Lecture énonciative du chapitre 1 de Luc,
Anne Pénicaud, Olivier Robin

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Notes

[1] Il s’agissait d’une lecture énonciative de Lc 1,46-55 (le « Magnificat »).

[2] La lecture ne concernera donc pas la totalité du chapitre I. En effet les v. 1,1-4, qui précèdent ce récit, introduisent l’ensemble du texte en déployant le pacte énonciatif de l’évangile. Leur analyse n’entre donc pas dans le projet de cette série d’articles.

[3] Voir notamment, de L. PANIER, La naissance du fils de Dieu – Sémiotique et théologie discursive – Lecture de Luc 1-2, Cogitatio fidei n°164, Paris, Cerf 1991. Les v. 1-4 ont également été analysés par cet ouvrage (pp. 25-33), cette analyse étant elle-même reprise par le livre d’A. FORTIN, L’annonce de la bonne nouvelle aux pauvres – Une théologie de la grâce et du Verbe fait chair, Médiaspaul, Montréal 2005.

[4] Ce rapport, établi par Greimas comme le fondement de la sémiotique, n’a pas été développé par lui en direction d’un examen de l’énonciation. Ce développement a été le travail du CADIR. Pour une présentation de l’énonciation, cf de Fr. Martin, Pour une théologie de la lettre, Cogitatio fidei n°196, Paris, Cerf 1996, pp.92-95.

[5] Fr. MARTIN, « « Les feuilles mortes » de Jacques Prévert : Approches de l’énonciation », revue Sémiotique et Bible n° 117, mars 2005, pp. 5-29

[6] « Ainsi ce lieu peut-il être appelé le lieu de l’ « ego hic et nunc » (« je ici et maintenant ») qui, grâce à des procédures dites de « débrayage », rend possible le surgissement dans l’énoncé d’un « il(s)/elle(s) – là – alors », autant de grandeurs actorielles et spatio-temporelles qu’on définira d’abord comme « non-je », « non ici », « non maintenant » dans la mesure où elles n’ont d’existence que dans l’énoncé et ne sont donc pas à ce titre identifiables à l’instance d’énonciation elle-même. » Fr. MARTIN, « « Les feuilles mortes » de Jacques Prévert : approche de l’énonciation », revue Sémiotique et Bible n° 117, mars 2005, p 12. Voir également, d’E. Benveniste, « Les relations de temps dans le verbe français », in Problèmes de linguistique générale, I, (col Tel) Paris, Gallimard 1966, p 242.

[7] Le principe d’immanence fonde la pensée structurale. En sémiotique, il postule qu’un texte constitue un « micro univers de signification », un système de sens cohérent par lui-même et qui ne saurait être expliqué à partir de savoirs extérieurs au texte. Cette coupure avec le hors texte situe les acteurs, espaces et temps d’un texte comme des figures entièrement neuves, dont il y a lieu de considérer les déterminations à l’intérieur du texte.

[8] La recherche du CADIR a bien montré comment la question de l’énonciation est indissociable de celle des « figures ». Au terme d’une longue trajectoire scientifique, le terme de « figures » (initié par Greimas avec une signification proprement sémantique) en est venu à désigner dans cette recherche la puissance figurative inhérente aux textes, qui re-présentent la « réalité » en la façonnant à leur gré comme le feraient des tableaux de mots. Les figures d’un énoncé sont donc les qualifications qu’il donne aux acteurs, espaces et temps. Ces qualifications ne cessant d’évoluer au fil du discours, les figures sont des figures en parcours dans un énoncé, ou encore des « parcours figuratifs » dont les entrecroisements constituent cet énoncé comme le tissage de fils multiples.

[9] En cela la sémiotique se différencie nettement des positions de Paul Ricœur. Cf L. PANIER, « Ricœur et la sémiotique, une rencontre « improbable » ? Semiotica 168, ¼ (2008), pp. 305-324.

[10] J. CALLOUD, « Le texte à lire », in Le temps de la lecture – exégèse biblique et sémiotique, Lectio divina n° 155, Paris Cerf, pp.52-53, et Origène, Traité des principes (péri archôn), introduction et traduction par M. HARL, G. DORIVAL, A. LE BOULLUEC, Etudes augustiniennes, Paris 1976, pp. 224-225.

