Introduction
Le récit de la passion selon Marc (14, 1-16 ; 8) s’ouvre par l’annonce de la Pâque et des Azymes « dans deux jours ». Cette indication temporelle signale au lecteur que les événements, conçus par les autorités religieuses comme un complot pour faire mourir Jésus, doivent aussi être lus sur le registre de cette double fête. Un modèle de lecture est également donné dès l’ouverture. En effet, l’onction d’un riche parfum sur la tête de Jésus, vue par des témoins comme gaspillage au détriment des pauvres, est réinterprétée par celui-ci comme un geste signifiant, point d’ancrage d’un mémorial annoncé au monde entier. Ainsi la livraison du corps de Jésus et sa mort, qui servent les autorités, sont-elles à lire sur un autre registre de signification. Dans cette perspective, le récit du dernier repas de Jésus contribue à construire cette autre interprétation de sa mort. Lire ce texte évangélique, c’est rechercher les modèles figuratifs et énonciatifs qui le sous-tendent. Et suivre la mise en discours du dernier repas de Jésus en Marc, c’est éminemment faire œuvre de théologien à la recherche de la signification élaborée dans l’acte même de la lecture. Je me place au foyer ouvert par l’organisation discursive pour élaborer avec minutie et rigueur ce qui est donné à entendre dans l’entrelacement des figures signifiantes.
Le segment Mc 14, 12-25 sera analysé en séquences délimitées par des indices temporels : 1) « Le premier jour des Azymes », présenté ici comme un temps de préparatifs pour la Pâque ; 2) ce jour s’achève avec la mention du « soir venu » qui ouvre le temps de réalisation d’un repas, lui-même scandé par la répétition de « tandis qu’ils mangeaient » aux versets 18 et 22, formant ainsi dans la prise du repas deux moments clairement distingués, mais reliés. En 14, 26, le groupe part pour le mont des Oliviers, quittant cette salle spécialement dédiée à la réalisation d’un repas doté par Jésus d’une signification tout à fait unique.
Le premier jour des Azymes (14, 12-16)
Notre texte s’ouvre par la mention du « premier jour des Azymes », désigné comme celui « où l’on immolait la Pâque », c’est-à-dire l’agneau qui devait servir au repas pascal. Conformément à 14,1 les événements sont placés dans le cadre de la double fête annoncée. Rappelées ici, ces figures de célébrations religieuses, invitent le lecteur à entrer dans un monde de signification qui dépasse le point de vue utilitaire des choses, à se placer dans une atmosphère signifiante où prime la dimension symbolique des événements. Rappelons que les autorités religieuses, pour la réalisation efficace de leur projet, veulent justement se tenir à l’écart de la fête (14, 2). La notation temporelle signale le « premier jour » d’une fête : elle doit donc normalement s’échelonner sur plus d’une journée. Le texte ne mentionnera cependant pas de second jour, ni d’autres jours des Azymes. Quand il reviendra à des indications temporelles référant à un calendrier, ce sera pour indiquer la « veille du sabbat », également jour de « Préparation » (15, 42). Puis, le lendemain de ce sabbat, un « matin » souligné comme « premier jour de la semaine », à l’heure du lever du soleil (16, 1-2). Comme si le temps des Azymes restait inachevé, remplacé par un temps « nouveau » après la pause du sabbat. C’est déjà un indice que s’opérera une transformation dans la compréhension symbolique des événements qui s’enclenchent maintenant. Dans le texte, l’indication temporelle a comme effet immédiat de déclencher une question de « ses disciples » : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? ». Analysons cette question en tenant compte du récit qui la suit immédiatement.
