Comment lis-tu en catéchèse ? J-L Ducasse

 J-L DUCASSE,

« Comment lis-tu en catéchèse ? », colloque CADIR, 2010.

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Lecture de Luc 4,14-30 : Jésus à Nazara

Curé de paroisses, je lis d’abord le texte proposé pour ce colloque quand et où je le trouve, offert par la liturgie ou la catéchèse. Il ne figure pas dans les lectionnaires des mariages, baptêmes, obsèques. Je le trouve par contre dans la liturgie eucharistique dominicale, aux troisième et quatrième dimanches ordinaires de l’année C, et lors de la messe Chrismale Je l’ai trouvé également dans un parcours catéchétique, qui se veut synchronisé avec les années liturgiques. Je choisis ce dernier lieu de lecture permettant de la situer dans l’ensemble qui prend en compte la trilogie constitutive de la vie en Eglise : l’enseignement, la fraction du pain et la vie fraternelle [1].

J’explore la présentation du texte ainsi que les pistes proposées aux catéchistes et aux enfants. Je tente de repérer ce qui peut favoriser ou contrarier la lecture. Je fais brièvement mention du texte dans la liturgie dominicale. Ma propre lecture se risque à partir de là, en revenant sans cesse à la lettre du texte et à l’ordre du récit. Elle débouche sur une proposition de lecture en catéchèse. Ce parcours est moins celui d’un sémioticien rompu aux subtilités de la théorie que d’un praticien de la lecture vivement intéressé par ce que la sémiotique a commencé et, j’espère, continuera d’éveiller en lui.

Je fais l’hypothèse que nous allons rencontrer en chemin des ouvertures et obstacles à l’accomplissement de la Parole du même ordre que ceux que présente le texte de Luc.

LE TEXTE, TEL QU’IL EST PRESENTE DANS LE PARCOURS

Luc 4, 14 – 30 [2]

1. Luc 4, 14-30, dans un parcours de catéchèse

1.0. Ce parcours se veut biblique et liturgique.

Le parcours catéchétique retenu pour notre observation [3] s’organise sur la base du cycle des trois années liturgiques. Il vise à «assurer l’articulation entre la catéchèse et la liturgie, en intégrant dans les célébrations les rites et expressions liturgiques, en favorisant la participation aux eucharisties dominicales et en initiant aux symboles chrétiens» [4] chacune de ces années (du parcours) a son originalité ; celle-ci se manifeste par des textes bibliques choisis parmi ceux d’une année liturgique précise (…) l’année bleue, Luc (…) Quelques textes de Jean sont répartis sur les trois années (…)

Un texte biblique est proposé à chaque rencontre. Les nombreux passages bibliques cités, précédés sur le livre de l’enfant d’un logo représentant un livre, sont facilement identifiables. Ils bénéficient d’une typographie particulière qui exclut toute confusion avec d’autres types de textes. Leurs références sont indiquées. La traduction est celle de la liturgie. En regard avec les textes, des planches de dessin illustrent les scènes bibliques.

Autant d’éléments qui semblent bien augurer de la qualité biblique du parcours ainsi que de son intégration à la vie liturgique de l’assemblée. Cependant l’observation précise des documents ne va pas manquer de nous alerter.

1.1. Première alerte : la citation est amputée.

La citation de Luc 4, 14-30, telle que présentée dans le livre de l’animateur et dans celui de l’enfant, est tronquée.

« Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : « Médecin, guéris-toi toi-même. Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm : fais donc de même ici dans ton pays ! » »

Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis, aucun prophète n’est bien accueilli dans son pays. En toute vérité, je vous le déclare : Au temps du prophète Élie, lorsque la sécheresse et la famine ont sévi pendant trois ans et demi, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie n’a été envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien vers une veuve étrangère, de la ville de Sarepta, dans le pays de Sidon. Au temps du prophète Elisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; pourtant aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman, un Syrien. »

1.1.1. Effacement de la composante figurale et des marques d’énonciation.

Les versets 23 à 27 sont omis, seul demeure : nul n’est prophète en son pays (v.24b), introduit par Mais il leur dit (v.23a)

Or ce sont ceux dont la composante figurale et en particulier les marques d’énonciation sont particulièrement élaborés [5] :

On ne peut parler de dialogue au sens habituel car les « tous » de la synagogue ne répondent pas à Jésus, mais Jésus s’adresse à eux selon un dispositif élaboré.

