Romains 8, 1-30 – Commentaire

Texte : Romains 8, 1-30
Auteur : Pierre Chamard-Bois ()
Circonstance : suite à une rencontre du groupe » Rendez-vous avec la Bible » de Guiclan (29)
Date : février 2013
Traduction utilisée : voir traductions de travail

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Le contexte

Dans le dernier verset du chapitre 7, Paul constate : « Je suis moi-même, du côté de ma raison soumis à la loi de Dieu, du côté de ma chair soumis à la loi du péché. »

Ce verset souligne l’anthropologie[a] de Paul. L’être humain est composé de deux réalités : l’une, que l’on peut nommer raison ou perception ou compréhension[b], l’autre appelée chair. Il ne s’agit pas du tout de l’opposition corps-âme. La raison est ce qui anime la volonté[c]. La chair, qui peut parfois désigner l’être humain dans sa totalité[d], est utilisée ici par Paul pour désigner ce qui fait souffrir, ce qui est limité, mais aussi ce qui peut faire entrer dans la joie.

Paul parle de la « loi de raison » et de la « loi de la chair » comme de deux réalités qui nous constituent, et parfois nous divisent. Ces deux « lois » sont intérieures à nous. Mais il y a aussi la « loi de Dieu » et la « loi du péché ». Ces deux dernières lois, extérieures, influencent les deux lois intérieures. Par exemple, la raison sous la loi de Dieu est choix d’être en Christ. La raison sous la loi du péché est folie[e]. La chair sous la loi du péché est convoitise, pulsion à posséder l’autre. La chair sous la loi de Dieu est attente d’être relevé dans le Corps du Christ.

Sous la loi du péché, raison et chair s’opposent. Sous la loi de Dieu, les deux sont réconciliés. Mais, à la fin du chapitre 7, Paul atteste qu’il n’est qu’à mi-chemin entre ces deux lois. C’est aussi le cas des croyants : ils confessent le Christ, mais « ils ne l’ont pas encore dans la peau ». Ce qui reste à opérer est la naissance de la chair à la loi de Dieu. C’est le sujet du chapitre 8. Sa lecture nous permettra peut-être de revêtir un peu plus le Christ.

Un plan pour s’y retrouver

Notre texte est assez long. Pour le structurer, on peut s’appuyer sur la temporalité et/ou l’énonciation[f].

Les v. 1-2 sont une transition avec ce qui précède[g] : une manière de dire que la raison n’est plus soumise à la loi du péché, cette loi du péché que la loi de Moïse révèle par la condamnation de chacun qui, un jour où l’autre, est en infraction avec elle. Paul parle à un TU indéterminé, qui peut être le lecteur, et aussi lui-même. Le temps est celui du présent comme résultat d’un passé qui n’est plus.

Les v. 3-8 : Un NOUS est énoncé au v. 3. Les versets qui suivent sont sans autre marque d’énonciation, donc on peut supposer qu’on est toujours dans le registre du nous. Le temps est référé à l’événement passé du Fils qui a pris notre chair.

Les v. 9-15 : le VOUS l’emporte, avec une césure en NOUS au centre (v. 12) avec l’adresse « frères » Le temps est celui du présent (du discours).

Les v. 16-17 : le NOUS structure ce passage. Nous sommes toujours dans le temps présent.

Les v. 18-21 : le JE est énoncé, sans précision d’un vous. Temps présent orienté vers l’avenir.

Les v. 22-27 : Paul utilise le NOUS. Le temps est celui de l’attente et de l’espérance.

Les v.28-30 sont hors temps, comme si l’attente avait atteint son terme.

