Recherche de conditions favorables à la lecture biblique dans le cadre de la pastorale sacramentelle [1],
Colloque du CADIR: Regards croisés sur l’énonciation, à l’Institut Catholique de Lyon, 24 et 25 avril 2009.
Introduction
Nous sommes au lendemain d’un travail sur la pastorale du baptême des petits enfants dans le diocèse de Bordeaux, où se situe l’expérience ici évoquée. Ce travail fut initié au conseil presbytéral et conjointement au conseil pastoral diocésain. Un document en est issu qui diffuse ses résultats, sous forme d’orientations pastorales puis de fiches pratiques et théoriques, auprès des laïcs, diacres, prêtres engagés dans cette pastorale [2]. Appelé depuis trois ans à prendre en charge les sessions de préparation au baptême des petits enfants dans le diocèse, j’avais été invité à une partie des travaux des conseils et j’ai contribué à la rédaction des documents. Echanges d’expériences, difficultés rencontrées, confrontations entre pratiques, se sont révélées utiles pour situer la lecture biblique dans cette pastorale, préciser ce qui y fait obstacle, ouvrir des pistes, relancer le débat entre théorie et pratique de la lecture.
Reconnue, la Bible ? Oui ! Lue ? C’est autre chose !
Depuis le concile Vatican II, la place de la Bible est reconnue comme centrale dans la vie pastorale. En pastorale sacramentelle cela semble aller de soi, car il n’est pas de célébration de sacrement (ou sacramental) qui n’inclue une liturgie de la Parole, donc des lectures bibliques. En catéchèse, aumônerie, catéchuménat, la référence au texte biblique est également considérée comme incontournable. Les mouvements apostoliques et de spiritualité la prévoient aussi en bonne place. Mais suffit-il que des textes bibliques soient proclamés dans une assemblée pour qu’ils soient lus ? Et suffit-il de prendre le temps d’aborder le texte pour lui-même, pour qu’il soit vraiment lu ? Les propositions courantes des ouvrages de catéchèse, des fascicules pour la préparation des sacrements et autres manuels, ne nous semblent pas souvent garantir ce que nous appelons une lecture[3]. La lecture biblique telle que nous l’envisageons engage un rapport au texte clôturé, reconnu et offert par l’Eglise comme inspiré. Ce rapport vise l’écoute, par des êtres de chair vivant aujourd’hui, de la Parole qui vient de Dieu. Il s’effectue dans un respect au plus près de la texture originale de ce qui est donné à lire. Enfin la Parole entendue dans la lecture porte du fruit dans la vie sacramentelle et nourrit les relations fraternelles cependant que se construit le corps du Christ ressuscité. Lire en Eglise s’inscrit dans ce processus. La théorie comme la pratique de la lecture se doivent d’en tenir compte.
Amont et aval de la lecture.
Précisément la pratique pastorale nous conduit à considérer les conditions favorables à la lecture biblique non pas seulement ni même principalement au moment où l’on est réunis explicitement autour d’un texte biblique pour le suivre pas à pas. Un rapport aux personnes, à la parole et au texte même est déjà engagé en amont. En aval également la lecture retrouve une place originale dans le cours de la célébration liturgique. Puis elle suscite un écho au-delà, dans la vie du lecteur. En conséquence nous aborderons la question de la lecture dans l’ensemble du parcours qui précède la demande de sacrement, l’inclut ainsi que la préparation et la célébration, et prend enfin en compte l’écho de celle-ci dans la vie des personnes et de l’Eglise. Ainsi, dans le cas de l’accueil au baptême des petits enfants, on note l’importance de la façon dont les parents sont accueillis, de la qualité des documents que l’on leur remet, de l’entrée en relation au cours des réunions préparatoires au sacrement, toutes choses qui engagent entre autres les représentations que se font accueillants et accueillis de ce qu’ils sont et ont à faire, à être, a signifier. Dans la célébration du sacrement (ou sacramental) la lecture est à nouveau engagée au cœur de la liturgie et avec le sacrement la parole se fait chair. La vie en Eglise qui s’ensuit porte le fruit de la lecture et la réactive.
