4.4. Effets de lecture
Ce parcours, nous l’avons mis en œuvre avec un groupe d’une trentaine d’enfants, de CM1, à quelques précisions près inspirées par la tenue du colloque.
- a. La reconstitution de mémoire du texte. Nous la pratiquons souvent par ailleurs : cela marche bien. Les enfants, complétant les uns les autres leurs observations, sont parvenus à restituer pratiquement la totalité du texte, et cela en chacune des deux parties de la journée. Cela centrait leur attention sur le texte et son originalité. Ils se sont rendu compte des transformations qu’ils lui faisaient subir, mais aussi de ce que cela touchait chez eux. Nous les citons :
- Il m’a envoyé dire aux gens pauvres qu’ils vont manger.
- Jésus s’assit et tous le regardaient bouche bée
Les écarts dans la reconstitution du texte manifestent son impact sur chacun. C’est dans cet écart reconnu, par les enfants comme par nous, que se joue la lecture. Il ne s’agit pas de disqualifier ce qu’ils ont dit, puisque cela parle de ce que le texte touche en eux, mais de leur faire mesurer l’écart leur permettant d’entendre autre chose, d’entrer en dialogue avec le texte, d’entrer ensemble en dialogue avec le texte.
- b. L’anticipation. Quand, après lecture de la première partie du texte nous avons demandé aux enfants d’imaginer comment les gens de la synagogue allaient réagir à ce que venaient de dire Jésus, on a obtenu, entre autres, les réactions suivantes :
- Ils ne vont pas y croire !
- Les prisonniers, c’est pas bien qu’ils soient libérés !
- Oui, nous, ça nous ferait peur : qu’on libère les prisonniers, surtout pour ceux qui les gardent !
- Mais on peut être prisonnier et n’avoir rien fait !
- On peut aussi être redevenu gentil. Il veut leur redonner leur chance.
- Des fois on est prisonniers dans notre cœur, on se sent prisonniers.
Un premier déplacement se fait entre eux (et nous) dans la variété des réactions sur la figure du prisonnier, il nous reviendra, en revenant au texte de la mettre en relation avec celles du pauvre, de l’aveugle, du captif.
- c. La visualisation Le dessin retient l’attention. Nous le savons et ce n’est pas ce qui suffit à le mettre au service de la lecture. Il s’agit qu’il suggère plus qu’il ne démontre. Et c’est pour cela qu’on leur demande en fin de parcours de se concentrer, de regarder la succession des images modifiées et de donner leur interprétation ensuite. Les enfants semblent bien le voir, ou l’entendre (!) ainsi.
En fin de parcours un garçon me dit : « C’est comme si tu étais à la place de Jésus et que nous étions comme ceux qui sont autour ».
Que ce lieu est redoutable ! La place que nous osons tenir pour servir la lecture nous situe dans un rapport capital au texte, en un lieu où les anges montent et descendent au dessus du Fils de l’homme. La liturgie le prévoit bien ainsi. Se tenant à cette place il ne s’agit pas de la vivre comme un privilège : de prendre la place de Celui qui, aujourd’hui accomplit l’écriture à nos oreilles. Puissions-nous le désigner comme Celui qui ne se laisse enfermer dans aucune de nos prisons, surtout religieuses, et va son chemin parmi nous en nous invitant à le suivre en son chemin de Fils.
Notes
[1] Actes 2, 42,
[2] Traduction liturgique. Dans cette présentation nous restituons la partie omise du texte en la barrant et mettons en encadré le résumé qui la remplace.
[3] Le parcours, intitulé « Fais Jaillir la vie » a obtenu l’imprimatur en 1996. Il est paru aux Editions CRER en 1997. Il est destiné à la catéchèse des enfants de 8 à 11 ans. La partie que nous citons se trouve dans l’Unité 3, correspondant à l’année C (celle de l’Evangile de Luc). L’unité comporte plusieurs thèmes. Nous sommes au thème: Jésus choisit le chemin de Dieu. Et à la Rencontre 2 : le chemin de Jésus dérange. Toujours utilisé en catéchèse ce parcours tend à être relayé par deux nouvelles productions éditées par la CRER : « Sel de la vie » et « Porte Parole »
[4] Livre de l’animateur, introduction, p. 6
[5] Nous soulignons les marques d’énonciations et mettons en caractères gras les seuls mots du texte retenus dans la citation.
[6] Cette répartition thématique réserve à l’année A et l’évangile de Matthieu la question de l’accomplissement des Ecritures ce qui explique qu’elle soit pratiquement ignorée dans la lecture de notre texte où elle est pourtant fondamentale.
[7] Remarquons que le texte d’Evangile ne parle pas alors de « juifs ». Les juifs comme tels ne sont cités qu’au premier verset du texte et non comme des opposants : « Il enseignait dans les synagogues des juifs et tous faisaient son éloge ». Il semble que la difficulté porte plus sur le fait que Jésus intervienne en son propre pays ».
