Lire la Bible en groupe : apprentissage,
Jean-Pierre Duplantier

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3° Journée : Les figures

Matin

1- Présentation

Les figures ne sont pas des mots. Certes il y a des mots, des expressions, des qualifications, ou même des situations qui évoquent d’autres réalités. Ils font image. Les ressources du langage sont immenses en ce domaine [10].Mais ces éléments figuratifs agissent chez les lecteurs de deux façons. La première attire les associations les plus diverses et multiplie les projections que les lecteurs font instinctivement selon des logiques souvent incontrôlables. C’est inévitable et cela pèse lourd dans nos interprétations spontanées. La seconde voile ou défait certaines constructions sur lesquelles les lecteurs s’étaient déjà plus ou moins entendu, et signale un deuxième étage [11] de la construction de la signification. Voici quelques remarques sommaires pour habituer notre regard à l’émergence de cette forme de l’énonciation qui élève une écriture à la hauteur d’une œuvre littéraire ou d’un texte inspiré.

  • Les figures se présentent dans le déroulement du texte comme des trouées, d’où descend une lumière insolite, d’où monte un souffle puissant. Elles sont comme l’emplacement d’une source [12]. Elles sont des « indices de l’invisible » [13] ou encore des « épiphanies de la vie » [14]. Ce ne sont pas seulement des ornements. Les figures énoncent ainsi ce qui ne peut se dire qu’en figures.
  • C’est avec des objets marquants, des objets naturels, pris dans une histoire, comme la cruche et le pain d’Elie, la cruche de la samaritaine, le vase brisé de Marie Madeleine à Béthanie, que la Bible accroche souvent des étoiles dans le ciel de la lecture.
  • Les figures ne résident pas à tel ou tel endroit du texte. Elles prennent leur appui sur tel ou tel détail inattendu, mais leur déploiement ne se manifeste que selon des « enchaînements » réglés par le texte [15]. Elles sont comme une discrète mélodie, écrite sur une ligne particulière de la partition, qui nous apporte, par bribes, par fragments ou par éclats, une nourriture pour le corps, quelque chose comme une petite fête et une discrète réjouissance compatible avec les lois qui régissent les êtres parlants.

Atelier parcours : Marc 4, 1-9

4, 1 – De nouveau, Jésus se mit à enseigner au bord de la mer. Une foule se rassemble près de lui, si nombreuse qu’il monte s’asseoir dans une barque, sur la mer. Toute la foule était à terre face à la mer. 2 – Et il leur enseignait beaucoup de choses en paraboles. Il leur disait dans son enseignement : 3 – « Écoutez. Voici que le semeur est sorti pour semer. 4 – Or, comme il semait, du grain est tombé au bord du chemin; les oiseaux sont venus et ont tout mangé. 5 – Il en est aussi tombé dans un endroit pierreux, où il n’y avait pas beaucoup de terre; il a aussitôt levé parce qu’il n’avait pas de terre en profondeur; 6 – quand le soleil fut monté, il a été brûlé et, faute de racines, il a séché. 7 – Il en est aussi tombé dans les épines; les épines ont monté, elles l’ont étouffé, et il n’a pas donné de fruit. 8 – D’autres grains sont tombés dans la bonne terre et, montant et se développant, ils donnaient du fruit, et ils ont rapporté trente pour un, soixante pour un, cent pour un. » 9 – Et Jésus disait : « Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »

Consignes :

  1. Observer le déroulement de l’ensemble du texte. Puis, dans un second temps, appliquer à ce texte les indications concernant les figures.
  2. Quel est l’ « objet concret [16] » de cet enseignement de Jésus en paraboles qui vous paraît assumer le déroulement des séquences ?
  3. Formuler les « déformations » de la logique habituelle des semailles indiquées par la convocation dans chaque séquence d’autres éléments figuratifs, soleil, oiseaux, épines, « belle terre ».
  4. Replacer la parabole dans le récit.

3. Reprise et débat

Nous allons suivre pas à pas quelques unes des questions qui ont été soulevées dans les groupes. Perspective : « Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ». Qu’est-ce que passer de lire avec ses yeux et en suivant les lignes avec son doigt à entendre avec ses oreilles ? Ceci me rappelle ce qu’écrit Jean Calloud :  » Il y a plusieurs «manques» dans un récit, deux au moins qui sont irréductibles et donnent lieu à deux sortes de déplacements : le premier manque seul a été bien repéré et son extension a été majorée. C’est le manque visible et réparable, qui donne lieu à déplacement et à correction. Il y a pour ce manque comme un « objet » proportionné dont l’attribution est sanctionnée comme réussite au moins relative. Le second manque passerait inaperçu si certains textes n’en imposaient l’hypothèse, car il n’est visible ni corrigible et ne s’accommode d’aucune attribution d’objet. Il ne donne donc pas lieu à un second déplacement semblable au premier ou à une phase tout à fait indépendante du premier déplacement. C’est pourtant un manque véritable, plus radical que l’autre, et sans lui aucun texte n’existerait. Le premier manque est bien connu parce qu’il est facile à penser et à décrire, étant manque de ceci ou de cela. Le second s’atteste dans ses effets et sa transformation en «marque». Il ne peut se décrire. Il prend corps, ou il prend figure dans un corps. » [17] Quel est ce « fruit » qui monte, se développe et dont la « productivité » ne cesse de s’accroître ? [18]

