La Sémiotique, Louis Panier 2002.

La Sémiotique, une analyse de la signification et de ses fonctionnements, une pratique de la lecture des textes, 2002.

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Définitions

La sémiotique s’intéresse à la signification telle qu’elle se manifeste dans des textes, des images, des pratiques sociales, des constructions architecturales, etc…. Le sens est un effet dont on va chercher à décrire les conditions d’émergence et d’organisation. Lire un texte, en sémiotique, c’est construire et proposer une organisation cohérente du sens. La théorie et la méthodologie sémiotique proposent des procédures de construction du sens au service de la lecture et de l’interprétation.

Postulats

Cette construction obéit à des postulats qui définissent le champ de validité (de pertinence) de la sémiotique.

Un principe d’immanence :

On ne cherchera pas d’emblée le sens d’un texte dans la pensée ou les intentions de son auteur (vouloir dire), ni dans la réalité du monde dont il est censé parler. Mais on s’intéressera aux conditions d’organisation du langage : la sémiotique appartient aux sciences du langage. Pour la sémiotique, un texte n’est pas seulement le support de la communication d’un message ou d’une information, il est la manifestation d’une signification immanente et articulée. Ainsi conçu, le texte correspond à une globalité de sens qu’il convient de décrire. L’objectif de la lecture sémiotique sera justement de rendre compte de cette globalité, d’en développer la cohérence. C’est à partir de cette approche immanent de la signification que l’on abordera les questions de la lecture, de la communication et de la pragmatique des textes.

Un principe structural

On pose que le sens (que nous percevons) peut s’analyser et se décrire comme un effet de différences. Un élément singulier (/haut/, /pauvre/, /bleu/…) ne fait sens que si l’on peut l’articuler à d’autres éléments dans un système de différences. On appellera structure l’ensemble cohérent et réglé de ces différences. La sémiotique s’intéresse à l’organisation du sens, aux formes de son organisation, elle cherche à construire, à différents niveaux, des systèmes de différences.

Un principe d’énonciation

Tout texte dans sa singularité est le produit d’une énonciation, d’un ensemble de procédures qui ont donné lieu à cette « œuvre ». Cette énonciation (et les instances qu’elle suppose : énonciateur – énonciataire) ne doit pas être confondue avec la communication d’un message préalablement pensé : l’énonciation est un acte de structuration du sens. Tout texte, en tant qu’il manifeste une signification articulée et mise en discours, témoigne d’un acte d’énonciation, d’une compétence mise en œuvre pour faire du sens avec le langage. Et cela bien sûr concerne aussi le lecteur qui fait acte d’énonciation en construisant la lecture. Pour l’énonciateur comme pour l’énonciataire, c’est dans l’acte de discours, dans la mise en œuvre des structures du langage que s’instaure une position de sujet (de l’énonciation).

La forme du contenu et ses niveaux d’articulation.

L’analyse sémiotique consiste à décrire la forme du sens donc à repérer des différences, des relations entre des termes, à mesurer ces différences, à préciser sur quoi elles portent et à saisir et à nommer les valeurs qu’elles sélectionnent entre éléments différenciés.

Le repérage des différences à l’intérieur du contenu global d’un texte se fait en distinguant plusieurs niveaux ou paliers d’articulation :

le niveau discursif : tout texte convoque dans des configurations discursives disponibles, pour les mettre en scène (en discours), des éléments figuratifs (des acteurs dans des espaces et dans des temps), et les dispose de façon particulière. En sémiotique, on considère que ces éléments figuratifs ne sont pas là seulement pour représenter (donner à « voir » et à imaginer) un monde (fictif ou réel). Une fois disposés par le texte, ils contribuent à dessiner une forme figurative (ou discursive) du contenu. Pour la lecture, il s’agira de repérer comment le texte dispose et articule les acteurs, les lieux, le temps.

le niveau narratif : tout texte raconte quelque chose, organise, dans une succession, des situations et des actions. Il est possible de décrire ces successions d’actions, et les rôles (ou les fonctions) qu’elles présupposent pour les acteurs. On le fera sur la base d’une « grammaire » qui fournit les modèles fondamentaux de la syntaxe narrative. Par ailleurs tout récit s’organise autour d’enjeux, ou de quêtes, qui développent et mettent en forme (narrative) dans le texte des valeurs et des systèmes de valeurs. Il y a ainsi une syntaxe narrative et une sémantique narrative.