  • Il prend la parole à deux reprises : il leur dit…il ajouta.
  • La première fois en les faisant parler, sûrement vous allez me citer le dicton… Il dévoile ce qu’ils s’apprêtent à dire à son propos et ce que cela manifeste de leur attente à son égard.
    • La seconde fois, il en appelle en deux temps, à la vérité (« amen je vous le dis, en vérité je vous le dis »)
    • pour poser un aphorisme : nul n’est prophète en son pays. Il va falloir faire avec cette constante.
    • puis pour suggérer une mise en perspective du mauvais accueil qu’ils lui réservent aujourd’hui avec celui dont ont été gratifiés les prophètes Elie et Elisée, en leurs temps respectifs, auprès de beaucoup en Israël.
  • Les figures mises en discours à ce propos (médecin, veuve(s), lépreux(s) sont totalement omises par le parcours catéchétique. Elles invitent cependant à l’interprétation.

Ce dispositif élaboré soutient l’interpellation pressante de Jésus à ses compatriotes. Appel à ce qu’advienne la vérité entre eux et lui, elle engage pour eux la possibilité d’une lecture de leur propre résistance à ce qu’il dit, en regard avec des références prophétiques qui leurs sont familières. Cela demande de leur part interprétation sans constituer dans la bouche de Jésus une sanction négative et encore moins une disqualification des juifs comme destinataires de la Parole.

1.1.2. Substitution d’un résumé aux événements rapportés.

Aux versets 23-27 est substitué le ‘résumé’ suivant : « …et Jésus raconte que ceux qui reçoivent les bienfaits du Seigneur sont des pauvres, des exclus et des étrangers au peuple d’Israël ».

Qu’un propos étranger vienne s’inscrire dans le texte biblique nous alerte. Certes on prend la précaution d’adopter une typographie différente, de mettre la phrase entre parenthèses et de mettre des points de suspension indiquant des versets manquant).

Il reste qu’en lieu et place de la vive interpellation appelant une interprétation vient un contenu. Jésus n’est plus en train de construire une relation entre ses auditeurs et lui, il raconte. Il ne raconte pas une parabole ou une histoire, il raconte que ceux qui reçoivent les bienfaits du Seigneur sont des pauvres, des exclus et des étrangers au peuple d’Israël. Rien à interpréter dans ce qu’il raconte : c’est un constat, qui pourrait prendre forme de loi.

Ce ‘résumé’, suivant immédiatement l’aphorisme : nul n’est prophète en son pays, prend la forme d’une sanction de programme narratif. On pourrait traduire en langage courant : la communication ne passant pas avec ses compatriotes, Jésus leur indique que d’autres l’accueillent.

Les interlocuteurs de Jésus ne sont pas encore formellement enfermés dans leur refus, mais cela pourrait ne pas tarder.

1.2. Deuxième alerte : l’organisation thématique du parcours oriente la lecture

Mis en éveil par la transformation opérée sur le texte même, nous remontons à la proposition de travail faite aux animateurs de catéchèse, puis à la présentation du livre des enfants.

Le livre de l’animateur précise l’organisation thématique du parcours dans l’introduction générale en assignant une insistance sur un aspect du mystère du Christ à chaque évangile, nous citons :

  • Dans l’évangile de Marc, Jésus étonne et fait naître la question « Qui dites-vous que je suis ? » (année verte).
  • En Luc, Jésus prend résolument la route de Jérusalem et nous invite à la suivre (année bleue).
  • En Matthieu, Jésus accomplit les Ecritures et parle en parabole (année rouge) [6].