[11] Ce « faire sens » est nommé « signifiance », la signifiance étant « ce par quoi les signes se font porteurs de sens » (J. LADRIÈRE « Signification et signifiance », Synthèse, 59 (avril 1984), p. 59-67). Le concept de signifiance a été utilisé par les chercheurs du CADIR. Ils l’avaient reçu de Roland Barthes qui l’avait lui-même hérité de prédécesseurs. R. BARTHES écrit ainsi : « Il me semble distinguer trois niveaux de sens. Un niveau informatif, ce niveau est celui de la communication. Un niveau symbolique, et ce deuxième niveau, dans son ensemble, est celui de la signification. Est-ce tout ? Non. Je lis, je reçois, évident, erratique et têtu, un troisième sens. Je ne sais quel est son signifié, du moins je n’arrive pas à le nommer. Ce troisième niveau est celui de la signifiance », « La mort de l’auteur », in R. BARTHES, Dans le bruissement de la langue, Essais critiques, IV, Paris, Seuil, 1984, pp. 63-69. Au CADIR la perspective de la signifiance a été suivie par Louis Panier, François Martin et Jean Calloud, et située par eux au point de rencontre entre la théologie et l’anthropologie lacanienne. Voir par exemple, de L. PANIER, « La théorie des figures dans l’exégèse biblique ancienne : Figures en devenir », revue Sémiotique et Bible n° 100, déc. 2000, pp. 14-24 : « Faut-il (…) supposer que dans la lecture des figures se conjoignent l’usage des choses, en devenir vers (et à partir de) la jouissance, et la signifiance, en devenir vers son accomplissement ? La théorie patristique des figures (…) conduit à la question anthropologique du sujet, d’un sujet de l’interprétation, posé à la croisée des choses et des signes, du monde et du langage, de la perception et de la parole, de la jouissance et de la signifiance. Les questions soulevées par cette sémiotique ancienne rejoignent peut-être les interrogations les plus récentes d’une sémiotique sensible à la question du sujet et de sa fonction dans la saisie du monde et dans le langage » (p. 23). Jean Calloud a quant à lui développé une « sémiotique du signifiant » illustrée par plusieurs articles de la revue Sémiotique et Bible et précisée par une « Postface » à L’Apocalypse de Jean Révélation pour le temps de la violence et du désir, par J. DELORME et I. DONEGANI, Lectio divina n° 235-236, Cerf, Paris 2010.

[12] On retrouve ici le « principe d’immanence » mentionné ci-dessus comme fondateur de toute perspective structurale.

[13] Cf J. DELORME, « Lire dans l’histoire, lire dans le langage », in Parole et récit évangéliques, Lectio divina n° 209, Paris 2006.

[14] Le terme de « réception » fait allusion au « schéma de la communication », qui reçoit tout énoncé (oral ou écrit) comme un « message » adressé par un « émetteur » à un « récepteur » pour lui « communiquer une information concernant un « référent ». Dans cette perspective, la compréhension du message s’appuie sur l’intelligence du référent qu’il désigne. Une lecture dans la parole se situe tout autrement.

[15] Il y a là une seconde acception de l’immanence en sémiotique. Elle s’oppose à la « manifestation » Cf L. PANIER, « Lecture sémiotique et projet théologique. Incidences et interrogations » Recherches de Science Religieuse 78, n°2 (1990), pp. 199-220 et notamment pp. 205-206.

[16] Le programme narratif d’une part, le carré sémiotique de l’autre.

[17] Cette découverte « vaut » pour tous les textes, mais certains textes, dénommés par le sémioticien J. Geninasca comme des textes « intransitifs » (dont la signification ne s’épuise pas …), en portent la manifestation la plus nette. Il s’agit en particulier des textes littéraires (et notamment poétiques) et des textes spirituels, au premier rang desquels nous situerons les textes bibliques.

[18] Cf J-Y THÉRIAULT évoquant « une perte, … une impossibilité à mettre en langage ce qui fait parler », « Quel sujet d’énonciation pour la Lettre aux Colossiens », in Les lettres dans la Bible et dans la littérature, Cogitatio fidei n° 181, Cerf, Paris 1999, pp. 177-193.