Après-midi

Présentation

Nous allons poursuivre la lecture du chapitre 4 de l’évangile de Marc. A nouveau nous allons devoir remettre sur le métier notre ouvrage de lecture, du seul fait que la clôture du texte à lire est poussée plus loin. Cette fois-ci, l’objectif est de percevoir comment le parcours des lecteurs est largement déterminé par ce deuxième étage de l’énonciation, à savoir son élaboration figurative. Le changement d’interlocuteur, d’abord la foule, puis les disciples, s’enregistre assez facilement sur la dimension narrative. Mais ces mêmes indications ont peut-être une autre portée. La qualification des acteurs (foule, disciples) et le rôle « d’enseignant » de Jésus sont aussi des éléments figuratifs. Or il apparaît que la logique qui s’élabore peu à peu dans ce texte présente des aspects pour le moins étranges. S’agit-il d’une adaptation de l’enseignement au niveau des enseignés ? D’une initiation ésotérique pour les plus doués ? Pourquoi alors cela n’est-il pas dit clairement ? Pourquoi la citation d’Isaïe, l’introduction du mystère du règne de Dieu et l’addition de nouvelles paraboles ? Serait-ce que la mise au point de la relation « maître-enseigné » porte sur une dimension non énonçable de notre condition et de notre expérience. Non entièrement absorbées par la nécessité de dire « ce qui se conçoit bien et s’énonce clairement » ? Ce sont des textes de ce genre qui nous ont amené à l’hypothèse suivante : « les figures construisent comme une demeure pour une autre Vérité, celle qui revient d’un lointain oubli et qui parle à notre insu. » Nous allons essayer de prêter l’oreille à ces enchaînements.

Atelier parcours : Marc 4, 10-34

4, 10 – Quand Jésus fut à l’écart, ceux qui l’entouraient avec les Douze se mirent à l’interroger sur les paraboles. 11 – Et il leur disait : « A vous, le mystère du Règne de Dieu est donné, mais pour ceux du dehors tout devient énigme. 12 – pour que, tout en regardant, ils ne voient pas et que, tout en entendant, ils ne comprennent pas de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné. » 13 – Et il leur dit : « Vous ne comprenez pas cette parabole ! Alors comment comprendrez-vous toutes les paraboles ? 14 – Le semeur sème la Parole. 15 – Voilà ceux qui sont au bord du chemin où la Parole est semée : quand ils ont entendu, Satan vient aussitôt et il enlève la Parole qui a été semée en eux. 16 – De même, voilà ceux qui sont ensemencés dans des endroits pierreux : ceux-là, quand ils entendent la Parole, la reçoivent aussitôt avec joie; 17 – mais ils n’ont pas en eux de racines, ils sont les hommes d’un moment; et dès que vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, ils tombent. 18 – D’autres sont ensemencés dans les épines : ce sont ceux qui ont entendu la Parole, 19 – mais les soucis du monde, la séduction des richesses et les autres convoitises s’introduisent et étouffent la Parole, qui reste sans fruit. 20 – Et voici ceux qui ont été ensemencés dans la bonne terre : ceux-là entendent la Parole, ils l’accueillent et portent du fruit, trente pour un, soixante pour un, cent pour un. » 21 – Il leur disait : « Est-ce que la lampe arrive pour être mise sous le boisseau ou sous le lit ? N’est-ce pas pour être mise sur son support ? 22 – Car il n’y a rien de secret qui ne doive être mis au jour, et rien n’a été caché qui ne doive venir au grand jour. 23 – Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » 24 – Il leur disait : « Faites attention à ce que vous entendez. C’est la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous, et il vous sera donné plus encore. 25 – Car à celui qui a, il sera donné ; et à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré. » 26 – Il disait : « Il en est du Royaume de Dieu comme d’un homme qui jette la semence en terre : 27 – qu’il dorme ou qu’il soit debout, la nuit et le jour, la semence germe et grandit, il ne sait comment. 28 – D’elle-même la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi. 29 – Et dès que le blé est mûr, on y met la faucille, car c’est le temps de la moisson. » 30 – Il disait : « A quoi allons-nous comparer le Royaume de Dieu, ou par quelle parabole allons-nous le représenter ? 31 – C’est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences du monde ; 32 – mais quand on l’a semée, elle monte et devient plus grande que toutes les plantes potagères, et elle pousse de grandes branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leurs nids à son ombre. » 33 – Par de nombreuses paraboles de ce genre, il leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre. 34 – Il ne leur parlait pas sans parabole, mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples.

Consignes :

  1. Observer l’ensemble du récit dans lequel les paraboles sont insérées (versets1-2 ; 10 ; 13 ; 33-34)
  2. Pouvez-vous formuler les différences entre le dispositif d’écoute et la nature des choses à entendre, telles qu’elles sont ordonnées par le texte ?
  3. Noter les « surprises » encours de lecture.

3. Reprise et débat

Il y aura suffisamment de grain à moudre avec le travail de lecture (résistances, difficultés, découvertes) Perspective : Souligner que le déroulement du texte (dimension narrative) et la construction figurative sont construits par les lecteurs avec les mêmes matériaux.

Constater que la lecture en groupe permet de mettre en jeu plusieurs sensibilités et plusieurs compétences. Et que l’incessant retour au texte est la règle première.