Notes
[1] Voici comment parle un historien contemporain : « L’histoire, on le sait, a vocation d’enseignement dans le temps même où elle s’écrit, et le message que l’on veut faire passer guide et oriente inévitablement la reconstruction des événements. Il serait vain, en ce qui nous concerne, de prétendre échapper à cette loi et, sous prétexte que nous nous fondons sur une documentation plus complète, reconstruire ici l’histoire ‘vraie’. Au contraire : l’abondance et la diversité des sources, tout en éclairant nombre de points obscurs et en ouvrant des perspectives inattendues, soulignent les manques et les paradoxes d’une histoire où s’affrontent et s’entrechoquent des cultures différentes et des intérêts nationaux contradictoires. Ainsi l’histoire que nous présentons ici (…) nous est-elle apparue comme exemplaire des multiples strates et facettes d’une vérité inaccessible. A l’inverse d’une peau de chagrin, qui avec le temps rétrécit jusqu’à disparaître, le récit historique, partant de la trame compacte des événements tels qu’ils sont apparus aux témoins, ne cesse, grâce aux documents ignorés de ceux-ci, d’en étendre et d’en développer infiniment le tissu de telle sorte que, s’il couvre une réalité de plus en plus vaste, la trame, plus lâche, s’en ajoure toujours davantage. Ainsi, entre les fils que constituent les témoignages des faits vécus, les rapports administratifs, les légendes constituées et les hypothèses des interprètes, prend place l’espace vacant de ce qui nécessairement échappe à la conscience des acteurs et qui est l’espace même du récit ».(M.D. Grmek et L. Lambricks, Les révoltés de Villefranche. Mutinerie d’un bataillon de Waffen-S.S., septembre 1943, Paris : 1998, Seuil : 379, p.8 et 9)
[2] Cf. « le sens littéral, un sens construit », dans : dahttp://promethee.philo.ulg.ac.be/engdep1/download- /bacIII/sens%20litt%C3%A9ral.htm
[3] Sur Google, termes de recherche : Exégèse, sens littéral, Antioche et Alexandrie, etc. Dans l’Encyclopédie Universalis, article de André Paul, « écriture, (les sens de l’) ». [rechercher : sens littéral].
[4] Jean Calloud, Postface au livre d’Isabelle Donegani sur l’Apocalypse. Jean Calloud, En genèse 6 à 9 : le récit du déluge, Sémiotique et Bible, n°148, décembre 2012, pp.43-60.
[5] Julia Kristeva, préface de Michail Bakhtine, la poétique de Dostoievski, Paris, 1970.
[6] René Major, « Jacques Derrida, lecteur de Freud et de Lacan », Etudes littéraires, n°38, p.165-178.
[7] Tzvetan Todorov, Mikhail Bakhtine, le principe dialogique, 1981.
[8] Jacques Lacan, Autres écrits, Lituraterre, p.11-20, Paris 2001.
[9] Paul Ricoeur, La métaphore vive, Paris, 1975.
[10] François Martin, Pour une théologie de la lettre, 1996.
[11] Julia Kristeva, o.c. p.9.
[12] Par ensemble des systèmes signifiants, on entend la littérature, mais aussi les conversations, les gestes, mais aussi les productions culturelles (peinture, sculpture, cinéma, musique), le droit, l’organisation de la société et l’impact des événements.
[13] Jean Calloud, Le temps de la lecture, Paris, Cerf, 1993, p.33.
[14] Nous tenons ce choix épistémologique de A.J.Greimas, Du sens, Etudes sémiotiques, Paris, Seuil, 1983, p.58. Puis nous avons suivi l’orientation de Jacques Géninasca, La parole littéraire, Paris, PUF, 1997.
[15] Jean Calloud, o.c.,p.36.
