnée à s’attester dans des œuvres”

[8] Philippe Quéau, “Comment nous trompent les images virtuelles”, Manière de voir, hors série, mars 1997, 80-83. Du même auteur : Virtuel, vertus et vertiges, Paris, Champ Vallon – INA, 1993, 215 p.

[9] Maurice Ronai, “L’information, clé du pouvoir ?”, Le Monde diplomatique, no 479, avril 1993, p. 32.

[10] “Toute demande est requête de l’amour ”, écrit encore, dans cette logique, Jacques Lacan. Cf. Écrits, Paris, Éditions du Seuil, coll. “Le Champ freudien” 1966, p. 813.

[11] Voir à ce propos les belles pages de Michel de Certeau, La faiblesse de croire, texte établi et présenté par Luce Giard, Paris, Éditions du Seuil, 1987, 329 p.

[12] Cf. Shoshana Felman, Le scandale du corps parlant, Paris, Éditions du Seuil, 1980, 223 p.

[13] Liliane Voyé, “Les jeunes et le mariage religieux : une émancipation du sacré”, Social Compass, 38-4, décembre 1991, 405-416.

[14] Genèse 3, 4-5.

[15] Louis Panier, Le péché originel. Naissance de l’homme sauvé, Paris, Cerf, 1996, 149 p.

[16] Signalons, pour s’en tenir à une littérature classique : Léon Festinger, Hank Riecken et Stanley Schachter, L’échec d’une prophétie, traduit de l’anglais par Sophie Mayoux et Paul Rozenberg, Paris, Presses universitaires de France, 1993, 252 p. L’original, When Prophecy Fails. A Social and Psychological Study of a Modern Group that Predicted the Destruction of the World, a été publié en 1956 par University of Minnesota.

[17] C’est Max Weber qui, le premier, a proposé une distinction sociologiquement opérationnelle entre Église et secte, en cherchant à comprendre le fonctionnement du leadership charismatique et sa routinisation dans les organisations bureaucratiques. Erns Troeltsch, dans son étude sur L’enseignement social des Églises chrétiennes (Die Soziallehren des christlichen Kirchen und Gruppen, 1912, traduit en anglais en 1931 et publié à New York, Free Press en deux volumes) donne une plus grande ampleur aux critères de Weber en distinguant différents degrés d’accommodation ou de compromis avec les valeurs sociales communes. Pour lui – et une bonne partie de la pensée sociologique contemporaine – les sectes sont en guerre avec les valeurs dominantes de la société, alors que les Églises cherchent le compromis. Ces dernières, bien sûr, comportent aussi des tendances sectaires et les sectes, inversement, ont tendance à s’ecclésialiser.

[18] Voir pour le développement de cette problématique la thèse de Maxime Allard, Éthique et religion : une lecture du traité de la religio dans la Summa theologiae de Thomas d’Aquin, thèse de doctorat en théologie, Université Laval, novembre 2001, 600 p.

[19] Il faudrait reprendre, ici, les étymologies généralement attribuées au mot religion. Cf. Émile Benveniste, “Religion et superstition”, ch. 7, de Le vocabulaire des institutions indo-européennes, tome 2 : Pouvoir, droit, religion. Dans la logique de Thomas d’Aquin, la vertu de religion ne peut être réduite ni à l’acte de relecture (re-legere) des conditions de l’existence qui renvoie au cognitif préalable à l’action, ni à l’acte de relier (re-ligare) qui renvoie à l’affectif motivant le passage à l’action, mais à la ré-élection (re-eligere), dans le choix d’une direction donnée à l’action.

[20] In Migne, Patrologia græca, 44, 941 A.

[21] La faiblesse de croire, op. cit.,. p. 262.

[22] Nous nous y sommes attardé davantage dans un autre texte récent : “Héritage et éducation de la foi : quelques défis posés au christianisme à l’aube du millénaire”, Journée provinciale de la Conférence religieuse canadienne, section Québec, 15 septembre 2001, 24 p. Sous le titre “Rêver notre testament”, sous le titre original, en format PDF : http://www.ftsr.ulaval.ca.

[23] Message daté du 24 janvier 2002. Nous remercions Bertrand Ouellet de nous en avoir communiqué le texte français à travers le réseau de Communications et société.

[24] Peter Hans Kolvenbach, “Éduquer dans l’esprit de saint Ignace”, Études, juillet-août 1997, 67-76.