Exégèse, sémiotique et lecture de la bible

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NOTES

[1] La déconstruction derridienne, qui inspire des biblistes américains, relance le débat sur « les limites de l’interprétation ». Cf. sous ce titre l’ouvrage du sémioticien de « l’œuvre ouverte », U. Eco (Paris, Grasset, 1992 ; original italien,1990 ; cf déjà Lector in fabula, Milan, Bompiani, 1979, p. 59-60 sur la distinction entre utilisation et interprétation d’un texte).

[2] Cf. J. Geninasca, « Du texte au discours littéraire et à son sujet », Nouveaux Actes Sémiotiques 10-11, 1990, p. 9-34 (et in L. Milot et F. Roy [dir.], La littérarité, Québec, Presses de l’Université Laval, 1991), notamment p.14-15 sur la vocation heuristique de la sémiotique en direction des virtualités d’un objet textuel et les types de compétence de lecture avec lesquelles elles sont compatibles. Un texte ne se prête pas forcément au type de lecture auquel on le soumet.

[3] A.J. Greimas, dans Groupe d’Entrevernes, Signes et paraboles, Paris, Seuil, 1977, p. 228. Sur la lecture et l’interprétation en exégèse et en sémiotique, cf. J. Delorme, art. « Sémiotique », in Dictionnaire de la Bible. Supplément XII / 67, Paris, Letouzey, 1992, (col. 281-333), col. 314-317.

[4] Cf. J. Calloud, « Pour une analyse sémiotique de la Genèse 1 à 3 », dans La création dans l’Orient ancien, Coll. «Lectio divina» n° 127, Paris, Cerf, 1987, p. 483-513.

[5] Rappelons le tapage provoqué par une fiction de J. Steimann (« Entretien de Pascal et du Père Richard Simon », Vie intellectuelle, mars 1949, repris en Richard Simon et les origines de l’exégèse biblique, Bruges-Paris, Desclée, 1960, p. 423-431) et les répliques de P. Claudel, L. Massignon, J. Daniélou (en Dieu vivant, 14, 1949, p. 73-94). Cf. P.-M. Beaude, « Exégèse contemporaine et sens de la Bible », in Naissance de la méthode critique, Paris, Cerf, 1992, p. 245-253.

[6] L’Ecriture dans la Tradition, Paris, Aubier, 1966, p. 38-39. Ce livre reprend des éléments importants des grands ouvrages de l’auteur : Histoire et esprit, 1950, et Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Ecriture, 1959-1964. La sentence de Grégoire le Grand constitue le fil d’une réflexion sur le développement de l’herméneutique ancienne et moderne de P.C. Bori, L’interprétation infinie (traduction F. Vial), Paris, Cerf, 1991 (original italien, 1987 ; l’affirmation : « L’interprétation de l’Ecriture Sainte est infinie », remonte à Jean Scot). Sur le et les sens de l’Ecriture depuis les Pères de l’Eglise à nos jours, cf. les articles groupés sous « Sens de l’Ecriture » dans Dictionnaire de la Bible. Supplément, XII / 67, col. 425 à XII / 68, col. 519. Le renouveau d’intérêt pour le sens spirituel et typologique de la Bible doit beaucoup aux travaux de P. Beauchamp (Le récit, la lettre et le corps, Paris, Cerf, 1982 ; L’un et l’autre Testament, II : Accomplir les Ecritures, Paris, Seuil, 1990). Le centenaire de la Faculté de Théologie de l’Institut de Paris et celui de l’Ecole Biblique de Jérusalem ont donné lieu à des colloques sur le développement de l’exégèse critique et la question du sens, cf. les travaux publiés en Les cent ans de la Faculté de Théologie, Paris, Beauchesne, 1992, et en Naissance de la méthode critique (cité note 5), (problèmes actuels de l’exégèse, p. 159-220 du premier ouvrage et p. 157-266 du second.)

[7] Sur les recherches récentes d’inspiration littéraire, narratologique, « reader-critic », pragmatique et leurs applications bibliques, cf. J. Delorme, art. « Sémiotique » (cf. note 3), col. 286 et 308-313. Pour le débat en exégèse entre ancienne et nouvelle « critique littéraire », cf. C. Focant (éd.), The Synoptic Gospels. Source Criticism and the New Litterary Criticism, Leuven, University Press-Peeters, 1993.

