Démarrer la lecture, Anne Pénicaud, Olivier Robin

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CONCLUSION : RETOUR SUR LE DISPOSITIF DU SEMINAIRE ET SUR LA POSITION DE SES ANIMATEURS

Suggérons, pour achever notre parcours, que le dispositif du séminaire, avec la particularité qui est la sienne, ne fait rien d’autre que mettre en œuvre pour les participants ce qui est requis de ceux-ci lorsqu’ils sont animateurs. Plus encore, l’on peut envisager que tout ce que nous avons dit pour les lecteurs et animateurs au long de cet article vaut également, et à plus forte raison, pour les animateurs du séminaire eux-mêmes. Ainsi leur position n’est-elle pas de « donner des leçons » à ceux qu’ils tâchent de former, mais d’accepter de traverser pour eux-mêmes les défis que les animateurs, en général, doivent affronter, afin d’apprendre à les nommer : condition sine qua non pour accompagner d’autres sur le même chemin de la découverte des joies de l’animation. La différence tiendrait peut-être que les animateurs du séminaire travaillent sans filet, et cette situation conduit à envisager un dispositif particulièrement fécond pour aborder ce type de défi : le travail en co-animation. On peut alors en revenir aux deux premiers éléments mentionnés par la partie précédente de ce parcours : nécessité du débrayage et remise en question des fondements.

La nécessité du débrayage

Notre procédure de formation suppose un triple débrayage spatial, actoriel et temporel. Spatial : ce n’est pas le texte de l’évangile qui définit l’espace de lecture, mais un texte second, celui de la relecture ; actoriel : ce ne sont plus les mêmes acteurs qui prennent la parole ; ceux qui étaient lecteurs un moment donné ne sont plus désormais que des « acteurs en papier », bien éloignés des lecteurs « seconds » qui, désormais, les appréhendent ; temporel : un délai important est posé entre la première lecture et la relecture. Ce triple débrayage est posé par le cadre du séminaire, parce qu’il ne serait pas facile à effectuer spontanément sinon. Il est en effet à ce point difficile d’effectuer un tel débrayage, notre parole semble tellement accrochée à nous-même, que tout dispositif qui semblerait la toucher de trop près nous met immédiatement en danger. Inversement une pratique régulière agit, à la manière d’un exercice [55], comme un lieu d’entraînement à l’embrayage et au débrayage. Les animateurs du séminaire ne sont pas dispensés de la pratique régulière de cet exercice : ils sont logés, bien sûr, logés à la même enseigne que quiconque. Ils ne peuvent même pas revendiquer s’y mouvoir plus à l’aise que ceux qu’ils forment. Pour avoir à tenter d’y guider autrui, ils ont simplement davantage conscience de la difficulté de l’entreprise…

Si toute lecture sémiotique suppose l’exercice permanent du débrayage, les animateurs du séminaire s’y livrent d’une manière particulière. Il leur revient en effet de jongler en permanence entre les différents niveaux de lecture et les différentes formes de débrayage qui les caractérise [56] : au plan de la lecture, au méta-plan de la méthode, et au méta-méta-plan des conditions dans lesquelles nous allons questionner la pratique réglée de la lecture sémiotique elle-même. Interrogation toujours plus profonde, elle demande de cibler le niveau acceptable d’interrogation pour les participants : c’est aux animateurs du séminaire de proposer un dispositif tel, de façon suffisamment rigoureuse et adaptée aux participants du séminaire pour que ceux-ci puissent envisager un débrayage. Ces derniers peuvent le faire à la mesure du chemin parcouru autour de la question des fondements. Quant aux animateurs du séminaire, ils ont eux-mêmes à faire, et à refaire sans cesse l’exercice d’une interrogation de leurs propres fondements et accepté d’entendre une parole les assurer : « Crois seulement ».

