Jean 16, En écoutant Jean Delorme IV

François GENUYT, notes prises sur les conférences données en Savoie, 1998-99.

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Le testament spirituel de Jésus

Selon Jean 13-17

IV. Dernières paroles en vue d’une nouvelle parole (16, 5-33)

Ce chapitre met un terme à l’entretien entre Jésus et ses disciples. Jésus insiste sur ce qu’il dit, n’a pas dit, aurait pu dire, les disciples ne posent plus de questions et sont plus ou moins dépassés par ce qu’il annonce. L’heure vient : l’entrée dans le silence prépare un autre régime de parole.

Le discours se laisse diviser assez facilement : dans une première partie (5-15), il s’agit surtout de la venue prochaine de l’Esprit (le Paraclet, l’Esprit de vérité) ; la seconde partie (16-33) est centrée plutôt sur la venue de Jésus lui-même sous forme d’une parole mystérieuse. Au chapitre 17 Jésus parlera encore longuement, mais, dans une dernière prière, c’est à son Père qu’il parlera.

4.1 Contre la tristesse, l’annonce de l’Esprit (5-15)

« Mieux vaut pour vous que je m’en aille » (5-6)

Premier constat fait par Jésus : « Je m’en vais et personne ne m’interroge : où vas-tu ? » Pas de retour en effet de la question d’autrefois : « où vas-tu » (13,36). Quant on a demandé une première fois sans avoir reçu la réponse attendue, on ne demande plus. Les disciples en restent là : ils ont compris qu’Il s’en va, et du coup ils sont tristes. « Je m’en vais vers Celui qui m’a envoyé », les disciples ne voient que la séparation, ils ne voient pas que la mission de Jésus est accomplie et qu’il n’est pas fait pour rester. S’ils pensaient à lui, ils ne seraient pas tristes…

Alors Jésus ajoute comme antidote : « Mieux vaut pour vous que je m’en aille ». Il retourne donc la situation : pour vous c’est triste, mais pourtant c’est votre bien. Pourquoi ? « Parce que si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous, mais, si je pars, je vous l’enverrai ». Au chapitre 14, c’était le Père qui, à la prière de Jésus, devait envoyer l’Esprit ; ici, c’est Jésus lui-même qui envoie. Ce qui suppose qu’entre temps, il a rejoint le Père. Dès lors, ce que fait le Père, c’est, en raison de leur unité, lui qui le fait.

Le Paraclet dans le Procès de Jésus (16, 7-11)

« Une fois venu, le Paraclet confondra le monde à propos de péché, et de justice et de jugement. A propos de péché parce qu’ils ne croient pas en moi. A propos de justice, parce que je m’en ais vers le Père et que vous ne me remarquerez plus. A propos de jugement parce que le prince de ce monde a été jugé ».

Il y a un grand procès qui se déroule, et il y a un Paraclet (un Défenseur). Certaines déclarations en effet dénotent ce cadre du procès, telle que « confondre le monde », ce qui s’entend d’un débat où l’un confond celui qui prétend se faire l’accusateur pour devenir finalement l’accusé. On a donc bien l’image d’un procès, – il faut entrer dedans.

Les acteurs du procès. Le procès met en cause Jésus et ses disciples face au monde. Mais n’imaginons pas que ce procès se tient devant un tribunal public qui aurait pour fonction de dire qui a raison, qui a tort. C’est un procès qui se déroule dans la conscience des croyants. C’est à ces derniers que le Paraclet est envoyé. « Le monde ne peut le recevoir, car il ne le connaît pas ». Les paroles du chapitre 15 préparaient déjà les disciples à affronter le débat où ils seraient mis en accusation ou en difficulté de croire. Ainsi le procès du monde contre la cause de Jésus ne se limite pas au procès historique qui a condamné Jésus, il va continuer, il continue déjà contre les disciples et leurs successeurs. Il y a toujours une mise en accusation du « croire » par les idées du monde.

