Marc 1, 1-5 – Commentaire

Texte : Marc 1, 1-5
Auteurs : Pierre Chamard-Bois () et Raymond Volant ()
Circonstance : suite à la rencontre du 16 septembre 2017 du groupe Bible et Tao de Quimper
Date : 20 octobre 2017
Traduction utilisée : voir traductions de travail

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Le prologue de Marc (Pierre Chamard-Bois)

Le début de l’évangile de Marc est un véritable prologue, comme l’est le début de l’évangile de Jean.

1 Origine de l’heureuse-annonce de Jésus Christ Fils de Dieu

On traduit généralement le premier mot [1] par commencement en limitant la signification au commencement du livre. En traduisant par origine, on ouvre la signification à plus d’ampleur. Si, dans le temps, on s’éloigne de plus en plus du commencement (d’une époque, d’une vie, d’un livre), au contraire, on s’approche de plus en plus de ce qui constitue l’origine, le fondement. Ce qui est à l’origine n’est pas dévoilé, mais cela peut s’entendre comme par échos. L’origine n’a pas à être totalement et définitivement dévoilée, au risque de mettre la main dessus et alors de s’effondrer. Mais elle n’est pas totalement inaudible.

« L’heureuse-annonce » traduit, au sens propre, « évangile ». Ce n’est pas un livre. C’est une annonce qu’il est possible d’entendre en lisant le livre. Quelle est cette annonce ?

Trois noms tracent un chemin : Jésus, Christ, Fils de Dieu. Un chemin qui se déroule tout au long du livre. Au début, il est question de Jésus, personnage historique certes, mais aussi personnage « littéraire ». A partir du chapitre 8, au milieu de l’évangile, le titre de Christ apparaît dans la bouche de l’apôtre Pierre (Mc 8, 29). A la fin, un centurion, reconnaît dans le crucifié le « fils de Dieu » (Marc 15, 39).

Cette triple nomination est comme un plan de dévoilement de celui qui est heureusement-annoncé. Sous Jésus, Christ (qui signifie oint en grec), sous Christ, Fils de Dieu, une réalité mystérieuse dont on verra qu’elle englobe celui qui reçoit l’heureuse-annonce.

Nous pouvons considérer donc que le livre ne contient pas en tant que telle l’heureuse-annonce, qu’un lecteur aura déjà entendu par ailleurs, mais il propose d’en entendre quelque chose de l’origine. Où ce qui est donné depuis toujours, l’origine, nous mène-t-il au fur et à mesure que le coin du voile est levé ?

Le v. 2 est cohérent avec cela, car il ne met pas directement en scène Jésus, mais nous confie ou nous rappelle une parole qui le précède, qui concerne son origine.

2 Selon qu’il a été écrit dans Isaïe le prophète :
Voici, j’envoie mon annonceur devant ta face, il aménagera ton chemin
3 Voix d’un crieur dans le désert
Préparez le chemin du Seigneur
Faites droits ses sentiers, 
4 il advint Jean le baptiseur dans le désert proclamant un baptême de changement-d’esprit en vue de
la libération des péchés

Nous lirons ensemble les v. 2-3 et le v. 4 pour voir comment de qui vient du prophète permet de lire l’arrivée de Jean le baptiseur.

On commence par une écriture, tirée du premier Testament. Notons que le texte ne dit pas « Selon ce que Isaïe a écrit », mais bien « selon ce qu’il a été écrit dans Isaïe ». L’auteur n’est pas Isaïe. C’est celui qui parle dans l’Écriture.

Qu’est-ce qu’un prophète ? On pourrait être tenté de dire que c’est quelqu’un qui prédit l’avenir. Ou encore quelqu’un qui met en garde ses contemporains contre des dérapages, des dévoiements ou des idolâtries. Ici nous allons voir que c’est quelqu’un qui a laissé s’écrire quelque chose qui permet d’interpréter, lorsqu’ils auront lieu, des événements à venir. Dans son contexte premier, ce qui est écrit dans Isaïe n’est pas complètement audible. Mais, lors de l’advenue de certains événements, et c’est le cas ici, ce qui a été écrit permet de mesurer ce qui est en jeu. Ou, dit d’une autre manière, de donner à entendre quelque chose de l’origine qui se dévoile dans ces événements. Par exemple, l’apparition de Jean le baptiseur est interprétable à la lumière de la « voix d’un crieur ».

« Voici, j’envoie mon annonceur devant ta face, il aménagera ton chemin »

Qui parle à qui ? Aucune indication n’est explicite. Mais, en prenant en compte l’hypothèse que la citation renvoie à ce qui va se passer au v. 4, nous pouvons comprendre que le divin parle à quelqu’un qui aura à parcourir un chemin qui sera aménagé par un « annonceur ». On peut dire autrement (dans la façon de dire de l’évangile de Jean) : le Père parle à son Fils pour lui dire qu’il envoie Jean pour préparer son chemin parmi les humains.