Provoquer ainsi un tel débrayage suppose d’envisager, en deçà de la scène de la lecture et la fondant, la position logique d’une instance d’énonciation qui préside au débrayage du dire. C’est à cette instance d’énonciation que l’on peut référer une sorte de contrat de base en forme de « crois seulement ». Cela pose les animateurs, de groupes de lecture comme de séminaires de formation, comme destinateurs délégués (ils sont donc destinateurs…mais pas plus que délégués). Ils ont la charge de poser et d’assumer le cadre au nom d’un Autre, et non pas en leur nom propre. C’est ce qui est exprimé au groupe lorsque nous lui rappelons que nous travaillons pour que la Parole circule jusqu’à ceux qui se trouveront dans les groupes que chacun anime ou animera. Ce ne sont donc pas les personnes des animateurs en tant que telles qui sont en jeu, mais la Parole d’un Autre pour des autres. Pour ce projet, il faut apprendre à se déprendre de soi-même.

Nous proposons de ne pas regarder le débrayage à partir de ce qu’on lâche mais à partir de ce qui est visé par lui. Il s’agit de viser un moindre inajustement sur cette instance d’énonciation. Le débrayage est fondamental parce qu’il nous permet d’accéder à notre désir, qui est d’être posé avec d’autres sur la trajectoire de la parole : telle est la position ajustée pour traverser. Enoncer qu’il s’agit de « croire seulement », c’est envisager les choses depuis la fin, au double sens du mot. L’assurance est donnée qu’un destinateur, un Autre, envisage le projet du point de vue de son accomplissement assuré, sans pour autant que cette perspective ne retire quoi que ce soit à la liberté des sujets ni aux aléas du chemin qu’ils vont emprunter. L’on pourra alors regarder devant avec l’assurance de parvenir sur l’autre rive, quelles que soient les tempêtes traversées : il est possible de compter sur la réussite a priori du parcours de lecture. Un « Réel » nous précède, nous attend, et nous fait confiance pour y parvenir. Cela suffit pour nous convaincre d’oser la traversée.

Une remise en question des fondements

Pour l’animateur du séminaire, une question similaire se pose et l’oblige également à faire face à la même épreuve, même si c’est à un niveau méta. Pour lui, cela pourrait s’énoncer ainsi : la proposition formulée aux participants d’effectuer, avec les risques que cela comporte, le parcours du séminaire, va-t-elle fonctionner ? Ne va-t-elle pas provoquer de la « casse », des réactions de la part des participants telles que tout le travail va s’arrêter ? Est-il légitime de jouer ainsi avec les couches profondes des sujets qui viennent avec confiance ? Et si quelque chose dérapait ? L’animateur n’aurait-il pas une responsabilité écrasante dans l’échec prévisible de la séance ? L’animateur de séminaire sent souvent qu’il « joue avec le feu », et s’interroge légitimement sur son droit à le faire.

Si l’essentiel est le débrayage proposé par les animateurs, l’on voit alors qu’il n’est pas nécessaire de se crisper sur une proposition de chemin définitive et absolue. Ainsi notre propre dispositif a considérablement évolué à mesure de sa mise en œuvre et continuera à le faire. De la même façon, plusieurs dispositifs distincts ont été envisagés, tour à tour mis en œuvre, qui provoquent différentes formes de débrayage pour les participants au séminaire. L’on s’aperçoit à l’usage que tous les participants n’y entrent pas tous de la même manière, ce qui est fort logique et normal, mais qu’ils se complètent assez heureusement.

Dans la séance étudiée ici, il y a eu l’intervention de l’animatrice : « pour qu’ils puissent lire ». Les participants éprouvaient un peu de peine à entrer dans la lecture, risquaient de s’égarer dans la technique : l’intervention débrayée de l’animatrice a permis de reprendre le chemin. Un tel débrayage n’a été possible qu’au prix de la reconnaissance d’une peur spécifique à dépasser : « la peur d’être un sujet », un sujet à mains nues, un sujet sans cuirasse, exposé à tous les coups. D’où la question dans la consigne : « Où fondez-vous votre position de sujet ? ». Inversement, l’animateur du séminaire sait que son propre débrayage est réussi lorsque le groupe lui-même peut prendre les rênes et se lancer pour son propre compte dans la recherche du sens. La relecture a été pour le groupe ce moment où, s’appropriant son histoire et cherchant à lui donner sens, il s’est risqué à une lecture neuve et originale. Il ne reste aux animateurs du séminaire qu’à en recueillir les fruits avec reconnaissance et admiration.