Notons d’abord que le caractère de ce « premier jour » se précise : il s’agit d’un temps de préparation, ce que confirment les versets 15 (« faites-y pour nous les préparatifs ») et 16 (« et ils préparèrent la Pâque »). Remarquons tout de suite que la demande de Jésus quant à ces « préparatifs » (v.15) arrive dans le discours seulement après que la salle adéquate ait été repérée. Et c’est « là » qu’il doivent préparer ce qu’il faut pour la Pâque dont parle Jésus. Pour les deux émissaires, le travail de préparation se fera dans la salle. Le v. 16 confirme cet organisation discursive en mentionnant la préparation de la Pâque une fois que le lieu pré-dit (« comme il leur avait dit ») ait été trouvé par les disciples. Rien n’est dit de l’obtention d’un agneau immolé. L’essentiel des activités préparatoires semble se dérouler dans cette salle, trouvée toutefois d’une manière assez particulière.
En revenant à la question du v. 12, nous observons en effet qu’elle porte sur le lieu : « Où veux-tu ». Selon le texte, la question du lieu paraît significative, mais voyons de quelle manière. Sans faire de psychologie, on comprend que la question des disciples présuppose un manque de savoir quant au lieu « voulu » par Jésus. Y avait-il disponibilité de quelques endroits connus d’eux, entre lesquels Jésus aurait pu choisir ? De fait, le discours de Jésus, qui occupe le cœur du récit, ne répond pas directement à cette interrogation. Il les mènera plutôt en terrain jusque là inconnu, où ils auront à se diriger sur la confiance en sa parole. « Deux de ses disciples » sont « envoyés » par Jésus : le narrateur donne ainsi à la démarche des disciples le caractère d’une mission entreprise par le duo au nom du Maître. Ce « deux disciples » font pour tout le groupe ce qui représente la part des disciples dans la préparation du repas. Le texte ne dit pas que le signe est convenu, comme celui du traître en 14, 44. Mais il est particulier et facile à repérer : « un homme viendra à votre rencontre, portant une cruche d’eau ». Les deux disciples sont invités à le suivre. Notons que le débrayage énonciatif fait que la description de la mission est présentée explicitement comme parole même de Jésus. En « suivant » l’homme à la cruche, le duo se trouve ainsi à suivre la parole de Jésus, ce qui est une belle définition du disciple. En définitive, c’est en référence à la parole de Jésus que la salle sera trouvée.
La mise en discours fait aussi que la question sur le lieu se trouve reprise et énoncée comme parole du Maître dans le discours même de Jésus : « Où est ma salle ? » S’il reste disponible quant au lieu, comme il le paraît quant au signe pour y conduire, le Maître désigne néanmoins l’endroit comme « ma salle », et dit qu’elle est « toute prête ». Du point de vue du dire de Jésus, la salle est prévue et adaptée à la fin qu’il envisage : « manger avec ses disciples ». Sa parole en fait sa salle auprès du propriétaire. En montrant la salle, ce dernier se trouve à répondre à la parole de Jésus et à correspondre à son désir de les réunir en convives (« une pièce garnie de tapis ». Reste à y faire « là » les préparatifs « pour nous ». Le lecteur ne sera pas informé autrement de la localisation de cette salle, sinon qu’elle est « en ville » où le deux disciples sont envoyés. Ce qui compte pour l’organisation signifiante c’est qu’elle ait été trouvée en passant par un signe spécifique, accueilli et interprété selon le dire de Jésus. On y est ainsi conduit en suivant la parole de Jésus. La disposition à l’écoute est un élément fondamental de la phase de préparation. Bref, pour les deux disciples, préparer la Pâque de ce soir-là, c’est écouter Jésus et faire ce qu’il dit.
