Actes 2, 1-21 – Commentaire

Texte : Actes 2, 1-21 – La Pentecôte
Auteur : Pierre Chamard-Bois
Circonstance : suite à une rencontre du groupe « Rendez-vous avec la Bible » de Guiclan (29)
Date : 9 mars 2013
Traduction utilisée : traductions de travail

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La façon dont le temps et l’espace sont décrits est toujours significative.

« Au moment où s’accomplissait le jour de la Pentecôte ». Le texte signale qu’on est le jour de la Pentecôte, mais pas n’importe comment : c’est la Pentecôte de l’accomplissement. Cette fête juive, Shavou’ot[1], était celle du don de la Loi, la Thora, au Sinaï. Elle est, pour les chrétiens, prémisse, préfiguration de celle du don de l’Esprit. YHWH s’était rendu présent dans la montagne, au milieu d’éclairs et dans un bruit fracassant. Moise y reçut les tables de la Loi. La Loi constitua les hébreux en peuple. Ici, tous les peuples sont désormais concernés.

« […] ils étaient tous ensemble dans le même (lieu) ». Le mot lieu n’est pas dans le texte. On comprend couramment qu’ils sont au même endroit. Mais l’ellipse du mot lieu, ellipse qui sera encore beaucoup utilisé dans la suite des Actes, suggère que ce même n’est pas seulement un lieu géographique : ils sont en communion les uns avec les autres. Ils forment une unité qui s’avérera être celle d’un unique Corps. Qui sont-ils ? Les cent-vingt évoqués au chapitre 1 (v. 15). Rien ne dit que Marie ne soit là, mais toute une tradition a tenu à ce qu’elle y soit[2]

« […] toute la maison où ils étaient assis » (v. 2) La maison décrit plus précisément un lieu. Elle désigne un intérieur, opposé à ce qui va se passer dehors. Cela va se passer au milieu d’eux et en eux. Pourquoi cette précision qu’ils étaient assis ? C’est souvent la position du maître qui enseigne. Serait déjà là marquer qu’ils vont devenir des « enseignants » bien particuliers ?

Un autre lieu marqué est Jérusalem décrite comme abritant des Juifs de toutes les nations qui sont sous le ciel (v. 5). Jérusalem n’est pas présentée comme la capitale des juifs, mais comme la Ville qui comporte en son sein la terre entière. C’est une ville cosmopolite. L’enjeu est qu’elle n’efface pas cette présence des nations en son sein pour s’unifier autour d’une seule religion, d’une seule loi, d’un seul temple. Tout ce qui est sous le ciel a une place en attente dans cette ville, pourtant capitale d’un peuple particulier.

Et il y a une liste de pays. Douze pays, plus Rome, une ville, et de plus des Crétois et des Arabes, en liste complémentaire. Comme si se dessinait ici une nouvelle organisation, n’effaçant pas le douze de la complétude, mais proposant déjà un autre centre de gravité, Rome, qui permet d’accueillir au-delà de la complétude, figure d’une surabondance.

 

Que s’est-il passé ?

On remarque l’opposition entre le fracas sonore, le vent violent qui remplit la maison, les langues de feu qui arrivent d’une part, les paroles discernables, le souffle saint qui remplit chacun et le partage des langues. L’irruption de la scène sinaïtique où rien n’était discernable sur la montagne se mue en l’émergence d’un nouveau régime, où chacun est porteur de ce qui s’annonçait pour l’ensemble du peuple. Les langues sont précisément comme de feu : elles ne brulent pas ceux qu’elles touchent mais rend ces derniers brûlants par leur parole.

« 4 Et ils furent tous remplis du Saint Esprit, et se mirent à parler différemment en langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. » L’effet de l’Esprit est dans l’ordre du parler. Non pas sous forme de nouvelles langues apprises, mais dans la manière même de parler. Parler autrement sa langue. Une langue permet de communiquer, de transmettre et recevoir des informations, de donner des ordres ou des conseils… Mais elle permet aussi de laisser entendre ce qui ne peut se dire dans le sens des mots et des phrases. Une façon de parler qui rejoint l’autre à son plus intime : « 8 Et comment les entendons-nous dans notre propre dialecte à chacun, celui dans lequel nous sommes nés ? »

Nous savons bien, au fond, de quoi il s’agit. Quand nous lisons des textes bibliques, nous dépassons le fait qu’ils contiennent un sens, qu’ils ont quelque chose à nous dire, sur le registre d’une information[3] ou sur le registre éthique. Nous expérimentons qu’ils nous donnent d’entendre une parole personnelle, adressée à chacun différemment[4], bien qu’il s’agisse d’un texte unique qui est lu. Certain parlent de la voix des textes, car nous ne savons pas vraiment ni d’où elle vient, ni qui en est l’origine.