Anne PENICAUD Olivier ROBIN

(CADIR-Lyon)

Notes

[1] Ceci nous donne l’occasion de remercier le groupe qui s’est prêté à l’expérience et dont la perspicacité, dans la lecture et la relecture, nous a permis de progresser dans la mise au jour des enjeux dont nous allons parler.

[2] Les deux autres formes proposent aux participants soit d’animer un temps de lecture « en direct » au sein même du groupe soit de relater une expérience de lecture vécue lors d’une animation de groupe. Dans ces deux derniers cas, une relecture et une analyse sont effectuées selon des modalités proches de celles exposées ici. Nous aurons l’occasion d’y faire allusion dans de prochains articles de Sémiotique & Bible.

[3] Au sens fort et ancien du mot « gymnastique ». Cette capacité à se situer ainsi simultanément sur deux plans fait fond sur la capacité du sujet humain à accepter un certain clivage, dont le prix à payer est un réel inconfort : il faut sans arrêt se demander où l’on se situe, et parfois l’on peut s’y perdre. Mais l’habileté venant, c’est une aide précieuse pour l’animation de groupes de lecture.

[4] Nous parlons ici d’embrayage par analogie avec l’emploi de ce terme par Greimas. L’embrayage consiste pour un lecteur à se poser dans une position énonciative d’entendement sémiotique qui lui permet d’accueillir les parcours figuratifs (d’un texte ou de ses lecteurs) et de se laisser guider par eux.

[5] L’embrayage a en effet pour réciproque un débrayage qui qualifie cette fois une position de dire. Nous y reviendrons.

[6] Ce discernement est en rapport direct avec le projet que nous associons à l’animation d’un groupe : il ne s’agit pas, à notre sens, de « faire » lire un texte au groupe, mais d’accompagner le groupe lisant, ce qui requiert de l’animateur la capacité à lire la lecture du groupe. Ce projet est clairement énoncé aux membres du séminaire, et a pour conséquence que le séminaire ne se préoccupe pas prioritairement de lire des textes, mais de s’appuyer sur cette lecture pour apprendre à animer.

[7] Les textes ne sont pas pour autant des faire-valoir de notre travail d’élaboration. Ils présentent la vertu de nous fournir eux-mêmes des modèles pertinents pour penser ce qui se passe dans l’animation. C’est pourquoi, dans ces pages, nous évoquerons fréquemment tel ou tel passage scripturaire, en contrepoint (et non pas seulement en illustration) de nos propos. Nous évoquerons bien sûr Lc 10, 25-37, travaillé pour l’occasion, mais aussi d’autres textes géographiquement proches dans l’évangile selon Luc, notamment au chapitre 8, qui entrent en écho avec notre réflexion. Le recours à plusieurs textes alourdira un peu notre discours, mais il nous a semblé que l’enjeu en valait la peine.

[8] Cette parole, à nos yeux, se réfère explicitement à la Parole de Dieu. Dans les groupes que nous animons, il ne s’agit pas de privilégier une lecture savante, mais une lecture en vue de l’avancée des lecteurs sur un chemin de foi (ainsi que nous l’avons signalé dès les premières lignes de l’article), ce terme de « foi » recevant sens en fonction de la situation propre de chaque lecteur.

[9] La méthodologie sémiotique intervient ici comme un prérequis. En effet une animation de lecture sémiotique semble difficile à concevoir en dehors d’une compétence technique préalable. Cependant il ne s’agit pas non plus de transformer cette compétence en un carcan pour la lecture : elle se met à son service en la soutenant.

[10] Ce terme n’a rien de technique, mais il exprime justement une forme de renoncement dans la maîtrise de tous les paramètres qui conditionnent la lecture, autant du côté des lecteurs que des animateurs.

[11] Voir ci-dessus, note 6.

[12] Il pourrait, dans certains cas, s’avérer dangereux de mettre en lumière de façon trop brutale ces affects : nous ne savons jamais à l’avance comment les lecteurs — ni leurs animateurs — pourraient en recevoir la mise au jour ou la manifestation.

[13] C’est une manière de reconnaître l’impossibilité de retourner à un « référentiel », à la chose même à l’origine de ce texte. Ainsi, argumenter indéfiniment sur ce qui a pu réellement être dit est une façon de tomber dans le piège de l’illusion du référentiel et d’éviter le débrayage.