On comprend que « il advint Jean le baptiseur » (v. 4) n’est pas un événement fortuit. Derrière, sous le voile, à l’origine, Jean est un annonceur envoyé par le Père. La suite des versets le confirmera. Dans Isaïe, il était déjà question de Jean.

Comment Jean va-t-il préparer, aménager le chemin ? « 3 Voix d’un crieur dans le désert » Pas en agissant directement, mais en criant dans le désert, à d’autres, de préparer le chemin du Seigneur. Ce n’est pas à proprement parler une sous-traitance, car les deux mots « aménager » et « apprêter » ne sont pas les mêmes. Le premier consisterait à une invitation par la parole. Le second à une transformation. Nous allons voir pourquoi.

Dans le désert, une voix : pas une parole parlée, mais une présence parlante. Nous découvrons au v. 4 que cette voix est celle de la proclamation de Jean. A propos de désert, voir en fin de document « Lao-tseu découvre l’évangile de Marc ».

Préparez le chemin du Seigneur
Faites droits ses sentiers, 

Si c’est Jean qui parle, à qui parle-t-il ? Le v. 5 nous l’indique : à tous ceux qui viennent auprès de lui. En quoi consiste préparer le chemin du Seigneur ? A faire droits ses sentiers. Mais que sont ces sentiers ? Nous pouvons le comprendre dans la façon dont le dit Jean au v. 4 « changement-d’esprit en vue de la libération des péchés ». Des sentiers tortueux ou se perdant pas sont une manière de parler des péchés.

Mais alors… Ces sentiers ? C’est une figure de ceux qui viennent voir Jean et qui, ayant leur esprit changé, peuvent devenir des sentiers pour celui qui vient. En chacun nous, il y a un sentier pour celui qui s’annonce, un sentier pour lui, à lui, où il est chez lui. Encore faut-il le nettoyer, le libérer de ce qui l’encombre. C’est de notre ressort dans la mesure où nous « confessons-ensemble » (v. 5) ce qu’il en est. Un seul chemin fait de tous les sentiers que nous sommes. Voilà un fondement pour la fraternité.

Voilà bien une révélation qui semble venir de loin (de l’origine) et qui nous concerne au plus près, au plus intérieur. C’est ce qui caractérise l’origine.

 

Lao-tseu découvre l’évangile écrit par Marc (Raymond Volant)

« Voix d’un crieur dans le désert
Préparez le chemin du Seigneur
Faites droits ses sentiers … »

Une voix criant dans le désert : « Préparez le chemin … » Le texte grec ne comportant pas de ponctuation, l’on pourrait aussi traduire comme suit : « Voix criant : ‘ Dans le désert, préparez le chemin … ‘. Quoiqu’il en soit cela se passe dans le désert. Le désert est à l’image du « vide ». Le « vide » et non pas le « néant ». Ce « vide » est l’espace nécessaire à l’alternance qui rythme toute vie dans notre univers, depuis l’inspire et l’expire de notre respiration, jusqu’à l’alternance du jour et de la nuit et celle des saisons. Nous l’appelons « vide médian », parce qu’il est « entre » : entre le repli et le développement, entre la concentration et le déploiement, entre la Terre et le Ciel. Le « vide médian » est le lieu de la rencontre féconde entre « Yin-et-Yang ». Dans le désert, ce « vide médian », une voix crie et demande de préparer le chemin du Seigneur et de faire droits ses sentiers.

Préparer le chemin, c’est préparer la Voie, c’est préparer le Tao. Serait-ce là, se situer à l’origine ? Tao signifie « tête de marche », selon les deux éléments qui composent son idéogramme ; c’est le chef de clan qui ouvre un chemin pour que tous puissent emprunter cette voie. S’il n’y a pas de Voie, rien ne peut se mettre en place et l’Univers se manifeste en suivant la Voie : « Un engendre deux. Deux engendrent trois. Trois engendrent les dix-mille êtres. »

Un chemin, cela se prépare. Le chemin du Seigneur doit être aménagé, mais les sentiers aussi doivent être rendus droits pour converger vers le Chemin. Ce Chemin ne sera préparé que si les sentiers sont rendus droits, les sentiers, les nombreux sentiers, les « dix-mille » sentiers, que sont les nôtres. Ainsi, « toute la contrée de Judée sortait vers Jean le baptiseur qui dans le désert proclamait un baptême de changement d’esprit en vue de la libération des péchés ».

Se libérer des péchés, c’est faire le vide pour accueillir un esprit nouveau, c’est se situer dans le « désert », l’espace du « vide médian ».

Voilà ce qui nous prépare à lire la suite du texte, qui va nous parler d’un baptême d’eau et d’un baptême dans l’esprit saint.

[1] ἀρχή en grec.