[19] Cf la recherche de Jean Calloud mentionnée par la note 10.

[20] Cf notamment d’A. FORTIN, Introduction : « Parler », in L’annonce de la bonne nouvelle aux pauvres – Une théologie de la grâce et du Verbe fait chair, Médiaspaul, Montréal 2005, pp. 7-25.

[21] Fr. MARTIN, Pour une théologie de la lettre, Cogitatio fidei n°196, Cerf, Paris, 1996, pp. 155-178. L’anamorphose tient ici au retournement de point de vue opéré entre une perspective (qui n’est déjà pas immédiate mais cherche à décrire l’énoncé d’un texte, dans sa construction narrative) et une perspective seconde, exposée à l’énonciation immanente qui traverse l’énoncé.

[22] « Le lecteur prête sa voix au texte, au risque de la faire prendre pour celle du texte. Sa voix donne à entendre une parole qui n’est pas la sienne et qui n’a d’autre support que l’écriture, c’est-à-dire le tracé de la parole qui met en ?uvre les mots de la langue dans le texte. Cette parole n’attend que la lecture pour passer à l’acte, pour s’actualiser avec la collaboration du lecteur. Elle dort tant qu’on ne l’éveille pas en refaisant le chemin par lequel elle a passé et dont l’écrit garde la trace. » J. Delorme, « Mondes figuratifs, parole et position du lecteur dans l’Apocalypse de Jean », in Christ est mort pour nous, Etudes sémiotiques, féministes et sotériologiques en l’honneur d’Olivette Genest, dir. A. Gignac et A. Fortin, Montréal, éd. Médiaspaul, 2005, pp. 132-133.

[23] C’est l’ « effet Théophile » dont parle Louis Panier. Cf notamment « Sémiotique et théologie : incidences et questionnements », in Journée Théodoc – La narrativité, Louvain-la-Neuve, 15 oct. 2010.

[24] Ce terme a été proposé par Jean Delorme. Cf « L’heureuse annonce selon Marc », Cerf, « Lectio divina » n° 219 (t. 1) et 223 (t.2), Cerf, Paris , 2007 & 2008.

[25] On trouvera un exposé très clair de ce point de vue dans le texte de présentation du séminaire de Louis Panier dans le programme du CADIR de 2012-2013 : « Depuis de nombreuses années, la sémiotique s’est intéressée au problème de l’énonciation qu’elle distingue bien de celui de la communication. Présupposée par l’énoncé qui se donne à lire, l’énonciation préside à l’existence même du discours et à la possibilité d’un sens qu’un lecteur peut en recevoir. La question de l’énonciation prend une forme particulière dans le cas du texte biblique et de sa lecture : Quelle pourrait être l’instance d’énonciation qui rend cette lecture possible ? Et comment envisager le statut du lecteur de la Bible ? La Bible est reçue par l’Eglise comme « Parole de Dieu ». La perspective sémiotique de l’énonciation permet-elle de préciser cette affirmation ? Si on l’envisage en dehors d’une conception de la communication ou du message, qu’en est-il de la diffusion et de la réception de cette « Parole » par un sujet ? Qu’en est-il de la fonction de la Parole dans la constitution – même du sujet humain ? »

[26] On lira, à titre d’exemple particulièrement éclairant de cette pratique, les divers ouvrages de Daniel Arasse, et notamment « L’annonciation italienne », Hazan éditeurs.

[27] La sémiotique énonciative s’appuie également sur une analyse narrative, qui n’apparaîtra pas dans cette présentation. En effet elle n’est pas entièrement nouvelle, et les limites d’un article ne permettaient pas d’en rendre compte. Son statut en sémiotique énonciative est cependant tout à fait différent de celui du chemin de débrayage décrit ci-dessus. Elle n’est plus en effet un point de départ que ses limites destinent à dépasser aussitôt, mais l’autre versant d’une analyse proprement énonciative permise par le second modèle de ce parcours d’embrayage (le vitrail).

[28] Le point de vue du texte (la ligne somatique) sert là de référent interne pour évaluer celui des différents acteurs, engageant une ouverture sur la problématique de véridiction interne à un énoncé. Cf de A. PENICAUD, « Repenser la lecture ? Enjeux d’une approche énonciative des textes », Sémiotique & Bible n° 131, sept. 2008, pp. 3-28.