[14] Le terme de débrayage est employé ici avec deux acceptions. La première acception, purement technique, désigne simplement la production d’énoncés (c’est le sens greimassien du terme). La seconde acception caractérise la position des sujets dans le dire : en l’occurrence elle caractérise le dire qu’ils déploient pour commenter le « texte » lu. Dans cette acception le terme de « débrayage » désigne la distance intervenue dans le dire des sujets vis-à-vis du texte qu’ils lisent. En l’occurrence ce débrayage, fondé sur l’embrayage porté par la lecture, est d’autant plus nécessaire et plus difficile à mettre en place que le texte lu est un dire antérieur desdits lecteurs…

[15] Les productions imaginaires dont nous venons de parler ne sont pas par elles-mêmes négatives ni foncièrement mauvaises. L’imaginaire peut aussi être vu comme la source d’intuitions qui pourront conduire à l’élaboration d’hypothèses fécondes. Il s’agit simplement de le réguler.

[16] Bien entendu, la figure de la fin est une figure toujours inaccessible, et dire que nous lisons à partir de la fin peut paraître une gageure. Cependant n’est pas question de dire que nous connaissons déjà la fin, mais que celle- ci se manifeste dans le mouvement même qui nous entraîne ailleurs. Il s’agit donc d’apprendre à lire ce mouvement dans nos figures du présent. Nous évoquerons de nouveau cette figure au terme de notre article.

[17] Tout texte est l’aboutissement d’une énonciation et lire consiste donc à se situer à ce point-là. Cette approche, exprimée ici en termes strictement épistémologiques, présente l’avantage d’être cohérente avec la perspective biblique qui est thématisée dans les Ecritures par le recours au terme de « salut ». Il s’agit d’une structure de signification commune : une histoire (qu’elle soit sainte ou non) ne prend tout son sens qu’à partir de son aboutissement, lequel avait fait auparavant l’objet d’une promesse ; de la même façon, des signifiants ne prennent sens qu’à partir du signifié attendu lorsqu’on en observe l’enchaînement.

[18] On reconnaîtra dans ces lignes une libre adaptation de la problématique de la mise en discours, élaborée par les sémioticiens du CADIR, en tant qu’inscrivant les figures dans une chaîne signifiante renvoyant à un signifié toujours absent et toujours reporté ailleurs dès que semblant avoir été touché. Voir à ce propos les différents textes de Jean Calloud, Jean Delorme, François Martin, Louis Panier et Jean-Claude Giroud.

[19] Les structures énoncées sont portées par l’examen des énoncés du texte lu. Les structures énonciatives sont construites par la parole du groupe qui lit ce texte. L’un des enjeux de l’exercice auquel nous nous livrons est de faire apparaître l’écho qui intervient entre les deux types de structures.

[20] En effet la pratique et la théorie de la lecture que nous mettons en œuvre se réclament d’un cadre énonciatif positionné autrement que celui de la sémiotique figurative. Cette différence tient à une intégration de l’énonciation dans le champ de l’analyse sémiotique. Voir à ce propos les articles respectifs de Louis Panier et Anne Pénicaud dans le numéro précédent, 132, de la revue Sémiotique et Bible.

[21] Les initiales qui désignent les participants sont donc des initiales fictives. Seuls les noms des animateurs du groupe (OR, AP) ont été désignés de façon clairement identifiable, en raison de leur fonction d’animateurs. En l’occurrence seule AP est intervenue dans la discussion : OR, absent de France et connecté par Internet y participait, mais en position d’écoute.

[22] La pratique énonciative de la sémiotique se fonde, par différence avec une pratique figurative, dans un « découpage vertical » qui distingue dans un texte différentes lignes énonciatives. La justification sémiotique de ce découpage en « 3 D » (ainsi qualifié car il resitue dans l’espace un découpage des textes situé à plat par la sémiotique greimassienne) tient dans la différence des systèmes d’acteurs, d’espaces et de temps portés par chacune de ces lignes (cf n° 132 de la revue Sémiotique et Bible).