[8] Les premiers travaux de Paul Ricœur n’ont pas été très bien accueillis par des biblistes qui ne se reconnaissaient pas dans sa manière de traiter les textes. Ce n’est pas sans résistance que put être organisé le fameux congrès de Chantilly en 1969, ouvert et conclu par Ricœur et dont les travaux ont été publiés sous le titre Exégèse et herméneutique (Paris, Seuil, 1971). Ce congrès marqua la rencontre durable entre ces deux disciplines et avec « l’analyse structurale » (une journée lui fut consacrée, avec intervention de R. Barthes), bientôt dénommée « sémiotique ».

[9] C’est sur le conseil de Ricœur que le P. X. Léon-Dufour a demandé à Greimas d’intervenir avec des membres de son séminaire dans un colloque qui réunissait une trentaine de biblistes à Versailles en septembre 1968 pour préparer le congrès de Chantilly. Parce que, selon Ricœur, il n’y a pas de transparence du sujet à lui-même ni de compréhension de soi qui ne soit médiatisée par le langage, par des signes, des textes, l’herméneutique ne peut se passer de la sémiotique et met en dialectique l’explication et la compréhension, cf. notamment « Qu’est-ce qu’un texte ? Expliquer et comprendre  » (1970), repris en Du texte à l’action. Essais herméneutiques II, Paris, Seuil, 1986, p. 137-159. Sur sémiotique et herméneutique, cf. I. Almeida, L’opérativité des récits-paraboles. Sémiotique narrative et textuelle. Herméneutique du discours religieux, Louvain- Paris, Peeters-Cerf, 1978, p. 104-107 et 3e Partie, et « Sémiotique et interprétation », Documents de travail et pré-publications, Università d’Urbino, n° 153-154, 1986.

[10] Dans ses entretiens à France-Culture, il parlait de l’impossibilité de faire un dictionnaire des notions sémiotiques sinon par petits bouts et pour marquer les trous autour desquels il faut travailler.

[11] A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage I, (Hachette, Paris, 1979), art. « Signification », p. 353. H. Parret appelle « signifiance » « le sens en tant qu’articulable par sa saisie transpositive » (in M. Arrivé – J.C. Coquet, Sémiotique en jeu. A partir et autour de l’oeuvre d’A.J. Greimas, Amsterdam-Paris, Benjamins-Hadès, 1987, p. 28). Pour le débat Peirce / Derrida ou sémiosis illimitée / déconstruction, cf. U. Eco, Les limites de l’interprétation (cf. note 1), p. 39-48, 369-384. Comparer F. Rastier, Sémantique interprétative, Paris, 1987 (chap. VIII).

[12] Cf. F. Rastier, Sens et textualité, Paris, Hachette, 1989, p. 13-20 (« Sur l’objectivité du sens »).

[13] La lettre n’est pas le sens littéral. « Dès lors qu’on fait intervenir le sens, on préfère à la lettre son équivalence, puisque donner le sens d’un texte c’est se refuser à le répéter, puisqu’expliquer un texte est dire autre chose que lui. Voilà que le sens littéral est lui-même allégorique, à prendre à la lettre l’étymologie de ce mot : dire autre chose » (P. Beauchamp, Le récit, la lettre (cf. note 6), p. 61.

[14] Pour un éclairage à partir d’une anthropologie lacanienne, cf. R. Sublon, La lettre ou l’esprit. Une lecture psychanalytique de la théologie, Paris, Cerf, 1993. Comparer P. Beauchamp, « Accomplir les Ecritures. Un chemin de théologie », Revue Biblique 99, 1992, p. 132-162 (p. 138-142 : la parole et le corps).

[15] >Dès 1967, le séminaire de Greimas s’est doté d’un atelier d’analyse biblique, où les paraboles se sont vite imposées (cf. le recueil d’études publié par C. Chabrol et L. Marin, Le récit évangélique, Paris, Aubier-Cerf etc., 1974). Et le dernier texte écrit par Greimas quelques semaines avant sa disparition est consacré à « La parabole : une forme de vie », in Le temps de la lecture. Exégèse biblique et sémiotique (Recueil d’hommages pour Jean Delorme), Coll. «Lectio divina» n° 155, .Paris, Cerf, 1993, p. 381-387.

[16] « Le savoir et le croire : un seul univers cognitif », Du sens II, Paris, Seuil, 1983, p. 128-133.

[17] Cf. Parole-Figure-Parabole. Autour du discours parabolique (J. Delorme dir.), Presses Universitaires de Lyon, 1987.