Mais attention, ces considérations ne visent pas à diluer l’acte de lecture proprement dit, qui s’effectue dans un groupe de lecture, en un temps délimité où des lecteurs se concentrent sur l’écoute, l’observation, l’interprétation d’un texte donné. Au contraire, ce temps-là nous paraît fondamental et nous cherchons à le promouvoir, convaincus que nous sommes qu’il n’y a aucune raison valable de le réserver à des érudits où à des moines, ni de se passer de moyens pour discerner ce qui s’y joue. Pour que ce temps-là soit appréhendé et vécu dans de bonnes conditions, il convient de le situer dans le parcours où il se prépare et s’accomplit.
1. Une question de foi
La relecture de la pratique et l’échange entre prêtres, diacres, laïcs engagés dans la pastorale a fait apparaître qu’un obstacle majeur à la lecture biblique dans la pastorale ordinaire était qu’on n’y croyait pas. Mais à quoi, au juste, ne croyait-on pas ? De proche en proche il s’est avéré que c’est sur l’ensemble du procès dans lequel est engagée la lecture et sur chacune de ses étapes que l’acte de foi est requis et souvent défaillant. Une citation de Maurice Bellet rejoint bien ce que nous expérimentons : « Si vénérable soit le texte, si bon soit-il de le dire et de l’entendre, si utiles soient les techniques de lecture et toutes les études conjointes [4], reste que le premier rapport que nous pouvons avoir à la Parole, c’est de l’entendre comme parole dans le lieu où en nous elle veut parler, et qui est cet éveil à la vie qui lui mérite le nom d’Evangile, heureuse nouvelle. Et cela peut venir par les voies les plus humbles et atteindre le plus humble des hommes [5]. »
1.1. Une foi qui se démultiplie en divers lieux.
Ce parcours vivifiant de la Parole évoqué par Maurice Bellet renvoie à une série de lieux en lesquels apparaît requise la foi de ceux qui désirent être à son service. Leur foi, c’est-à-dire leur confiance en ce qu’ils ne peuvent maîtriser, qui en bonne partie leur échappe, mais demeure impérativement à honorer, car c’est par là que vient la vie, pour eux et pour tout humain.
- Foi en la Parole qui veut parler en nous. Tout ensemble foi en elle, en la puissance de cette semence impérissable et foi en sa volonté de parler en nous, humains.
- Foi au plus humble des hommes considéré comme « être de parole », susceptible autant que quiconque d’abriter ce lieu (fut-il un espace intérieur inconnu de lui-même) et apte à s’y laisser rencontrer par la Parole. Foi en l’homme en son humilité.
- Foi dans le sacrement et à son aptitude à signifier et réaliser dans nos corps ce que dit la Parole. Sacrement qui offre la semence de la Parole au corps qui la reçoit, lui permettant de déployer sa capacité et faire grandir telle une plante le corps du Ressuscité en qui les hommes deviennent Fils du Père, frères en Christ.
- Foi dans la convocation universelle (traduction au plus près de l’étymologie de l’expression Eglise catholique telle qu’elle apparaît dans le Symbole des Apôtres). Foi en l’œuvre du Père attirant par le Christ, Parole faite chair, tout homme en son corps de gloire.