Nous en venons ainsi à l’observation des acteurs de ce jour de préparatifs. Il s’agit d’abord d’un groupe, désigné comme « ses disciples », qui lui posent collectivement la question du lieu pour la Pâque. Selon le narrateur, c’est encore manifestement « deux de ses disciples » qui sont envoyés par Jésus. Et le discours de ce dernier confirme le statut des convives : manger « avec mes disciples » (v. 14). C’est bien à titre de « disciples » que des acteurs sont mis en scène pour préparer une salle de repas. Dans son discours, Jésus se donne d’ailleurs explicitement le titre de « Maître » au sens de « Didascale ». Il ne s’agit pas seulement de trouver un lieu pour que Jésus mange la Pâque (« pour que tu manges la Pâque »), mais de préparer pour « nous » la salle désignée et appropriée par la parole du « Maître », pour la Pâque à laquelle il les convie et qu’il entend faire avec eux, « ses disciples », ce soir-là. Un « nous » réunissant Jésus et ses disciples dans une même commensalité. Maître et disciples seront réunis dans la salle du Maître pour cet acte de manger ensemble (« manger avec »).
En résumé, l’essentiel des préparatifs consiste à trouver la salle désignée par un discours de Jésus, et mise à sa disposition sur sa parole de maître; salle déjà préparée pour un repas, qu’il reste à aménager pour le « nous » formé du maître Jésus en communauté de table avec ses disciples. Aucun préparatif typiquement pascal cependant. Le texte peut bien noter deux fois qu’il est question de « manger la Pâque » (v. 12 et 14), le dispositif figuratif évoque un autre genre de repas. Pas de mention d’un agneau préparé, ni de pains sans levain, ni d’herbes amères, etc., à consommer dans le cadre d’une fête familiale. Plutôt, Jésus comme « maître » et « ses disciples » comme groupe convié par le Maître, en ce lieu désigné par celui-ci comme « ma salle », trouvée et préparée en accomplissant fidèlement sa parole. Les parcours narratifs et figuratifs de la préparation du repas construisent l’image d’un repas plus orienté vers la consommation de la parole du didascale que marqué par le rituel pascal. Qu’il soit pascal ou non, le repas auquel le Maître convoque ses disciples est un repas préparé sur la base de l’écoute, en temps et lieu compris comme éléments signifiants. Ce sera bien le dernier repas du groupe ici figuré comme « nous », car, Jésus le dit sur le chemin de Gethsémani, le pasteur sera frappé et les brebis se disperseront, jusqu’à ce que se réalise un autre type de rassemblement après la résurrection (voir 14, 27).
Le soir venu, à table (14, 17-21)
La mention explicite du « soir venu » en 14, 17 signale la fin du jour des préparatifs et l’ouverture d’un nouvel espace temporel. Se prolongera alors une interminable journée (nuit et jour), jusqu’à cette autre indication temporelle « le soir était venu » en 15, 42, Le repas pris par Jésus avec « les Douze » enclenche les événements de cette longue journée. Il sera suivi d’une nuit (juive) s’achevant par le chant du coq (14, 72) et comportant deux volets, l’un à l’extérieur à Gethsémani, l’autre chez le Grand Prêtre; puis d’un jour (romain) aussi en deux volets, le premier, le matin chez Pilate, l’autre, au Golgotha au fil des heures bien indiquées. Rappelons que cette longue journée n’est pas numérotée comme second jour des Azymes, ni désignée explicitement comme jour de la Pâque, bien qu’elle devrait y correspondre si la veille on a immolé les agneaux pour la fête. Du point de vue spatio-temporel, la séquence du repas est bien délimitée : ouverte par « Le soir venu, il arrive avec les Douze », elle est fermée par « Après le chant des psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers ». La répétition de « tandis qu’ils mangeaient » (v. 18 et 22) signale deux moments dans ce qui se passe à table. Lisons-les dans l’ordre où ils se présentent.
« Il arrive avec les Douze »
La première partie de l’énoncé est conforme au dispositif figuratif de la préparation. Jésus est distingué du groupe, il a préséance comme « maître » : il « arrive » accompagné (« avec ») de ceux qu’il a convié dans « [sa] salle », au repas préparé pour cette occasion. Notons toutefois l’écart manifesté dans la figure de l’acteur collectif : des « disciples » au « Douze ». Le contenu de cette figure devrait être éclairé par sa mise en discours ailleurs dans l’évangile de Marc. Faisons simplement l’hypothèse que la connotation d’enseignement liée à la relation maître-disciples se trouve atténuée au profit d’une autre qui pourrait être celle d’un rôle dans l’organisation ou la constitution de la collectivité (communauté ou peuple) rassemblée par Jésus. Le groupe rassemblé par Jésus est comme le noyau initial de la « multitude » évoquée plus loin. Mais n’anticipons pas !