Eh bien, dans ce texte, nous est offert de découvrir qu’il en est de même quand nous parlons. Quand nous en restons au registre de ce qui est dit, nous ne faisons que communiquer. Mais quand la manière de dire, les circonstances de la rencontre, ce qui est engagé de chacun dans sa parole deviennent centraux, nous vivons entre nous, et surtout pour les autres, une Pentecôte. Alors peuvent s’entendre les merveilles de Dieu (v. 11) dans toutes les langues et non seulement dans la langue juive, sa culture, sa tradition, sa religion.

« 6 Cette voix étant survenue, la foule s’assembla, et elle fut confondue parce que chacun les entendait parler dans son propre dialecte. » Hors la maison est perçu un son comme une voix. Elle a un effet d’appel qui amène le rassemblement de ceux qui étaient dispersés. Le texte ne précise pas que les disciples sont sortis de la maison. Comme si cette maison était une figure de Jérusalem, comme si cette ville était une maison où chacun, quelque soit son origine, pourrait habiter. Le propre (dialecte) de chacun peut être le lieu où la Parole peut s’entendre. Cette expansion de ce qui s’est passé initialement (l’Esprit Saint en chacun des disciples) prend le chemin de ce qui peut s’entendre dans les choses dites en toute langue.

Deux réactions sont enregistrées par les témoins. Une stupéfaction suivie de perplexité qui se traduit en question « Qu’est-ce que cela veut être ? » Non pas un qu’est-ce que c’est qui s’interrogerait sur la nature du phénomène, mais l’intuition qu’il y a derrière tout cela une volonté dont on ignore le contenu ou le sens. D’autre part « 13 D’autres, se moquant, disaient : Ils sont remplis de vin doux. » L’observation que les disciples sont remplis de quelque chose qui donne de parler autrement est interprétée par l’excès de boisson. Subtilement le texte fait allusion au banquet de la fin des temps. Mais pour les témoins cela ne peut encore être arrivé : « 15 Ces gens ne sont pas ivres, comme vous le supposez, car c’est la troisième heure du jour. » Mais c’est ce qui est annoncé par le prophète Joël qui parlait de la fin des temps sous la figure du jour du Seigneur (v. 20). Oui, cette Pentecôte en son accomplissement est le grand jour, ou tout au moins dans les derniers jours (v. 17).

« 14 Alors Pierre, se levant avec les onze, éleva la voix, et énonça […] » Le texte enregistre que Pierre parle d’une manière particulière : élever la voix, qui dépasse l’indication qu’il parle fort, énoncer qui signale une manière particulière de parler. Pierre, avec les onze qui se lèvent avec lui pour signaler qu’il ne parle pas en son nom propre mais avec les autres apôtres, parle autrement comme l’Esprit lui a donné de pouvoir faire.

 

La citation du prophète Joël

Elle vient éclairer ce qui se passe tout en rappelant à la mémoire que tout cela avait été dit en son temps. La citation permet d’interpréter ce qui se passe, proposant à ceux qui restent en suspens sur un à quoi cela rime-t-il ? de rechercher dans leur tradition une réponse qui n’avait pas encore été entendue, car l’accomplissement dont il est parlé n’était pas à l’ordre du jour. Et à ceux qui ont une explication toute faite de se dégriser de leur certitude.

Nous ne commenterons pas en détail cette citation de Joël. Nous signalerons juste quelques pistes à suivre : les figures des personnages utilisées (sexe, âge) ne sont pas référées à la piété[5], ce qui se voit dans le ciel et ce qui se voit sur terre ne s’interprètent pas de la même façon[6], la métamorphose des astres (lune et soleil) qui depuis la création (Genèse 1) rythme le temps humain.

« 21 Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » Avec tout cela, que veut dire invoquer le nom du Seigneur ? Il y a des manières de parler qui s’ancre dans un Autre que soi…

 

 

[1] Les semaines en hébreu. La fête clôt un ensemble de sept semaines après Pessah, la Pâques.

[2] Elle avait déjà reçu l’Esprit en sa chair.

[3] Sur Dieu, l’Eglise qui nait, les apôtres…

[4] Car nous sommes tous différents. L’unique parole, adressée, vient s’inscrire au cœur même de nos différences.

[5] Cf. v. 5.

[6] Du prodige qui en met plein la vue au signe qui en met plein les oreilles…