[23] On ne parle plus maintenant de scènes discursives mais de scènes figuratives, et ce pour deux raisons. D’une part, pour honorer le lien entre les figures et l’énonciation : l’analyse discursive est en effet une « analyse figurative » qui analyse des figures liées à l’énonciation. D’autre part, pour éviter tout effet de redondance avec la différence, essentielle pour la sémiotique énonciative entre les deux formalités du texte que sont récit et discours.

[24] La différence mentionnée ci-dessus entre récit et discours engage en sémiotique énonciative une différence de pratique. Les récits sont découpés sur la base de critères somatiques (acteurs, espace, temps) tandis que les discours sont découpés sur la base des figures d’énonciation.

[25] Cette métaphore n’est pas à prendre en un sens ontologique, mais sémiotique. Le « soma » est ici référé à la dimension somatique qui porte l’énonciation.

[26] Et, de fait, effectuer le découpage d’un texte n’est jamais une opération définitivement accomplie, mais peut faire l’objet de constants réajustements à mesure de l’avancée de la lecture.

[27] Rappelons que c’était la fonction des consignes données par les animateurs du séminaire.

[28] Nous préférons ce terme d’ « entendre » à celui, plus usuel, d’ « écoute », en raison de son rapport avec le modèle de l’entendre développé par la sémiotique énonciative.

[29] L’on constatera inversement, à la fin de la lecture et durant la relecture qui en sera faite, un véritable « entendre » des participants entre eux. Cela manifeste que l’entendre d’un groupe n’est jamais donné d’emblée mais se construit progressivement avec la lecture elle-même. Le fait que l’entendre ne soit pas encore posé au départ n’est donc pas un problème en soi : c’est le fait de tout groupe, et il est très beau de voir comment l’entente s’établit peu à peu.

[30] Pour valider cette hypothèse, il faudrait aussi visiter la fin de la lecture et y repérer les figures d’entendre qui auront émergé. Faute de place, nous n’irons pas jusque là dans cet article, renvoyant à plus tard la possibilité de compléter cette première étude par une seconde, qui concernerait la fin de la lecture.

[31] Ceci ne revient pas à dire que la personne en question a eu tort de s’en faire l’expression. Ce qui nous intéresse ici est de constater que, d’une manière ou d’une autre, ce consensus est venu à la parole, permettant qu’il soit ainsi interrogé.

[32] Nous ne voulons pas en employant ce mot faire expressément référence à l’inconscient freudien, mais nous soulignons au moins que les phénomènes que nous décrivons sont inévitables et donc involontaires.

[33] Nous cherchons ici à généraliser notre réflexion à toute situation d’animation. Nous ne devons cependant pas oublier que deux niveaux se mêlent intimement dans l’expérience que nous relatons. D’une part, les participants à notre séminaire sont des animateurs actifs ou potentiels, déjà engagés ou susceptibles de l’être auprès de divers groupes de lecture. Les éléments de modèles que nous allons dégager les concernent à ce titre. D’autre part, ces mêmes participants sont eux-mêmes membres du groupe constitué par le séminaire de formation à l’animation ; de ce fait, lors des séances de lecture, ils vivent comme de l’ « intérieur » une expérience de lecture dont ils peuvent être, par dessus le marché et temporairement, les animateurs. Ces deux niveaux se répondent, à la fois mêlés et distingués : le second offre les conditions d’une manifestation de ce qui se passe dans le premier. Nous rendrons, à mesure de notre réflexion, à chaque niveau ce qui lui revient. En conclusion, nous évoquerons un troisième niveau, qui considère cette fois les animateurs du séminaire lui-même. Animateurs comme les autres, tout ce que nous dirons dans les pages qui suivent les concerne également d’une certaine façon que nous préciserons.

[34] En Lc 8, 25, Jésus pose la question aux disciples : « Où est votre foi ? ». La foi est donc dans un lieu, et si la foi déserte ce lieu le sujet encourt le risque de s’enfoncer dans la panique à l’instar de ce qui se passe pour les disciples.

[35] Ce terme d’ « accueil » renvoie ici à ce qu’en sémiotique on nomme « embrayage » (cf ci-dessus, note 4). Greimas le définissait comme une tentative (impossible) de retour sur l’instance d’énonciation (voir DTRL, article « embrayage »). En prolongeant, nous envisagerons l’embrayage du lecteur sur le texte comme un tentative (jamais achevée) d’ajustement sur les structures du texte, nécessitant un débrayage préalable d’avec les siennes.