Analyse du niveau discursif

A ce niveau, le texte se présente comme un agencement de figures (ou grandeurs figuratives) disposées en parcours et dont l’articulation spécifique détermine les valeurs (thématiques).

Figures.

On appelle « grandeur figurative» un élément du contenu du texte relativement déterminé et reconnaissable et qui a des correspondants hors du texte, soit dans le « monde » (réel ou fictif) auquel renvoie le texte, soit dans d’autres textes. Arbre, maison, fée, colère… sont des figures de contenu que nous reconnaissons dans les textes quels que soient les mots divers qui les expriment, mais ils prennent sens dans le contexte (parcours) où le discours les place..

C’est grâce à ces réseaux de figures que les textes parlent « de quelque chose », qu’ils nous donnent un monde à rêver ou à connaître. On peut ainsi pratiquer une lecture « référentielle » ou « encyclopédique » des textes en s’attachant à repérer le monde qu’ils nous donnent à « voir » et en modelant l’articulation des figures du texte sur ce que nous connaissons déjà de l’organisation des éléments du monde.

Mais les figures sont aussi des éléments du langage, elles nous viennent toujours des discours déjà tenus, lus ou entendus, elles appartiennent à notre « mémoire discursive » (de narrateur et de lecteur) où elles sont disponibles pour être convoquées, réutilisées et réinterprétées dans des discours nouveaux. Dans la mémoire discursive, les figures sont à l’état virtuel (comme les mots de la langue dans un dictionnaire). Avant d’être convoquée dans un texte précis, la figure de l’arbre, de la table, du cheval… est un ensemble virtuel immense de significations possibles, d’usages, et d’agencements probables : on parle alors de configuration discursive. Une fois mise en discours, dans un texte singulier la figure, à cause du parcours spécifique où le texte l’inscrit, se trouve réalisée avec une fonction (une valeur thématique) particulière, qu’il nous appartient justement de préciser.

Pour pouvoir préciser la valeur des figures dans un texte, il faut les classer, et se donner les règles pour cela :

Un texte se présente à son lecteur comme un réseau figuratif très complexe (un « monde » !). Un premier repérage est possible en distinguant les acteurs, les lieux et les temps. Il s’agit d’ailleurs d’une règle générale du discours en acte : dès qu’on prend la parole (ou la plume) pour dire quelque chose, on « projette » dans un discours un (ou des) acteur(s) dans un cadre spatio-temporel.

Dans ce premier repérage, il ne suffit pas de faire des listes de personnages, de toponymes ou de chrononymes, mais de reconnaître :

– des structures actorielles, temporelles et spatiales : un texte manifeste des dispositifs particuliers d’acteurs (« un homme avait deux fils », « il était une fois un homme avec une cervelle d’or », « une veuve avait deux filles », etc..), de lieux (les textes construisent une topologie : le château du roi entouré d’une forêt profonde où se trouve une claire fontaine…); de temporalité (progression linéaire des actions, rappels, anticipations, tempo …). Selon les principes présentés plus haut, ces caractéristiques sont à prendre comme des mises en forme du contenu du texte, et non pas comme des particularités anecdotiques et décoratives.

– des situations discursives, ou séquences, qui permettent de segmenter le contenu discursif du texte. Chaque situation discursive correspond à un certain « état stable » des éléments figuratifs (acteurs, espaces, temps) ; une modification de l’un et/ou l’autre de ces éléments entraîne un changement de situation discursive, dont on peut supposer qu’il correspond à une modification des conditions de la signification.

Les éléments figuratifs d’un texte sont classés, non pas en fonction des « objets » qu’ils représentent et du savoir commun (encyclopédie) qui organise ces objets du monde et leurs relations, mais en fonction du contenu sémantique que le texte que nous lisons leur confère. On va ainsi reconnaître des niveaux de signification, qu’on appelle isotopies : ce sont des registres selon lesquels on peut rassembler des figures (on parlera d’isotopie économique, ou rurale, humaine, ou alimentaire…). L’isotopie rassemble des figures d’acteurs, de temps, d’espace, des objets, des actions etc… C’est l’existence des isotopies qui permet au lecteur de postuler une certaine homogénéité sémantique du texte. C’est l’établissement des isotopies qui nous permet ensuite de repérer des écarts, des différences signifiantes entre les figures, et de préciser leurs valeurs thématiques (c’est-à-dire la signification singulière au titre de laquelle une grandeur figurative se trouve convoquée dans le texte)