[8] La série de glissements qui fait quitter le texte et rendre improbable l’acte de lecture, loin d’être délibérée, est commandée par des représentations de la catéchèse et des contraintes pratiques qui président à sa mise en œuvre : « pédagogie enfantine » , « clarté du ‘message’, nécessité de faire visiter l’ensemble du mystère chrétien en trois ans, contraintes de personnel disponible pour la catéchèse, etc. L’art complexe de produire des documents catéchétique demande explicitation de tels présupposés.
[9] La présentation de Luc 4, 14-30 dans la liturgie dominicale, mais aussi les propositions des fiches liturgiques et autres revues concernant les dimanches correspondants, mériteraient le même type d’observation que celui que nous venons d’ébaucher pour le parcours catéchétique. Nous nous contenterons ici et maintenant de quelques brèves observations. Il nous faut cependant noter que Luc 4, 14 – 30 offre une mise en articulation de la parole, de l’eucharistie et de la vie fraternelle qui en fait le modèle même de la liturgie. La Parole y apparait comme tout autre chose qu’un message que l’on répète, mais plutôt comme ce qui s’accomplit dans un corps de Fils accomplissant les écritures, risqué en ce monde, corps livré pour nous, sang versé pour nous et pour la multitude
[10] Nous citons ici Alain Dagron : A l’épreuve des évangiles, Lectures des dimanches. Année C, Bayard 2006.
[11] Néhémie 8,1… 10
[12] La libération qu’annonce le prophète et dont Jésus laisse entendre qu’elle se réalise aujourd’hui se joue dans le cadre même de la lecture. Il s’agit alors de se laisser libérer des enchaînements selon des problématiques qui sont les nôtres, de l’oppression que cela produit sur ceux qui les subissent et de se laisser guérir de l’aveuglement dont cela procède. Tout cela en suivant pas à pas les liens inattendus que l’Evangile trace, en ce récit ordonné que présente Luc dès le prologue.
[13] Les acteurs de la catéchèse pourraient-ils être tentés de lui donner pour objectif de soigner et guérir des enfants et des parents, malades d’une vie sociale en mal d’orientation, et qui ne prend guère en compte les petits, les pauvres, les exclus, brefs ceux qui ne sont ni productifs ni rentables ? Comme s’ils disaient : « Jésus, lui, a accueilli les petits, s’est occupé des pauvres des exclus. Apprenons aux enfants à vivre à leur tour des valeurs de l’Evangile ». Mais si l’on fait de la catéchèse une médecine sociale et de Jésus le médecin, que devient le fils annoncé ?
[14] On se rappelle l’épisode des dix lépreux, tous purifiés, dont un seul, samaritain, étranger, voyant qu’il est guéri, revient, rendant gloire à Dieu se jeter aux pieds de Jésus, pour s’entendre dire : « va, ta foi t’a sauvé » ! (Luc 17, 11-19)
[15] Luc 5, 12-14 ; Luc 17, 12 -19, pour les lépreux et Luc 20, 47, Luc 18, 1-8, Luc 21, 2-4 pour les veuves.
[16] Cette partie se base sur l’expérience d’une lecture de ce texte décidé quelques temps avant le colloque, avec des enfants de CM2 réunis un temps fort d’une journée. Notre présentation s’inspire de cette expérience et de sa relecture.
[17] Nous nous réservons la possibilité, en groupe d’animateurs de recourir au texte grec pour des précisions de traduction utiles, et qui peuvent, le cas échéant, venir en cours de lecture.
[18] L’idéal est d’avoir ce temps fort avec des adultes de l’assemblée dominicale. Idée à retenir pour l’année de catéchèse ou bien avec des jeunes d’aumôneries
[19] Selon le propos de Saint Jérôme.
[20] Préciser la traduction est particulièrement indiqué ici. Au plus près du grec nous n’avons pas comme dans le lectionnaire : « Cette parole de l’écriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit », mais : « Aujourd’hui a été accomplie cette écriture à vos oreilles ».
[21] On se reportera ci-dessus en 3.1. quant à la prise en compte des aspects ignorés par la lecture induite par le parcours catéchétique.
[22] Si elles sont utiles pour les animateurs, il n’est pas indispensable de donner des informations sur les épisodes de la veuve de Sarepta et de Naaman le syrien lépreux. Le texte en dit assez pour qu’ils puissent observer la différence qu’il construit entre l’entre-eux des gens d’Israël et la singularité d’un homme, d’une femme, atteints chacun dans son propre corps d’une blessure personnelle et touchés chacun à sa manière par l’envoi de celui qui ouvre une brèche dans le mur de leur vie.
[23] Dans le film « Des hommes et des dieux », de Xavier Beauvois, cette parole est la réplique de frère Luc (!) joué par Michael Lonsdale, quand à l’issue d’un entretien avec le prieur Christian de Chergé (joué par Lambert Wilson), préoccupé de sa santé, il lui fait part, avec quel humour, de la liberté intérieure qu’il reçoit comme un cadeau et se lève pour répondre à l’appel à la prière que leur signale et signifie la cloche du monastère.