Il arrive que ce soient les enfants qui, par la justesse de leur réaction, orientent l’attention de leurs pédagogues sur la primauté de la Parole qui leur vient par eux d’un Autre. Ainsi en témoigne une catéchiste : « Nous avons choisi de suivre une pédagogie s’inspirant de celle que Dieu a déployée envers l’humanité. Nous n’avons pas de programme mais seulement cette Parole qui parle aux enfants et que l’on présente progressivement. Or ils la comprennent : ‘Lis dans la Bible : je comprends mieux quand c’est Dieu qui dit !’ m’a demandé un jour une petite Liana à laquelle je racontais l’histoire du combat de Jacob avec l’ange » [6]
1.2. On n’y croyait pas… on commence à y croire !
Combien de fois avons-nous entendu des frères prêtres douter quand nous leurs disions que des parents d’enfants à baptisés, des fiancés, des parents en catéchèse, bref des personnes peu familières de la Bible et peu pratiquantes, pouvaient lire avec bonheur les textes bibliques ! Cependant les choses évoluent. Beaucoup pensent désormais ce rapport aux sources désirable, indispensable. Alors la question se déplace : comment s’y prendre pour cette lecture ? Et pas seulement la lecture des textes spontanément choisis par les parents et apparemment simples : « laissez venir à moi les petits enfants ». Mais surtout quand les textes évoquent explicitement le mystère pascal et la nécessité d’être plongés dans la mort du Christ pour ressusciter avec lui. (Ro 6)
Comment s’en étonner ? Il n’y a foi qu’au prix d’une traversée du doute toujours reprise. Cette foi que nous posons à juste titre dès le commencement, fait l’objet d’un combat et se conquiert précisément sur les obstacles rencontrés en toute occasion. C’est en relisant notre pratique pastorale que nous en retrouvons la trace. Il s’agit moins ici d’une théorie de la lecture et de ses conditions (qu’il demeure fort utile d’élaborer) que d’une mémoire raisonnée de son évolution dans notre pratique. Elle nous fait remarquer que c’est progressivement, par conversions successives, que cet acte de foi a trouvé ses lieux précis, distincts et articulés [7].
La parole n’est pas ce qu’on imagine en savoir.
En même temps que lève cette unique foi sur des terrains divers mais articulés, se posent les balises d’un chemin de vie personnelle et les conditions d’un métier de pasteur. Métier car le ministère ne demande pas seulement la piété, l’érudition, la pédagogie, la disponibilité, le bon cœur, mais nous donne des pratiques précises à recevoir et à servir. Ces pratiques offrant à tout un chacun accès à des sources dont la maîtrise nous échappe mais dont la fécondité nous remplit de joie.
Cette foi qui « marcotte » tout au long du parcours inspire les équipes (parfois appelées ateliers pour mieux manifester le côté artisan, artiste, cent fois sur le métier remettant son ouvrage) de ceux qui accompagnent au baptême, mariage, et aux obsèques. Laïcs, religieux religieuses, prêtres et diacres, au service de l’accueil, de la préparation, de la célébration et de son écho chez nos frères, nous y lisons et relisons sans cesse, en regard avec les textes proposés pour la célébration et les phases du rituel, ce que nous entendons et éprouvons en pastorale (retour sur lectures bibliques et célébrations, études de cas,…). Cela nous permet d’identifier des obstacles, de dégager des voies favorables, sans jamais prétendre dominer d’avance le parcours que feront les personnes ni figer une manière de faire comme définitive.
2. Identification d’obstacles majeurs à la lecture par tous
Ils sont en rapport avec nos doutes, et leur cohérence sur différents plans se révèle peu à peu.
2.1. Doute sur la capacité des personnes à lire, du point de vue des accueillants :
- Soupçon porté sur la démarche de demande de sacrement, souvent dès le premier accueil : « Pourquoi faites-vous baptiser votre enfant ? » Alors que le rituel les questionne ainsi : « Que demandez-vous à l’Eglise ? » Réponse : – « Le Baptême » – « Et que donne le Baptême ? » – « La foi ! »
- Dévaluation de leur connaissance : « Ils ne savent rien, n’ont plus aucune culture chrétienne : pour que le sacrement soit reçu dans de bonnes conditions il leur faudrait une formation préalable ».
- Méconnaissance de leur désir. « Ce n’est pas le sacrement qui les intéresse. Ils sont à cent lieues de ces questions de foi. Ce qu’ils recherchent c’est une fête ».