[16] Nous avons appris à lire en lisant. Au long de cette pratique, nous avons pris des habitudes, des bonnes et des moins bonnes. L’état de notre chemin est mobile et, de plus, il y a ce dont nous avons pris conscience et ce qui, à notre insu, refuse d’être délogé. Il y a aussi le travail en groupe, qui noue et dénoue les choses, pour le meilleur et pour le pire. Bref, beaucoup d’autres choses sont en jeu que ne règlent pas une bonne théorie du texte. Chaque fois qu’un lecteur prend la parole dans le groupe il pose un certain geste de lecture. Très vite nous constatons la diversité grandissante de ces propositions, souvent à peine esquissées. Bientôt nous butons sur la difficulté d’articuler ces bribes de signification. Je souhaite m’en tenir ici à l’une ou l’autre de ces articulations difficiles, ou défectueuses ou manquantes. Commençons par le narratif. Il s’agit d’une dimension de la construction du texte qui n’est plus à la mode. Quels que soient les motifs de cette désaffection, j’en rappelle l’aide que ce premier travail apporte à la mise en lecture du groupe. Ayant écouté le texte, nous nous trouvons devant un ensemble d’éléments qui dépasse nos capacités d’en saisir immédiatement le sens. A moins bien sur que nous nous précipitions sur une « lecture convenue », déjà là, ou réclamée avant de lire. Le découpage en séquences nous conduit vers des ensembles plus petits et favorise notre débrayage des projections les plus spontanées sur le texte. L’outil de mesure de ces séquences est le relevé des acteurs, des espaces et des temps. Chaque fois qu’un de ces indicateurs est modifié, on peut d’attendre à une nouvelle opération du texte. Mais il y a dès ce moment plusieurs risques. Le premier consiste à oublier que l’usage de la langue fonctionne par contraires. Le blanc est une couleur s’il est corrélé avec le noir. Si je raconte une conversation et que je dis : « soudain, il y a eu un blanc », ce mot ne signale plus une couleur, mais un espace vide, ou comme nous disons encore « un ange qui passe ». Or c’est le texte qui sélectionne et place ces corrélations. Et ce sont elles qui comptent pour entrer dans le monument du texte. Ainsi, si l’on fixe son attention sur un acteur, il convient d’emblée de le référer à un objet, car ce sont des relations que le texte construit et pas des additions de sens sur la base de ce à quoi nous renvoi le mot-signe. Ensuite, toujours concernant un acteur, cette relation sujet-objet spécifique est elle-même corrélé à une autre construction où une relation analogue pose un écart. Il en est de même pour l’espace. Au minimum, saisir un ici implique qu’un ailleurs est posé quelque part dans le texte. Quant au temps, un maintenant est corrélé à un avant ou un après. Et dans la Bible çà se complique, témoin ce que dit Jean-Baptiste de Jésus : « il vient derrière moi et il est avant moi ». Ce n’est plus seulement une chronologie, cela ressemble à une présence oubliée. La mise en séquence se conduit à partir de ces différences. Une autre difficulté apparait dans la dimension signifiante du narratif. L’usage d’un modèle standard (manipulation, compétence, performance, sanction) a contribué à nous masquer la possibilité qu’un texte articule plusieurs modules dans un même parcours énonciatif. Ou autrement dit qu’il soit polyphonique ou encore qu’il organise un « dialogue » entre plusieurs mises en discours. Tzvetan Todorov écrit à propos Bakhtine : « Le discours dialogique se caractérise par le fait qu’il n’est pas seulement représenté mais renvoie en outre simultanément à deux contextes d’énonciation : celui de l’énonciation présente et celui de l’énonciation antérieure… et citant Bakhtine : « un seul discours possède alors deux orientations sémantiques, deux voies », dans Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique, Seuil, Paris, 1981, p.110.
[17] Gn.5,1-2 « Voici le livret de famille d’Adam: Le jour où Dieu créa l’homme, il le fit à la ressemblance de Dieu, mâle et femelle il les créa, il les bénit et les appela du nom d’homme au jour de leur création. »
[18] Robert Couffignal, L’arbre au serpent, Toulouse, 1993, p.21.
[19] Louis Panier, Sémiotique et théologie, Sem & Bible, n°148, 2012, p.35.
[20] François Martin, Pour une théologie de la Lettre, Cerf, Paris, 1996, p.165-166. Voir Bruno Latour, La clef de Berlin, Paris, 1993, p.226-251. Egalement Jacques Lacan, Séminaire, livre XI, chap.7, l’anamorphose.
[21] Julia Kristeva, o.c. p.15.