« Et tandis qu’ils étaient à table et qu’ils mangeaient ».
Le cadre du repas pris ensemble est doublement rappelé et souligné : rapprochement des corps en communauté de table (« à table »), et action commune de manger, sans que soit indiqué ce qui est mangé. Tout en tenant compte du contexte de pratiques signifiantes et symboliques que constituent les repas solennels pris ensemble, voyons attentivement ce qu’il en dit ici. La signification ne semble pas liée à ce qui est pris comme nourriture mais au fait même de partager la même table et de manger ensemble. Exemple, l’attention sera mise par Jésus, non pas sur le contenu du plat, mais sur le geste même de plonger la main avec lui dans le même plat.
« En vérité, je vous le dis, l’un de vous me livrera, un qui mange avec moi. »
L’annonce de la « livraison » est soudaine et directe. Elle tombe dans la communauté de table, y fracturant la communion de convives. Elle est faite en marquant avec insistance l’appartenance du livreur au groupe réuni (c’est « l’un des Douze ») ainsi que son lien intime avec le locuteur (« qui mange avec moi », « qui plonge avec moi la main dans le même plat »). L’emphase est mise sur la proximité des corps et la communion dans l’action, en contradiction avec l’acte de livrer. La suite du récit montrera que cet acte de livrer va consister à remettre le corps de Jésus aux mains de ceux qui vont s’en emparer et le manipuler comme un objet à partir de l’arrestation à Gethsémani. L’effet dysphorique de l’annonce est d’abord manifesté par le sentiment qui envahit les convives (« ils se mirent à ») : expérience de « tristesse » pour ceux qui commencent à s’interroger sur leur fidélité à Jésus, fidélité qui sera bientôt encore plus durement mise à l’épreuve à Gethsémani.
Surtout, le texte fractionne les Douze pris comme groupe avec Jésus, en une série d’individus qui s’interrogent sur leur cas personnel en rapport avec lui. En effet est soulignée la réaction des convives pris individuellement : ils interrogent en succession et chacun pour soi : « serait-ce moi ? ». La parole de Jésus s’adressait à l’ensemble des convives présents (« je vous le dis »). Il ne répond cependant à aucun de ceux qui questionnent individuellement, laissant chacun faire la vérité sur ses dispositions et convictions envers lui. Si le lecteur connaît l’identité du « livreur », celui-ci n’est pas dénoncé dans le cadre du repas. Ce qui est manifesté, c’est la perversion de l’acte et non son auteur. Dans le cadre d’une communauté de table, le geste physique qui réunit les mains dans un même plat parle normalement d’une relation de communion entre les personnes qui y participent. C’est sur cette expérience de vouloir-être-avec que sont amenés à se questionner individuellement les convives. Expérience doublement mensongère pour le « livreur » qui confirme verbalement la fausseté de son geste en posant la question. Ce qui paraît un signe de grande communion, devient un profond mensonge pour celui qui se sait le « livreur » du corps dont il se montre si proche. La parole directe de Jésus n’entraîne pas la dénonciation du traître aux yeux des convives présents. Elle ne prévient pas non plus le méfait. Elle provoque plutôt un mouvement de vérification, chacun ayant à faire la vérité sur son rapport avec Jésus. Et ce n’est qu’un commencement (« ils se mirent à »), car le test sera bientôt encore plus radical.