[18] Cf. « Narrativité et théologie dans les récits de la Passion » (Actes du 10e Colloque de recherches en théologie et sciences religieuses), Recherches de Sciences Religieuses 73, 1985, n° 1 et 2.

[19] Greimas-Courtés, Dictionnaire I, art. « Figuratif ».

[20] Cf. les précisions de Greimas sur « Les paraboles au regard de la sémiotique », en Parole-Figure (cf. note 17), p. 385-392 (spécialement 386-388).

[21] Cf. B. Gelas, « La parabole comme texte », in J. Delorme (dir.) Les paraboles évangéliques. Perspectives nouvelles, Coll. «Lectio divina» n° 135, Paris, Cerf, 1989, p. 109-122 (p. 115 : la multiplication des paraboles multiplie les figurations « disant au lecteur l’inadéquation de toute figuration »).

[22] Jean Calloud vient d’établir de façon lumineuse le parallèle entre la sémiotique de la signification et de la figurativité (avec la distinction de la manifestation et de l’immanence) et la typologie biblique des rapports entre les deux Testaments (« Le texte à lire », in Le temps de la lecture (cf. note 15), p. 31-63).

[23] Cf. notamment dans les épitres de St Paul : Romains 5,14 (Adam, « type » du Christ) ; 1 Corinthiens 10,6 ; Galates 4,24 ; et dans l’ensemble du Nouveau Testa-ment les formules d' »accomplissement » des Ecritures (celles-ci étant les Ecritures juives).

[24] J. Calloud, art. cit. (cf. note 22), p. 62. Cf. F. Martin sur l’accomplissement des Ecritures dans l’évangile de Matthieu (« Sortir du livre », Sémiotique et Bible 54, juin 1989, p. 1-18) : l’Ecriture s’accomplit dans un sujet interprétant, qu’elle appelle et dont elle marque la place « dans le creux de ses enchaînements discursifs » (p. 9). Voir 2 Corinthiens 3,15-16.

[25] Cf. La Bible. Ecrits intertestamentaires (La Pléiade), Paris, Gallimard, 1987.

[26] Art. « Parole », p. 279-280. Pas d’article équivalent dans le Dictionnaire tome 2.

[27] En définissant l’énonciation comme la mise en oeuvre de la « langue » par le « discours » et comme acte d’un sujet parlant, Benveniste n’identifiait pas ce sujet à l’auteur. En appliquant la théorie des actes du langage à la Bible et au langage de la foi, J.P. Sonnet (La parole consacrée, Louvain-la-Neuve, Cabay, 1934) cherche à reconnaître les phénomènes illocutoires « non à partir de l’intentionalité qui les a engendrés, mais à partir des signes dans lesquels ils se réalisent » (p. 26) et met en valeur l’acte de lire dans la perspective d’une pragmatique du texte qui attire le lecteur dans un parcours au terme duquel il peut réénoncer en son nom ce qui s’énonce dans le texte (cf. du même, « Le Sinaï dans l’événement de sa lecture. La dimension pragmatique d’Ex. 19-24 », Nouvelle Revue Théologique, 111, 1989, p. 321-344). Il faudrait analyser ce rapport entre « énonciation » et « réénonciation ».

[28] Comme en témoignent les études qui s’attachent à diverses lectures attestées d’un texte. Ainsi, avec le souci de les situer chacune en son contexte historique et par rapport à une lecture originelle, P. Grelot, Les poèmes du Serviteur : De la lecture critique à l’herméneutique, coll. «Lectio divina» n° 103, Paris, Cerf, 1981, et « Relectures juives et chrétiennes d’Isaïe 61 », in Le temps de la lecture (cf. note 15) p. 235-246. Voir aussi A.-M. Pelletier, Lecture du Cantique des cantiques. De l’énigme du sens aux figures du lecteur, Coll. «Analecta Biblica» n° 121, Rome, 1989 ; A. Chevillard-Maubuisson et A. Marchadour, « Caïn et Abel. Lecture et relectures », in Le temps de la lecture, p. 267-288. Le phénomène, qu’A. Gelin a le premier désigné comme « relecture », s’observe déjà à l’intérieur de l’Ancien Testament (cf. avec références J. Briend in Les cent ans [cf. note 6] p. 176-178). La « lecture historique » censée originelle est elle aussi une « relecture » qui transforme et fait signifier à sa manière le texte source.

