Notes
[1] Deux précisions : la première consiste à considérer les montages théologiques comme venant à la suite de la lecture, plutôt que se servant des textes pour les interpréter, ou les légitimer. La deuxième porte sur le choix de la démarche de lecture. Je me contenterai ici d’une citation : « « L’acte de comprendre nous implique dans le procès de la transmission où se médiatisent constamment le passé et le présent. L’herméneutique occupe l’espace intermédiaire entre la distanciation que créent la connaissance historique et l’appartenance à une tradition. Le temps n’est pas pour elle un abîme qui sépare et éloigne ; il est, au contraire, le fondement où le présent plonge ses racines. La fécondité herméneutique de la distance temporelle ne signifie pas seulement que le temps est plus une chance qu’une menace pour celui qui veut comprendre ; elle nous avertit que nous sommes affectés par le passé, bien au-delà de ce que nous révèle l’objectivité du savoir historique ». (Gadamer, encyclop.univ. Art. Jean Greisch)
[2] Michel Henry, L’Incarnation, Paris, 2000, p.153.
[3] Bruno LATOUR, Petite philosophie de l’énonciation, (Texte paru dans P. Basso & L. Corrain (dir.), Eloqui de senso. Dialoghi semiotici per Paolo Fabbri, Orizzonti, compiti e dialoghi della semiotica. Saggi per Paolo Fabbri, Milano : Costa & Nolan, p.71-94) Texte disponible sur http://revue-texto.
[4] E.Benveniste, Problèmes de linguistique générale, 2, 1974, Paris, Gallimard., p. 68.
[5] Nous suivrons ce texte grec de la Septante, tel qu’il est traduit Par Marguerite Harl, dans la Bible d’Alexandrie, la Génèse, Paris, 1986.
[6] Ces diverses figures proviennent des nombreuses versions de la Bile, l’hébraÏque, les grecques, la syriaque, l’araméenne…
[7] J.L. Austin qualifie cet acte de dire de « performatif ». Quand dire c’est faire, Éditions du Seuil, Paris, 1970 (Traduction par Gilles Lane de How to do things with Words: The William James Lectures delivered at Harvard University in 1955, Ed. Urmson, Oxford, 1962). Je note ce terme technique, notamment parce qu’il est utilise par Benoit XVI, dans son exhortation Verbum Domini, dans le paragraphe 53, intitulé « la sainte Ecriture et les sacrements) : « dans le rapport entre la parole et le geste sacramentel, l’action même de Dieu dans l’histoire est manifestée sous la forme liturgique à travers le caractère performatif de la Parole ».
[8] Le prologue de l’évangile de Jean prend la main de ce texte de la genèse et en prolonge le chemin. A la suite de nombreux pères de l’Eglise, Michel Henry ouvre largement cet espace. Voir notamment « L’incarnation », une phénoménologie de la chair, Paris 2000, p. 323-329 (les degrés de la passivité : de la Genèse au prologue de Jean). Voir également, « l’Epreuve de la vie », Paris, 2001, et surtout « Paroles du Christ », Paris 2002.
[9] Jean Calloud, L’acte de Parole, une analyse du récit de la création en Genèse. Dans Etudes littéraires, vol.16, n°1, 1983, p.13-38. Cet article est disponible sur le web à l’adresse : id.erudit.org/id.erudit/500593ar. D’une façon analogue au parcours que je vous ai proposé pour la règle de Matthieu en suivant l’article de Louis Panier, je mets mes pas dans les pas de cet article de Jean.
