Un cadre théorique : le ‘schéma de la parole’,
A. Pénicaud

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Notes

[1] Elle s’est notamment appuyée sur les travaux du sémioticien J. Geninasca, du linguiste E. Benveniste, du psychanalyste J. Lacan, et, entre Bible et anthropologie, sur les écrits de M. de Certeau et de P. Beauchamp.

[2] Les guillemets indiquent qu’un terme est à manier avec précaution : il est utilisé faute de mieux, et sans prétendre en donner une définition. On entend ici par « réalité » ce dont on peut constater la présence sans pour autant « savoir » ce que c’est. Autrement dit ce qui peut être perçu : vu, entendu, touché, senti, goûté. Quant au « somatique », il désigne l’individu comme « corps » (en grec, « sôma ») en tant que ce corps est un complexe de sensations et d’affects pris dans le langage, et par conséquents sémantisés.

[3] Le concept de débrayage a été introduit par A-J Greimas dès les débuts de la sémiotique. Cf A-J GREIMAS & J. COURTÈS, Article « Débrayage ». “Dictionnaire raisonné de la théorie du langage”, t. 1, Paris, Hachette Université, 1979, p 89.

[4] Ce schéma, présenté ici en niveaux de gris, est ordinairement dessiné en couleurs pour plus de clarté : conventionnellement le somatique est indiqué en violet, le dire en rouge, et le verbal en bleu.

[5] Cette coupure, indiquée sur le schéma par la ligne en pointillés qui traverse le dire, est nommée par la sémiotique « schize », du verbe grec « schizein » qui signifie « couper ».

[6] C’est ce qu’on appelle en sémiotique le « principe d’immanence », qui suppose d’en rester au texte. La sémiotique l’a emprunté au structuralisme, dont elle relève.

[7] Le concept d’embrayage a également été introduit par Greimas. Cf A-J GREIMAS & J. COURTÈS, Article « Embrayage », Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, t.1, Paris, Hachette Université, 1979, p 119. Cependant la définition de l’embrayage proposée ici s’écarte sensiblement de celle de Greimas, en raison de la théorie de la lecture développée au CADIR dans les quarante dernières années. Le troisième document de ce parcours (« Le modèle du « vitrail » et l’analyse énonciative ») rendra compte de cet écart.

[8] Ce schéma, présenté ici en niveaux de gris, peut comme le précédent être indiqué en couleur : l’entendre y est indiqué en vert.

[9] Il y a donc une seconde coupure (une seconde schize), qui sépare cette fois le sujet qui entend de l’énoncé verbal entendu. Elle est indiquée sur le schéma par la ligne en pointillés qui traverse l’entendre.

[10] Et ce quand bien même, par exception, les deux sens coïncideraient : en effet le premier sens prend place dans le sujet de l’entendre, et le second sens dans le sujet du dire.

[11] Le dire n’est pas pour autant dépourvu de sens : il y a bien « du sens » dans le dire, mais celui-ci n’est accessible que par les représentations que l’on s’en fait – par « le sens » qu’on lui donne.

[12] Le terme de « projet » n’implique pas une intentionnalité manipulatrice, celui de « machine » n’évoque aucune machination… Par exemple, dire « il fait beau » véhicule un projet de sens « se réjouir ensemble », ou dire « j’ai froid » un projet de rencontrer une compassion active. Dans les deux cas, un sujet de l’entendre est tout à fait libre de souscrire ou non à ce projet, c’est-à-dire d’activer comme il l’entend la « machine à sens ».

[13] On peut penser à l’ « épochè » – c’est-à-dire au suspens – prônée par les stoïciens.

[14] Le schéma commence par l’indication de l’entendre : en effet, le dire provient toujours d’un entendre qui lui est antérieur (immédiatement ou non).

[15] Cela questionne la notion même d’objectivité, dans la mesure où elle fait l’économie du langage et de la parole.

[16] Le lieu somatique est rappelons-le, une cristallisation de sens : par l’effet du langage, le somatique humain est sémantisé, c’est-à-dire marqué par le sens.

[17] C’est pourquoi tout dire véhicule quelque chose qui vient de plus loin que lui, et qu’il a accueilli dans l’entendre dont il provient. Cet entendre réagissait lui-même à un dire provenu de l’entendre d’un dire antérieur, etc… Cf §2a, note 24, et « Le modèle du « vitrail » et l’analyse énonciative » §1c, note 16.

[18] Il y a là un écho, dans l’énonciation, de la « castration symboligène » dont parle la psychanalyste Françoise DOLTO : « En psychanalyse, le terme signifie une interdiction du désir par rapport à certaines modalités d’obtention de plaisir, interdiction à effet harmonisant et promotionnant, tant du désirant ainsi intégré à la loi qui l’humanise, que du désir auquel cette interdiction ouvre la voie vers de plus grandes jouissances. » Au jeu du désir, Seuil, Paris 1981, p. 301.

[19] A vrai dire Fr. Martin ne parlait pas de l’anamorphose décrite ici mais d’une seconde anamorphose, que présentera la seconde étape de ce parcours : « Le modèle du « relief », un appui pour l’analyse figurative ». Il apparaît cependant aujourd’hui que le travail de la parole enchaîne plusieurs anamorphoses, ce qui engage à qualifier également ainsi le tout premier retournement qu’elle opère : une prise de distance par rapport à la dimension référentielle des textes.