[22] Je souligne cet horizon particulier parce que le texte nous montre les matériaux avec lesquels il est écrit. Ces matériaux ne sont pas des idées universelles et stables, mais des archives de l’expérience humaine : la terre, les sources, la végétation, la pluie et le cultivateur. Ces archives sont du vécu. Classées d’une certaine façon, elles sont constamment réemployées, non seulement par les multiples civilisations et religions, mais par chaque individu, sans qu’il maîtrise vraiment comment ces traces lui reviennent. La recherche historico critique décrit à sa manière ces archives. A travers les écrits des chercheurs nous reviennent des représentations imaginaires de ces archives, dont personne ne peut atteindre le point zéro, parce que elles ne sont pas classées comme des idées, mais dans l’expérience mobile des « vivants ». Or ces matériaux sont mis en discours de façon singulière dans Genèse 2. On ne cherche pas à expliquer pourquoi les choses sont comme elles sont dans cet horizon paysan, mais à attester qu’il y a quelque chose avant…
[23] Paul reprend ce terme en 1Cor 15,47). Philon l’interprète comme « matière éparse » (Leg.1,31).
[24] Louis panier, Le péché originel, Paris, 1996, p.83 et suivantes. Je reprends ici les principales observations de l’auteur.
[25] « Ψυχϕ σωζαν », (psuché, âme, sozan, vivante). « La Genèse grecque ne fournit aucun exemple d’opposition corps-âme (σωμα − ψυξϕ), mais propose le contraste chair-esprit (σαρξ − πνευμα), par exemple en 6,3. » Margurite Harl, La Bible d’Alexandrie, Genèse, p.61.
[26] Pour n’en donner que deux exemples, citons la vision inaugurale d’Ezéchiel : « La trentième année, le quatrième mois, le cinq du mois, j’étais au milieu des déportés, près du fleuve Kebar; les cieux s’ouvrirent et j’eus des visions divines… Je regardai: un vent de tempête venait du nord,… En son milieu, la ressemblance de quatre êtres vivants; tel était leur aspect: ils ressemblaient à des hommes. Chacun avait quatre visages et chacun d’eux quatre ailes… Leurs visages ressemblaient à un visage d’homme; tous les quatre avaient, à droite une face de lion, à gauche une face de taureau, et tous les quatre avaient une face d’aigle: Chacun avançait droit devant soi; ils allaient dans la direction où l’esprit le voulait. Ils n’avançaient pas de biais… Je regardai les vivants et je vis à terre, à côté des vivants, une roue, pour chaque face…Elles étaient toutes les quatre semblables. Lorsqu’elles avançaient, elles allaient dans les quatre directions; elles n’obliquaient pas en avançant. » Ce nombre quatre montre ainsi une totalité de l’espace de l’homme et de son regard, et de ce qui avance comme une roue. L’autre exemple du traitement du nombre quatre est celui de l’ensemble de l’Apocalypse. Je cite simplement les quatre vivants représentants l’ensemble des vivants dans le monde de la lumière (ils sont constellés d’yeux), les quatre cavaliers apportant les quatre fléaux majeurs, les quatre anges destructeur debout aux quatre coins de la terre, les quatre murailles de Jérusalem, etc.
[27] Louis panier, ouvrage cité, p.85.
[28] Dans la langue grecque, le terme topos indique le terrain où commence une action, un raisonnement, une courbure dans la marche. En ce lieu, les choses sont « recatégorisées », pour en déceler la portée ou l’avenir.
[29] Louis Panier, idem, p.86.
[30] Kat’autov dans la LXX.
[31] Je ne peux m’empêcher d’évoquer ici ce que E.Levinas écrit sur le visage : « Le visage parle. Son épiphanie est langage. En présence du visage, le sujet est mis en question par l’Infini de l’immanence de celui qui se donne à voir. Dans sa liberté d’être-au-monde, le sujet se découvre injuste, usurpateur d’une terre et meurtrier. Ebranlé par cette mise en présence de l’Infini, le sujet est visité par autrui. La Révélation n’a rien d’une apparition divine ; elle est la visitation de l’humilité dans toute sa Hauteur. L’Infini, c’est l’Autre sans masque ; c’est le visage dans sa nudité et sa misère. La seule présence de l’Autre suffit pour signifier au sujet la sommation de répondre : « me voici ». A la mesure du terrestre et de celui qui l’accueille, le visage instaure la liberté dans le sens de la bonté et de la fraternité. Le visage engendre pour la responsabilité. Etre Moi signifie « ne pas pouvoir se dérober à la responsabilité ». La venue de l’humain à l’éthique passe par cette souffrance éthique, trouble qu’apporte tout visage, même dans un monde ordonné ». Je cite ici d’après le site « espacethique : Emmanuel Levinas ».