Le découpage par le temps et le découpage selon l’énonciation ne sont pas complètement superposables, mais ne sont pas non plus indépendants. On retrouve notre hypothèse : il s’agit de mettre en œuvre la naissance de la chair à la loi de Dieu. Paul part d’un rappel du passé qui signale que la condition originelle de cette naissance est acquise (par la venue dans la chair du Christ) ; il invite ensuite à accueillir la condition de fils adoptif par le choix présent de la mise à mort des « œuvres du corps » ; il nourrit l’espérance et l’attente d’une « spiritualisation » complète en soulignant les symptômes de cette advenue comme ceux d’une naissance en cours. Le NOUS l’emporte. Le passage en VOUS est une exhortation à exercer sa liberté pour accueillir la filiation adoptive qui permet à la loi de Dieu de libérer la chair de la loi du péché.

L’événement inaugural

3 En effet, chose impossible à la Loi, faible du fait de la chair, Dieu, en envoyant son propre Fils avec une chair semblable à celle du péché et à cause du péché, a condamné le péché dans la chair,

4 afin que le précepte de la Loi fût accompli en nous qui ne marchons pas selon la chair mais selon l’Esprit.

L’impasse dans laquelle les humains se débattent est que la Loi, figure de la loi de Moïse ou simplement de la raison, est sans cesse affaiblie par la chair, en tant que, sous la loi du péché, elle est source de convoitise, de jalousie et de désir de meurtre. Il est impossible pour un humain de maîtriser complètement ses pulsions de mort. La Loi ne fait que limiter les dégâts.

Pour sortir de cette impasse, Dieu envoie son Fils dans cette chair soumise à la loi du péché pour le commun des mortels, mais sans que Lui n’y soit soumis.

Première révélation : la chair peut être régie par une autre loi que celle du péché, celle de Dieu, sans être totalement anéantie. Au cœur de ce qui semblait n’être que le mal chez les humains, il y a autre chose de possible Non pas par une intervention extérieure (la Loi) de domestication ou de refoulement, mais par une métamorphose en profondeur.

Seconde révélation : par cette opération « d’incarnation », le Fils a désactivé dans notre chair la loi du péché. En faisant apparaître une autre perspective pour cette chair que nous croyons viscéralement prise dans cette loi du péché, le Fils réduit à néant la puissance de nuisance de cette loi de péché. Le problème, c’est qu’on n’y croit pas vraiment. Nous sommes plus enclins à essayer de tenir le péché à distance qu’à le traverser. Or c’est ce que le Fils a fait : il a traversé le péché jusques dans sa figure ultime, la mort, sans en être asservi. Notre (bonne) raison ne peut croire que c’est possible. C’est pour cela que, même si nous pouvons le croire en ce qui concerne le Fils, nous ne pouvons imaginer que cela puisse aussi être un chemin pour nous. Nous ressentons dans nos entrailles la peur et la fascination de la mort, comme terme à la vie. Le Fils, au contraire, nous fait signe que la mort n’est pas le terme de la vie, mais son début.

La Loi qui limitait les dégâts autant faire se peut est en ce sens accomplie (v. 4) en pouvant déployer sa finalité de vie jusqu’au cœur de la chair qu’elle n’arrivait pas auparavant à « re-susciter ». Cette résurrection de la chair est la vie selon l’esprit. Les v.5-8 déploient ce que condensent les v. 3-4.

Quand la chair s’exprime dans l’Esprit

14 En effet, tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu.

15 En effet vous n’avez pas reçu un esprit d’esclaves en vue de la crainte ; vous avez reçu un esprit d’adoption dans lequel nous crions : Abba ! Père !

16 L’Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.

A partir du v. 12, Paul montre comment l’Esprit transforme cette chair libérée de la loi du péché. Il s’agit de rompre avec l’idée que nous devons la vie à cette chair, que nous sommes en dette avec elle (v. 12). Nous ne sommes pas fils de la chair, imaginant que la vie nous est donnée par cette chair, mais fils de Dieu qui est la source réelle de la Vie. Fils de Dieu en tant que nous sommes conduits par l’Esprit de Dieu. Etre ainsi conduit n’est pas de l’ordre d’une dictée de ce que devons faire : cela est du ressort de notre raison sous la loi de Dieu (dans la foi confessée avec d’autres).