Certes la demande de baptême peut laisser à désirer dans sa formulation, mais questionner au lieu d’accueillir induit ou renforce le doute, souvent à la fois, sur leur demande, leur connaissance, leur désir. Donc sur leur expression, leur parole. Et comment seraient-ils enclins à lire, en vue d’entendre une Parole là où elle veut leur parler, si l’on doute de leur propre parole ? Ce que le soupçon fait est méconnaître c’est : le lieu où la parole veut se faire entendre, qui est cet éveil à la vie qui lui mérite le nom d’évangile, heureuse annonce ! Ces personnes qui s’approchent seront-elles soupçonnées par des accueillants estimant avoir une relation privilégiée avec Jésus (disciples ?) de n’être pas dans les meilleures conditions pour s’approcher ? Cette méfiance peut les amener à intérioriser une vision négative d’eux-mêmes. « Je ne sais pas si je mérite le baptême ! ». Le baptême serait-il réservé à des personnes qui le mériteraient ?
2.2. Doute sur la capacité des personnes à lire, de leur propre point de vue.
- « Je ne suis pas croyant, pratiquant, connaisseur de la Bible, intellectuel, digne ! Qu’est- ce qui m’autoriserait à entrer dans la lecture commune du texte, à m’exprimer à son sujet ? »
- « Le baptême n’est pas mon choix, je suis venu accompagner mon conjoint, des amis qui m’ont demandé d’être parrain. La lecture ne me concerne pas ! »
- « Je ne sais pas m’exprimer ! »
- « Mon mari, je le connais, il ne parlera pas ! » (Grand est parfois l’étonnement de qui pensait cela et voit son conjoint prendre part active à la lecture).
2.3. Présentation défectueuse du texte [8]
L’observation attentive de la présentation des textes dans les livrets et lectionnaires permet de repérer quelques défauts préjudiciables à la lecture.
- Défaut de distinction du texte biblique dans sa présentation éditoriale parmi des textes non bibliques. Dans certains livrets de préparation au baptême, les textes bibliques figurent parmi d’autres au risque d’être confondus avec des poèmes, des pièces de littérature. Si bien que, lorsqu’on demande aux parents quelle lecture ils ont choisie, ils répondent : « Trouver dans ma vie ta présence », titre d’un chant très connu, ou encore : « Vos enfants ne sont pas vos enfants », Extrait célèbre de Khalil Gibran, Le Prophète. A quand l’Evangile selon Yves Duteil et le passage : « Prendre un enfant par la main » ?
- Texte « censuré » ou mal découpé. Au préjudice du mouvement du texte et des figures qu’il met en discours, on n’en présente qu’un morceau ou pire des petits morceaux.
- Texte mal traduit, au préjudice des figures. C’est particulièrement visible pour les figures de conjonction. On a tendance à traduire par uni, (avec les risques de dérive vers une union fusionnelle que cela comporte) ce que le texte grec formule de façon beaucoup plus subtile, impliquant la présence d’un tiers qui, tout à la fois, abolit la fusion imaginaire des deux, tout en les attirant vers lui. C’est le cas pour la parole du Seigneur souvent traduite: « Ce que Dieu à uni que l’homme ne le sépare pas », qu’il serait plus juste de traduire : « Ce que Dieu à mis sous le même joug, que Dieu ne le sépare pas »(Mt 19, Mc 10). La figure de la « conjugalité » préserve la distinction entre les deux et l’importance du tiers qui conduit leur attelage. C’est encore le cas dans le lectionnaire du baptême, pour le texte de Paul aux Romains (Ro 6, 5) « Si nous lui avons été totalement unis par une mort semblable à la sienne,… ». Or la traduction précise du grec donne ceci : « Car si c’est une même plante que nous sommes devenus avec le Christ par une mort semblable à la sienne », figure qui suggère l’exposition de la plante à l’action du tiers, du Père qui la fait croître et la porte à fruits.