[32] Louis Panier, Le péché originel, o.c., p.89. Voir Paul Beauchamp, Accomplir les Ecritures, p.130.
[33] Ce terme reviendra en 6,12 et 7,9.
[34] Jacques Lacan, Autres écrits, Paris 2001, p.14.
[35] Le verbe grec, (elèphtè du verbe lambano, comme le verbe hébreu LKR du texte massorétique), signifie enlever, saisir, s’emparer. En Genèse 4,19 il signifie « prendre femme ». Ce verbe apparaît pour l’homme, 2,15 et 3,23, puis pour la femme, 2,23. C’est le même geste de Dieu pour l’un et pour l’autre.
[36] Julie Casteigt, « Sous l’écorce de la lettre ». Toulouse, 2009.
[37] Connaissez-vous le « conte fameux de ce moine traversant une forêt qui entend un oiseau chanter, s’arrête un instant pour l’écouter et se retrouve à son retour étranger à son monastère, car son absence a duré un demi-siècle. Eh bien ! Je crois avec Stevenson que cet « oiseau magique » chante au coeur de chacun et comme il l’écrit si bien, « qui prétend observer l’homme en l’ignorant s’expose à bien des déconvenues – car l’homme n’est pas seulement le tronc dont il tire sa subsistance, mais se déploie dans le dôme de feuillage, traversé par les murmures du vent, peuplé de nids de rossignols,» et le véritable réaliste est celui des poètes « qui grimpe après lui comme l’écureuil et ainsi entrevoie un coin du ciel pour lequel il vit ».37 Michel le Bris, Fragments du royaume, Venissieux 1995, p.44. Ces archives appartiennent au trésor de la littérature. Ce sont des monuments de la parole. Ils ne sont pas seulement beaux, instructifs, émouvants. Ils sont grands, parce qu’ils peuplent la vie des hommes de départs fous, de retours improbables, de fictions démesurées, de royaumes enchantés, de terreurs fascinantes. Ils sont riches, parce qu’ils parlent de nous, du ciel et de la terre ; de l’homme et de la femme. Ils maintiennent le lien entre le monde des sens et l’invisible, entre ce qui relève de la perception et l’inouï.
[38] Louis Panier, le péché originel, p.91
[39] Idem, p.93.
[40] Etonnante ressemblance avec la parabole des talents. « S’avançant vers lui, celui qui avait reçu un seul talent dit : Maitre, je savais que tu es un homme dur. Tu moissonnes où tu n’as pas semé, tu rassemblés où tu n’as pas dispersé. » (Mt.,25,24)…
[41] Dans le texte hébreu, l’adjectif ‘arum qualifie en même temps la nudité de l’homme et de la femme et l’astuce du serpent.
[42] Patricia Kass
[43] Où Adam peut-il bien lire, en effet, dans la rencontre du serpent et de la femme, que celle-ci est la « mère de tous les vivants ? Sinon dans l’expérience de Eve découvrant en elle-même une « contradiction » dans ce qu’elle fait, un vouloir faire divisé. Comme le dira Paul : « je fais le mal que je ne veux pas et ne fais pas le bien que je voudrais faire. » Dans cette perspective, cette contradiction intime apparaît comme une ultime séparation dans la création de l’homme, entre l’animal et l’humain, selon l’espèce et à l’image de Dieu.
[44] C’est ce couple « obéissance-autorité » (qui semble joindre le désir et l’ordre juridique, selon les termes sélectionnés par la LXX : apostrophé et kurios) qui est signifiant. Une revendication d’égalité ne résout pas le dilemme ; elle efface seulement le signifiant.
[45] Les spécialistes appellent cet ensemble le Corpus biblique. L’objet de leur recherche sur cet aspect est le « canon des Ecritures ».
[46] Comme l’écrit l’apôtre Jean : « le Verbe est venu dans son propre bien, et les siens ne l’ont pas accueilli. Mais à ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu. » (Jean 1,11-13). Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde, prends pitié de nous !