Mais alors comment s’exprime cette insufflation de l’Esprit dans notre chair ? Pas par un acte de foi dûment réfléchi, mais par un cri, issu de nos entrailles, des régions les plus sombres de notre être, qui articule ces deux mots : Abba ! Père ! Il y faut deux mots dans deux langues différentes pour l’exprimer. Un dans la langue de notre naissance (figurée par l’hébreu Abba pour Paul), et un dans la langue de notre raison. Ces deux mots disent la réconciliation entre la raison et la chair, sous la loi de Dieu.

L’Esprit atteste à notre esprit… Paul ne confond pas les deux. Notre esprit, cette réalité nouvelle que nous sommes où raison et chair se donnent la main, ne peut cependant dire de lui-même que nous sommes enfants de Dieu. A l’origine de ce que nous devenons, l’Esprit est continuellement actif pour cette attestation qui n’est pas de l’ordre d’un savoir, mais qui est le sens même de ce que sommes : un témoignage pour Dieu.

Création et résurrection, c’est tout comme

18 J’estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas dignes de la gloire qui doit se révéler en nous.

19 Car la création en attente aspire vivement à la révélation des fils de Dieu :

La gloire, c’est-à-dire la venue à visibilité, comme une lumière qui se met à briller dans les ténèbres, la gloire est en cours de révélation. Paul la compare avec les souffrances actuelles pour dire qu’elle est incommensurable avec elles. Les souffrances sont la nuit où cette lumière vient. Non une nuit sans issue, mais une nuit qui attend l’aurore. Les souffrances, qui seront appelés plus loin gémissements[h], sont annonce de ce que nous devenons. Mais de quelles souffrances s’agit-il ? Des souffrances physiques, psychologiques ? C’est peu probable. Il faudrait chercher du côté de souffrances spirituelles, celles qui ont trait au sens même de notre existence, à nos doutes à croire que le chemin que nous parcourons mène quelque part, à la difficulté de nous défaire de ce que nous croyons être…

Une erreur serait de prendre la création pour ce qui est créé, par exemple le monde, le cosmos, la nature… La création est un processus en cours de déploiement, plus précisément en aspiration que soit rendu visible ce que nous devenons : des fils de Dieu. Nous participons de la création qui est attente de notre résurrection en Christ. La création est la résurrection en cours. Elle en est au dernier jour de la gestation, quand l’enfant se trouve jeté dans le monde qui l’attend (v. 22).

La figure de la création permet d’ouvrir une perspective individuelle à une universalité. Nous ne pouvons être révélés comme fils de Dieu qu’avec tous les autres qui vivent cette aventure. C’est dans le Corps du Fils que se voit en chacun cette filiation.

 

Nous arrêtons là ce commentaire qui ne vise qu’à permettre de lire et relire ce texte. L’Esprit y apparaît, entre autres, comme intercédant en gémissements ineffables, ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de mots pour traduire ce qu’il annonce et met en œuvre dans notre chair. Nous gémissons de notre chair qui souffre de quitter ce qu’elle fut. L’Esprit en nous gémit de l’impatience du Père à nous accueillir en son Fils.

 

[a] La conception de l’être humain.

[b] Nous en grec.

[c] Cf. Ro 7, 19 : « le bien que je veux, je ne le fais pas, mais le mal que je ne veux pas, je le fais. »

[d] Influence de l’hébreu, quand la chair traduit nefesh.

[e] Le système nazi est un exemple de raison devenue folle. Il ne s’agit pas d’incohérence mais d’une logique rationnellement meurtrière. On peut aussi penser aux comportements pervers des individus.

[f] Qui parle à qui ? Comment est nommé l’interlocuteur ? On peut être attentif aux pronoms personnels : je/tu ; je/vous ; nous.

[g] « Je suis moi-même, du côté de ma raison, soumis à la loi de Dieu »

[h] Nos gémissements, pas ceux de l’Esprit.