[36] Notre pratique semble confirmer l’intérêt d’un démarrage systématique par ce découpage en trois dimensions : il permet avec beaucoup d’efficacité un premier débrayage des lecteurs.

style= »text-align:justify; »[37] Rappelons-les succinctement : 1. L’animation par un participant du séminaire d’une lecture du groupe, conduisant à son analyse après coup ; 2. le récit d’une animation faite en dehors du groupe par un participant ; 3. une lecture du groupe sans animateur mais soumise à la consigne qui consiste à rendre compte sémiotiquement des observations effectuées.

[38] Elle l’est de fait, mais il ne s’agit pas de rester indéfiniment sur le même texte sous prétexte que l’on n’en a pas encore faire le tour : lire l’Evangile nécessite d’y être nomade et non pas sédentaire.

[39] L’on comprend ici pourquoi il est important que l’animateur dispose d’une réelle compétence technique. Elle lui est, en particulier, indispensable pour effectuer le discernement nécessaire au choix de la bonne porte pour entrer dans la lecture.

[40] Même si le lecteur peut ne pas avoir une perception immédiate de cette sensation de douleur.

[41] Ces questions peuvent en effet être entendues comme des questions portant sur le sujet en train de lire, et non comme destinées à enrichir l’encyclopédie personnelle de chaque lecteur.

[42] Nous entendons par « savoir » ce que nous en avons dit au début du paragraphe 5.1.

[43] Voir Lc 8, 50 : « Ne crains pas. Crois seulement ».

[44] Nous faisons écho ici aux travaux de Michel de Certeau, notamment dans La fable mystique, I. XVIe-XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1982, par exemple p. 216 et suivantes.

[45] La figure de « l’autre rive » nous semble aisément homologable à l’aboutissement d’un acte de lecture : un objectif est assigné à la lecture, et chaque lecteur, et plus encore l’animateur, a une idée de l’endroit où l’on doit aboutir. L’expérience montre que l’on n’aboutit jamais où l’on pensait, mais que la rive atteinte ne déçoit pourtant jamais l’attente.

[46] En étant bien conscient que le silence n’est pas, loin s’en faut, uniquement un signifiant de peur.

[47] Confère Lc 8, 50.

[48] Nous nous inspirons ici librement de ce qui a été dit avant nous : la confiance de l’animateur ne tient pas à lui- même, mais à une triple confiance dans le texte, la méthode et le groupe. La première formulation de cette « règle des trois confiances » provient d’Anne Fortin.

[49] Nous entendons le mot foi, ici, dans le sens de cette confiance fondamentale dont nous parlons, qui se situe au plan de l’énonciation dans la parole de l’animateur, et non pas au plan d’un énoncé comme ce peut être le cas dans une caricature de discours catéchétique. Nous employons cette figure parce qu’elle fait écho à son emploi dans l’évangile de Luc, dans des passages proches du nôtre : en Lc 8, 25 (la traversée de la mer), 8, 48 (la femme ayant des pertes de sang) et 8, 50 (la rencontre avec Jaïre).

[50] Lc 8, 4-5.

[51] Il s’agit en effet, à travers ce découpage, de mettre en évidence l’espace énonciatif d’un texte, c’est-à-dire la forme qu’il donne à l’énonciation. Dès lors l’énonciation apparaît, en rapport avec l’énoncé, comme ce qui en soutient et organise formellement la proposition.

[52] Cf Lc 8, 23-24.

[53] C’est une situation proche de celle-ci que sont amenés à vivre les disciples que Jésus envoie au début du chapitre 9 de Luc. Dans les maisons ils n’ont qu’à être présents, sans faire obstacle à une parole qui circule au-delà d’eux.

[54] Il n’en reste pas moins que, pour être ainsi « quittée », la compétence technique est un préalable incontournable.

[55] Ou encore à la manière d’une gymnastique, comme nous le suggérions au début.

[56] Nous disions au début de cet article que les animateurs nous semblaient devoir se préparer à une gymnastique exigeante consistant à circuler constamment entre deux niveaux de lecture et de thématisation. Les animateurs du séminaire ne sauraient se soustraire à une telle exigence.