Qu’est-ce que le monde ? On a toujours tendance à la mettre hors de nous. Mais si le procès se déroule devant la conscience des croyants, c’est que déjà le monde a pénétré leur conscience. Tout ce qui influence leur jugement et qui, dans ce jugement, menace la solidité de la foi, c’est « le monde ». Car la foi ne dispose pas d’une évidence, elle est soumise à interprétation. Plus loin le Christ reconnaître lui-même qu’il parle en « similitudes ». La tentation est de les rejeter du fait que elles ne renvoient qu’à des images. On voit donc que la foi est menacée par définition. On peut dire alors qu’elle est mise en procès. Le procès de Jésus continue. Et c’est la foi des croyants qui est menacée. Donc le rôle du Défenseur, ce sera d’affermir la conviction des croyants dans la justice de la cause de Jésus. Mettre le monde dans son tort, confondre le monde, persuader les croyants de la faiblesse des pensées du monde sur la réalité du croire, c’est cela le combat de la foi.

Comment le Paraclet plaide en faveur de la foi ? Par trois arguments :

a) « Il mettra le monde dans on tort en matière de péché parce qu’il ne croie pas en moi ». Le monde est dans le péché parce qu’il ne croit pas « Moi ». Ce qui ne veut pas dire que le monde ait conscience d’être dans le péché. Il a conscience au contraire d’être dans la justice. C’est à nous que l’Esprit fait apparaître le péché.

Que signifie le péché ? Cela veut dire n’être pas dans l’ordre voulu par Dieu ou n’être pas conforme au désir de Dieu. Croire au Christ, à son envoie par Dieu, c’est le bien de l’humanité. Ne pas croire en Lui, c’est le malheur du monde. Cependant ce monde, on ne peut pas le désigner du doigt, il est aussi en nous, il influe tout ce qui menace le croire paisible en Christ.

b) « Il mettra le monde dans son tort en matière de justice… du fait que je m’en vais vers le Père et que vous ne me remarquerez plus ».

L’Esprit retourne en signe positif, en faveur de la cause de Jésus, ce que nous subissons comme signe négatif, le fait qu’il n’est pas là, son absence qui nous fait souffrir – à tort, puisqu’elle vaut mieux pour nous cette absence. Mais on ne cesse pas de revenir là dessus : la nostalgie de la séparation nous reprend de temps en temps. On ne sait voir que la séparation, mais on ne voit pas que « c’est de votre intérêt qu’il y ait cette séparation ». L’Esprit vient pour nous dire que l’absence de Jésus est l’envers du fait qu’il est retourné au Père et donc que sa cause est juste.

c) « le monde sera mis dans son tort par le Paraclet en matière de jugement du fait que le Prince de ce monde a été jugé ».

La sentence de condamnation contre le Prince de ce monde est tombée. C’est fait. Quand donc a-t-il été jugé le prince de ce monde ? Lorsque s’est mise en marche le processus d’élimination de Jésus par la trahison de Judas. A ce moment, selon la déclaration de Jésus, « le Fils de l’homme a été glorifié et Dieu avec lui (13, 31). Ce qui signifie que dans le même temps la condamnation de Jésus à mort s’est retournée en condamnation définitive du Prince de ce monde. La glorification du Fils de l’homme manifeste, en même temps que sa victoire, la justice de sa cause.

L’identité du Prince de ce monde reste en suspens. S. Jean ne le montre jamais visiblement, toujours le Prince manigance « par derrière » ce qui concerne l’élimination physique de Jésus. Le Prince agit dans l’ombre à l’heure des ténèbres. Quant au « monde », il est mis en position instable. Il n’est pas condamné, il n’y a nulle part de jugement porté contre lui. Mais il est mis dans son tort dans la mesure où il est conduit à mettre en accusation Jésus ou l’œuvre de ce dernier. On suppose que la condamnation du Prince de ce monde laisse au monde l’éventualité d’un salut. « Le Fils de l’homme est venu pour sauver le monde, mais pas pour le juger ».

L’action de l’Esprit de vérité dans les disciples (16, 12-15)

« J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter à présent. Quand il viendra Celui-là, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers toute la vérité ».