[29] Cf. J. Geninasca, « Sémiotique », in M. Delcroix et F. Hallyn (dir.), Introduction aux études littéraires. Méthodes du texte, Gembloux, Duculot, 1987, p. 49.

[30] L’image du creuset, préférée à celle du parcours, est de Cl. Zilberberg, cf. « Analyse discursive et énonciation », Sémiotique et Bible, 69, 1993, p. 3-36.

[31] Sur l’altérité textuelle, cf. les remarques de J. Calloud et de B. Gelas dans leurs contributions à Le temps de la lecture (cf. note 15), respectivement p. 61-62 et p. 89-90. 95-96.

[32] Cf. E. Güttgemanns, Offene Fragen zur Formgeschichte des Evangeliums, München, Kaiser Verlag, 1971

[33] Cf. W. Kelber, The Oral and the Written Gospel, Philadelphia, Fortress Press, 1983 (trad. fr. par J. Prignaud, Tradition orale et Ecriture, Coll. «Lectio divina» n° 145, Paris, Cerf, 1991) pour une herméneutique de l’oralité et de l’interaction de la parole orale et de l’écriture qui la déconstruit et la transforme, à partir des recherches de W.J. Ong (qui signe l’avant-propos) sur les formes de la pensée orale dans les cultures sans écriture et dans celles où l’écriture ne l’a pas encore supplantée. Cf. aussi D. Dormeyer, Das Neue Testament in der Rahmen der Antiken Literaturgeschichte, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1993 (p. 31-39 : oralité et écriture dans la prose antique et la littérature biblique ; différences entre les textes de genre oral et ceux du Nouveau Testament de genre écrit). Le rapport oralité/écriture marque toutes les étapes de la formation de la Bible, dès les premiers livres de l’Ancien Testament, jusqu’à Jésus qui le cite et interprète et qui fonde une tradition orale dont témoigne l’écriture du Nouveau Testament et que cette écriture alimente, loin de l’invalider, dans une tradition de foi riche en écritures. Pas de voix originelle dont nous aurions l’écho direct, la médiation du discours oral et/ou écrit est obligée, en témoignage d’une Parole absente : il faut « démystifier une Parole de Dieu dont la parole vive des premiers témoins serait l’écho direct » (C. Jeffré, « De l’herméneutique des textes à l’herméneutique biblique », in Naissance de la méthode critique [cf. note 6], p.281). Ce devrait être une raison pour chercher dans la Bible davantage que la proposition d’un « monde du texte » (selon une expression de P. Ricœur), à accueillir qui serait offert comme « un «être nouveau» par rapport à mon expérience du monde, de l’histoire et de moi-même » (Geffré, p. 279). L’écriture lue offre les traces d’une parole dont elle atteste le don tout en signant sa disparition et le lecteur peut se disposer à l’entendre à nouveau en lui-même quand il s’affronte à la lettre du texte (cf. L. Panier, La naissance du fils de Dieu, Coll. «Cogitation fidei», Paris, Cerf, 1991, p. 83-90).

[34] Cf. J. Geninasca, »Du texte… » (art. cité note 2), p. 14. 22-24.

[35] Parole et écriture/lecture : cf. L. Panier, ouvrage cité (cf. note 33), p. 110-118 (mise en discours et articulation du sujet), p. 337-360 (« l’incarnation de la parole ») ; J. Delorme, Au risque de la parole. Lire les évangiles, Paris, Seuil, 1991 ; J. Calloud, article cité (cf. note 22), p. 55-56.

[36] Les connivences de la linguistique sausurrienne et de la sémiotique avec une anthropologie de type sociologique sont bien connues, le langage s’imposant comme une institution sociale. La sémiotique de l’énonciation fait apparaître des complicités avec une anthropologie de type psychanalytique, qui s’intéresse aux structures du sujet parlant. Cf. L. Panier, ouvrage cité (cf. note 33), p. 314-322 ; P. Beauchamp, « Accomplir les Ecritures » (cf. note 14), p. 142-146. On peut rapprocher entre autres la théorie greimassienne du débrayage radical postulé par la mise en discours (« une schizie créatrice », par laquelle un « non-je, non-ici, non-maintenant » se disjoint du sujet de l’énonciation et se projette dans l’énoncé, Dictionnaire I, p. 79) de la théorie lacanienne du sujet clivé et de la perte irrémédiable qui préside à l’émergence du sujet parlant.