[29] Cette appellation est un hommage à une formule de Jean Delorme, co-fondateur du CADIR, qui comparait les textes à des vitres face auxquelles les sémioticiens auraient pris l’habitude de s’arrêter pour les contempler. Cette métaphore a conduit à qualifier les textes comme des vitres peintes, comprenant alors la forme énonciative surimposée à ces peintures comme les lignes d’un vitrail.

[30] « La focale détermine l’angle de champ de l’objectif, c’est-à-dire l’angle que va pouvoir capter votre appareil photo. Plus cette distance est grande, plus le champ.de vision est restreint. Une focale longue correspond ainsi à un angle de champ.serré, tandis qu’une focale courte correspond à un grand angle de champ. » [Source : www.gralon.net/articles/photo-et-video/photo-et-video/article-qu-est-ce-que-la-focale-en-photographie–3401.htm#definition]

[31] Ce concept de « scène » est emprunté à A-J Greimas, fondateur de la sémiotique. Il parlait à vrai dire de scènes discursives. La sémiotique énonciative parle plutôt de « scènes figuratives », ou plus simplement de « scènes », pour des raisons de clarification terminologique. En effet l’emploi du terme « discursif » est ambivalent. Le mot désigne à la fois tout texte, en tant qu’il résulte d’une « énonciation » que les linguistes qualifient comme une « mise en discours », et une catégorie particulière de textes : des textes dits « discursifs », et désignés comme tels par différence avec des textes « narratifs », « descriptifs », « poétiques », « législatifs », etc…

[32] Nous nous en tiendrons ici à la formulation de ce principe, qui pourrait s’appréhender comme un présupposé holistique. Il peut bien sûr être questionné, notamment du point de vue de ses implications. Mais ce n’est pas le propos du présent travail.

[33] Ce principe relève quelque part du gros « bon sens ». Il est d’ailleurs présupposé par toutes les analyses littéraires, qui le mettent en œuvre de façon réflexe : leur lecture est conditionnée par l’établissement des limites du texte, et se poursuit toujours par une opération de découpage interne plus ou moins affinée. C’est ainsi que cette pratique a conduit l’exégèse biblique à renommer les textes « péricopes », c’est-à-dire « découpages ». L’analyse énonciative se contente de reprendre et de systématiser ce découpage sur la base de critères énonciatifs et non plus thématiques.

[34] La perspective sémiotique développée ici n’interrogera pas l’historicité de ces récits, mais s’intéressera simplement à en qualifier l’énonciation.

[35] Il n’est pas à proprement parler énonciataire puisque cette position, en tant que l’un des pôles de l’instance d’énonciation, représente un horizon jamais atteint bien que perpétuellement visé. Il n’est plus un simple auditeur, au sens de récepteur passif d’un signal sonore lui apportant quelques connaissances. Il faudrait trouver un autre terme pour désigner la place de voyageur qui le caractérise, définitivement situé quelque part entre ces deux termes.

[36] Voir plus haut ce que Anne Pénicaud évoque autour de la notion de « relief ».

[37] Ainsi que l’ange l’est pour Marie en Lc 1,29.

[38] Nous n’ignorons pas que cette formulation a déjà été employée dans des acceptions totalement différentes. Nous ne la livrons ici que pour ouvrir une réflexion et faute d’avoir trouvé mieux pour exprimer ce qui constitue selon nous un enjeu théologique majeur en lien avec l’acte de lecture.

[39] Situation maintes fois rencontrée en tant qu’animateur de groupe… et pas simple à gérer car provoquant toujours une forme de trouble pour l’animateur.

[40] Il est possible de songer ici au « Au commencement/principe était la Parole » de Jean. La Parole est ainsi posée comme fondement de tout le reste, ce qui s’impose de soi et ne peut être mis en doute car douter, voire ne pas croire est, d’une manière ou d’une autre, déjà se situer en elle, fût-ce au prix d’un suicide.

[41] Que l’on pourrait définir, très grossièrement, par analogie avec Lc 1,5-80, comme un espace et un temps de rencontre personnelle et de dialogue entre le sujet et un « aggelos » venu de « la part de Dieu ».