L’Esprit quitte son rôle d’avocat pour celui de guide. Ce changement est devenu nécessaire par la cessation prochaine des paroles de Jésus de l’aveu même du Maître : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire ». La somme des vérités à dire n’est donc pas encore atteinte. Pourtant les paroles mises dans la bouche de Jésus selon l’évangile de Jean, cela fait déjà une belle collection de vérités enseignées par le Maître. Cette collection est totale parce que le livre s’arrête et que l’on ne peut rien n’y ajouter. Elle est totale et pourtant incomplète. Jésus reconnaît qu’il a encore des choses à dire. A sa mort, on disposera de la collection complète de ce qu’il a dit alors qu’il n’a pas dit tout…

« L’Esprit de vérité vous guidera vers toute la vérité ».

Face à la collection inachevée des vérité enseignées par Jésus, il y a « toute » la vérité vers quoi mène l’Esprit. On opposera en surface les vérités incomplètes enseignées pas Jésus, et toute la vérité visée par l’Esprit. Mais attention : « toute » la vérité ne peut être la somme complète de ce que Jésus a dit, plus la somme de ce qu’il n’a pas dit. L’Esprit saint n’ajoutera rien à la collection incomplète des paroles de Jésus. Mais si vous gardez la mémoire de ses paroles, l’Esprit vous conduira vers « toute la vérité ». Toute la vérité, on peut dire qu’elle est au delà de cette collection. Elle n’est pas de l’ordre des vérités qui s’ajoutent les unes aux autres. Elle ne fait pas nombre. Elle n’est pas une révélation nouvelle, disons qu’elle est la révélation. En quel sens ?

On peut approcher de la solution par quelques exemples. Prenons les poésies de Victor Hugo : même dans une édition complète, elles ne nous donnent pas toute la poésie. La poésie habite le poème, elle s’en dégage, mais aucun poème ne l’emprisonne. Elle est inépuisable. Autre exemple : quelqu’un peut se confier à vous, et au cours de l’entretien tirer peu à peu de son fond ses « vérités ». Ces vérités une fois reclassées ne sont pas « toute la vérité » et pourtant pour celui qui l’écoute, il dit vrai. La vérité est une propriété de ce qui est dit. Il en va ainsi des paroles de Jésus : elles sont vraies, quelqu’un les a dites et a mis son interlocuteur dans le vrai, c’est-à-dire dans le vrai du bonheur, de la vie. La vérité n’est pas uniquement de l’ordre de la connaissance, mais de l’ordre de la relation entre deux sujets qui communiquent et s’entendent sur ce qui fait vivre.

Le rôle premier de l’Esprit, c’est de nous convaincre que les paroles de Jésus sont vraies. Se tenant du côté des disciples, il les conduira vers toute la vérité, « toute » non en quantité mais en qualité. Jésus a parlé successivement en ajoutant des paroles à d’autres et sans pouvoir tout dire. Sa mort fera de ses paroles, mêmes incomplètes, un tout. Et l’Esprit fera que ses paroles, mises par écrit, « parlent » et ne restent pas lettre morte. Enfin, il fera entendre que dans ses paroles au Autre qui parle, car « il ne parlera pas de lui-même, mais il dira ce qu’il entend et il vous annoncera les choses qui viennent ».

« Celui-la me glorifiera, car c’est de ce qui est à moi qu’il prendra et vous le communiquera. Tout ce qu’a le Père est à moi, c’est pourquoi je vous dis : il prendra de ce qui est à moi et vous le communiquera ». Le dire de l’Esprit, c’est le dire du Père et du Fils. Ce qu’il prend du Père et du Fils, c’est leur bien commun. Voilà ce qu’il entendra et communiquera. On est là entre la parole et l’être. L’Esprit prendra de « l’être » commun au Père et au Fils, et il vous le communiquera. On peut se demander si on ne dépasse pas l’ordre du langage articulé pour entrer dans l’ordre de la communion – dans l’être. « Toute le vérité » serait d’être en communion avec le Père et le Fils par l’Esprit.