[10] A la lecture de ces dix premiers versets, il apparaît clairement qu’il est vain de vouloir additionner les sens de chaque mot ou de chaque phrase pour accéder au sens du texte. En faisant l’hypothèse de l’énonciation, nous nous plaçons dans le cadre d’une mise en discours, que le déroulement des énoncés représente. De ce point de vue, ce qui nous est donné à lire est un tissage de multiples fils, c’est-à-dire de lignes de signification, ou encore d’enchainements discursifs, relevant de diverses manières de parler de la vie. Ces poussées de la parole apparaissent tantôt à la surface, tantôt en arrière fond. Et surtout, elles interagissent constamment, d’un bout à l’autre du texte. S’il y a donc un travail d’observation dans la lecture, c’est en raison même de ce que le Seigneur montre, à savoir un tissu, qu’il ne convient pas de déchirer en l’analysant, mais de le regarder et de nous parler de ce que nous en voyons, sa texture, ses desseins, et ses couleurs. Savoir beaucoup de choses peut aider à deviner la portée de tel ou tel détail. Mais il est souvent un handicap, car il brasse trop et regarde moins. En fait, la lecture s’apparente à un travail d’artisan. Ceci me rappelle une heureuse rencontre : c’était un menuisier, fils de menuisier. Dans son village pyrénéen, qui s’était fait une place dans les plis des montagnes, un grand nombre d’armoires, de buffets et de tables étaient sortis de son atelier. Il était de nature plutôt silencieuse, mais ce matin là il parlait. Avec ses yeux, ses mains, et des mots simples, précis, étonnamment mobiles et riches. Avec des phrases vivantes qui caressaient les objets, traçaient des chemins inattendus et offraient des points de vue, rudes et tendres à la fois, sur la vie des gens du pays. Pas de plainte sur les conditions économiques difficiles de sa petite entreprise. Pas de regret non plus sur la grange mitoyenne que son père avait vendue à un cousin. Seulement le bois, le respect du bois, la connaissance du bois. Et ses outils et l’héritage infiniment précieux des savoir-faire. Et puis encore une surprenante sagesse à propos des hommes. J’ignorais qu’il pouvait se dire tant de choses sur le pays et ses habitants, dans un atelier de menuiserie, autour d’une chaise, d’un lit, d’une porte. Je crois que c’est ce type de lecture de la Bible que je rêve depuis cette rencontre. Ce fils de menuisier n’était pas un savant, un intellectuel, ou quelque chose de ce genre. Il était assidu, comme ce que racontent les actes des Apôtres à propos de la jeune communauté de Jérusalem concernant l’enseignement des apôtres et la communion. Et il avait eu un bon apprentissage. Chez son père. N’importe quel lecteur peut devenir « grand pareil » à ce menuisier, s’il accepte d’apprendre avec d’autres artisans de la lecture, en lisant, avec assiduité, rigueur et patience. Quelques cours en alternance peuvent aider ceux parmi eux qui souhaitent servir en continuant le métier.
[11] Une architecture en mouvement, comme l’écrit Jacques Ellul à propos de l’Apocalypse de saint Jean. « L’apocalypse, architecture en mouvement, Paris, 1975.
[12] Paul Ricoeur, Temps et récit, trois tomes, Paris 1982-83-84. Le dernier tome a pour titre le « temps raconté ».
[13] Concernant la diversification, les éléments figuratifs mis en avant signalent des critères bien particuliers. C’est comme si leur pertinence s’appuyait, par avance, sur le rapport des hommes et des animaux : animaux domestiques, insectes et animaux sauvages.
[14] Nous reviendrons sur ce lieu de rencontre et de couplage entre la Parole et son énonciation lorsque nous aborderons la genèse des « signifiants ».
[15] Bernard Ronze, le dernier repas ou l’avènement du réel, Paris, 1991.
[16] Origène, Peri Archon, 1,2,8, dans Source chrétiennes 252, p.127-129.
[17] Saint Maxime le Confesseur, la vie de Moïse, n°89 (CSCO 479, p77.)
[18] Exhortation apostolique de Benoit XVI, Verbum Domini, Vatican, 2010, n°12. Anne Fortin ajoute, dans l’article de sémiotique et Bible n°146 de mars 2012 intitulé « le silence au sein de la Parole », p31 : « Ainsi, l’Eglise n’est pas la propriétaire de la Parole à transmettre, car ce dont elle témoigne c’est de ces effets. L’Eglise se fait témoin de la Parole reçue : c’est en tant que sujet affecté, touché, que l’Eglise devient sujet de parole. »
[19] Michel Henry, L’Incarnation, Paris, 2000, p.175-176.