1.2.1. L’évangile conçu comme un programme.

En Luc, donc, Jésus prend résolument la route de Jérusalem et nous invite à la suivre. C’est l’accent général de l’année qui va se développer en une série de cinq unités. Le thème général de la troisième unité est : Jésus choisit le chemin de Dieu. La rencontre 2, dans laquelle prend place le texte de Luc, porte le titre : Le chemin de Jésus dérange. Ce sous-thème privilégie la lecture de notre texte : Luc 4, 14-30. Et voici comment il est présenté dans les repères pour les animateurs :

  • Un récit programme
  • Le récit Lc 4, 14-30 montre Jésus inaugurant sa mission à Nazareth ; il proclame la Bonne Nouvelle. Mais le récit déborde le cadre de la synagogue de Nazareth pour dévoiler, comme en résumé, l’itinéraire que suivra cette Bonne Nouvelle. Elle est d’abord accueillie avec étonnement et joie. Mais elle rencontre ensuite, de la part de Juifs [7], l’hostilité et le refus. Ce sont alors les pauvres, les exclus, les étrangers au peuple juif qui vont l’accueillir.

L’objet du refus se précise encore.

Luc situe la mission de Jésus dans la perspective du prophète Isaïe… La citation d’Isaïe se conclut par l’annonce d’une année de bienfaits accordée par le Seigneur. Cela peut paraître obscur. C’est pourtant la clé qui permet de mieux comprendre les expressions précédentes… Le prophète… fait allusion à l’année jubilaire… Jésus, consacré par l’Esprit de Dieu, vient réaliser l’espérance annoncée par l’année jubilaire. En lui Dieu vient au milieu de son peuple pour le conduire et le libérer de ses servitudes. Jésus est le Messie.

Le raisonnement opère par résumés successifs, pointant progressivement de façon plus précise ceux qui refusent et ceux qui reçoivent la parole de Jésus. Mais cette simplification se fait au prix de l’écrasement de la mise en discours du propos de Jésus et de ce qu’elle livre à l’interprétation de ses auditeurs.

Une telle proposition de lecture ne retient du récit que sa composante narrative. Comme nous l’avons vérifié précédemment, les figures ne sont pas prises en compte comme telles, pas plus que l’énonciation. La position de rejet par les juifs est présentée comme un anti-programme absolu. Tout se passe comme si l’échec du programme de Jésus auprès de ses compatriotes les dépossédait de l’accomplissement au bénéfice des pauvres, exclus et étrangers au peuple juif.

Cette lecture radicalise la résistance des juifs, comme si désormais la parole ne pouvait s’accomplir qu’ailleurs. C’est en contradiction avec le texte de l’Evangile de Luc, au moins sur trois points.

  • Celui de l’identification de Jésus au Messie ou à quelque autre titre. En effet la suite immédiate du texte, au même chapitre, manifeste le soin que prend Jésus à éviter toute publicité à son sujet et comment il fait taire ceux qui prétendent savoir qui il est :

Au coucher du soleil, tous ceux qui avaient des malades atteints de maux divers les lui amenèrent, et lui, imposant les mains à chacun d’eux, il les guérissait. D’un grand nombre aussi sortaient des démons, qui vociféraient en disant: « Tu es le Fils de Dieu! » Mais, les menaçant, il ne leur permettait pas de parler, parce qu’ils savaient qu’il était le Christ. (Luc 4, 40-41)

  • Celui d’un rejet définitif de la parole par les juifs. En effet Jésus sera entendu et cru par de nombreux juifs tout au long de l’Evangile, notamment par des veuves (Lc 7, 11 ; 21, 2) et par des lépreux (5, 12 ; 7, 22 ; 17, 11 ).
  • Celui de l’accomplissement de la parole de l’Ecriture, qui semble confondu ici avec ce qui permet d’identifier Jésus au Messie.