[20] L’exemple le plus célèbre d’anamorphose est un tableau de Holbein nommé « Les ambassadeurs ». Vu de face il représente une table jonchée d’objets de plaisir (beaux fruits, précieux instruments de musique…) et placée à proximité de deux hommes somptueusement vêtus. Le déplacement d’un spectateur y fait progressivement apparaître une tête de mort. Pour une approche plus contemporaine, on se réfèrera à l’œuvre de Julian Revers, de spectaculaires tableaux peints à la craie dont de nombreuses reproductions sont accessibles sur internet.

[21] R. BARTHES, Dans le bruissement de la langue, Essais critiques, IV, Paris, Seuil, 1984, pp. 63-69. Dans un sens analogue, U. Eco indique : « L’auteur devrait mourir après avoir écrit. Pour ne pas gêner le cheminement du texte. » U. ECO, « Apostille au nom de la rose », Paris, Grasset, 1985, p. 512.

[22] Cf ci-dessous, « Le modèle du « vitrail » et l’analyse énonciative, §1.

[23] Cf ci-dessus, §1.

[24] Comme le dire oral, le dire écrit relève de la logique qu’indiquait la note 17 : un dire provient toujours d’un entendre antérieur. Ainsi un auteur prête sa voix à d’autres voix qui portent l’élan de son écriture et dont celle-ci est traversée. La singularité d’une écriture s’inscrit ainsi nécessairement dans la continuité d’une énonciation plurielle. Cf cidessus §1c, note 15, et « Le modèle du « vitrail » et l’analyse énonciative » §1c, note 16…

[25] Elle est en effet ce à partir de quoi parle un texte : antérieure à l’énoncé qu’elle produit, elle ne peut être appréhendée par lui. Cf « Le modèle du « vitrail » et l’analyse énonciative », §1

[26] J. DELORME, « Mondes figuratifs, parole et position du lecteur dans l’Apocalypse de Jean », in A. GIGNAC & A. FORTIN dir., Christ est mort pour nous, Études sémiotiques, féministes et sotériologiques en l’honneur d’Olivette Genest, Mediaspaul, Montréal, 2005, p. 133.

[27] Louis Panier aimait à rappeler qu’il la qualifiait de « boîte noire », défiant ainsi l’inventivité des jeunes chercheurs qui l’entouraient.

[28] « Le modèle du « vitrail » et l’analyse énonciative ».

[29] Le sens se situe là comme le fruit d’une actualisation. En tout énoncé il y a « du » sens : un quelque chose qui vient de plus loin que lui, qui inscrit ses traces dans l’énoncé mais demeure inaccessible. L’acte de lecture ne peut en construire qu’une représentation. Forcément limitée et nécessairement inajustée, elle est cependant le lieu où ce sens trouve son accomplissement en se révélant en un sujet… dans l’attente d’une nouvelle lecture qui rejouera le processus.

[30] L’expression vient d’Olivier Robin.

[31] Ce en raison d’une loi fondamentale du langage : parler revient à « mettre en discours » des acteurs, des espaces et des temps. Ces éléments proviennent des travaux d’Emile Benveniste. Indiqués ici en passant, ils seront explicités dans le troisième article de ce parcours (« Le modèle du « vitrail » et l’analyse énonciative »).

[32] R. JAKOBSON, Essais de linguistique générale, Paris, Minuit, 1963, pp. 139-161, ou encore Paris, Seuil, 1970, chapitre « Linguistique et poétique », pp. 207-248, et notamment p. 214.

[33] Indiquer ce schéma dans les couleurs du schéma de la parole (rouge pour le dire, vert pour l’entendre, bleu pour l’énoncé verbal et violet pour le référent) faciliterait la comparaison des modèles. Cette coloration montrerait que deux des postes de la communication (le canal et le code) ne sont pas traités par la sémiotique : ils font en effet partie de ce que Greimas désignait, à la suite du linguiste Louis Hjelmslev, comme la « forme de l’expression », et qui n’est pas pris en compte par la sémiotique.

[34] Cette référence peut passer par un ou plusieurs intermédiaires langagiers (le message se rapportant alors à un référent textuel, qui peut lui-même être rapporté soit à la réalité soit à un autre texte, qui à son tour, etc…). Le nombre et la qualification de ces intermédiaires déterminent le statut du message (qui peut aller d’un simple mode d’emploi à un discours scientifique ou philosophique, en passant par tous les genres de discours). Cependant la « réalité » n’en demeure pas moins le référent ultime du message.

[35] S’entend là, en écho, un débat philosophique déjà instauré à l’époque des grecs entre Platon, les sophistes et Aristote, qui représentent trois positions distinctes à cet égard.

[36] L’ajustement est opéré entre les sujets du dire et de l’entendre par la médiation de l’énoncé verbal.

[37] L’harmonisation sur l’autre sujet opérée par l’énonciation (dire et entendre) rejaillit sur chacun des sujets pour travailler l’ajustement, en lui, du somatique et du verbal.

[38] Rappelons que les sujets du dire et de l’entendre sont reliés et harmonisés par l’énoncé. Et que, en chacun de ces sujets, le somatique et le verbal sont reliés et ajustés par l’énonciation, dire ou entendre.

[39] D’où l’expression « Vous m’avez mal compris(e) », requalifiée dans la formulation suivante, socialement plus acceptable, « Je me suis mal exprimé(e) »…

[40] Ce partage traverse également les textes, dont certains (par exemple un mode d’emploi) relèvent du régime de la communication, et d’autres (la poésie par exemple, ou les textes bibliques) de celui de la parole. Ce qui n’interdit pas, bien sûr, de pratiquer une lecture énonciative d’un mode d’emploi ou une analyse communicationnelle d’un poème…