« Oui, le Fils de l’homme s’en va selon ce qu’il est écrit de lui »
On doit lire en prenant en compte et le lien marqué par le oti grec (« oui »), et l’écart opéré par le changement de scène. D’une certaine manière, c’est un peu comme un discours parabolique. Il y a passage du rapport « je vous le dis » entre interlocuteurs présents (« l’un de vous », « serait-ce moi ») à une autre instance mettant en scène un rapport entre le « Fils de l’homme » et « cet homme-là ». La contradiction, au plan du repas en cours, entre « marger avec » et « livrer » se trouve, non pas expliquée, mais comme approfondie, ou éclairée en profondeur. En étant relue ou réinterprétée par le discours de Jésus qui met en scène « le Fils de l’homme », elle prend une dimension qui rejoint les structures profondes de l’humain. Le passage par le « Fils de l’homme » construit la signification de ce qui se passe en profondeur signifiante, et qui n’est pas visible dans l’immédiat de l’événement. Le retour sur cette parole de Jésus, plus tard, permettra de saisir quelque chose de l’enjeu que souligne ici Jésus.
Deux parcours se croisent sur le pivot constitué de la livraison d’un acteur par l’autre. Celui du « Fils de l’homme » est orienté vers l’avenir (« s’en va vers »). Il va vers un destin déterminé par ce « qu’il est écrit de lui ». Cette référence à l’écrit, sans citation d’un texte particulier, voile, plutôt qu’elle ne le révèle, l’itinéraire du Fils mis en scène. Elle renvoie pour son sens à un Destinateur qui est laissé à la reconnaissance de lecteur qui se met à l’écoute de l’écriture mentionnée. Chose certaine, le Fils de l’homme ne se livre pas. Il « est livré », dit le texte. Mais il entre dans ce destin en fidélité avec ce qui est dit de lui dans l’écrit. En assumant son destin en référence à l’écrit, il se trouve à naître à sa destinée comme sujet proprement humain (Fils de l’homme). Sa filiation humaine s’accomplit véritablement. À l’inverse, le parcours de « cet homme-là », lorsqu’il s’actualise dans l’acte de livrer est renvoyé au passé, non pour célébrer sa naissance, mais pour la regretter. Il est à plaindre « cet homme-là » comme sujet d’un acte qui consiste à livrer le « Fils de l’homme ». Si on oublie le savoir biblique qui fait de « Fils de l’homme » un titre, la plainte porte sur un « homme » qui livre le sujet humain qui est en voie de naître (Fils) à son humanité (de l’homme). Elle porte sur « cet homme-là » dans sa situation actuelle, non à cause de ce qui l’attend, mais en déplorant sa venue au monde des humains : « ce serait mieux pour lui de n’être pas né ». Son acte présent fait regretter l’acte même de sa naissance. Il renverse l’espoir accompagnant la naissance de tout être humain. En faisant ce qu’il fait, un tel « homme » enlève toute valeur à sa naissance humaine. Il s’en exclut lui-même et se trouve renvoyé au néant d’avant sa venue au monde. Quand un homme livre le Fils de l’homme, il y a quelque chose de l’humain qui est en manque de naissance. Pour le Fils de l’homme, cependant, qui assume son destin en référence à l’Écriture, il mène à son terme sa naissance humaine. On verra par la suite comment Jésus se montrera le fils du « Père » à Gethsémani et comment il sera déclaré « fils de Dieu » au pied de la croix.
Au cœur du repas (14, 22-25)
Se confirme ce que nous avons déjà observé du rituel pascal. En 14, 22-25 il y a bien du figuratif d’un repas comme tel, avec de la nourriture (pain et contenu d’une coupe) qui est consommée. Mais il n’est jamais question de manger l’agneau pascal, et il n’y a pas de figuratif spécifique de la Pâque juive. Rien n’indique que le rituel pascal ait été observé. Par contre, un geste avec du pain et un autre avec une coupe sont posés par Jésus, chaque fois prolongée dans une parole. Ces deux actions, placées de manière explicite dans le cadre du repas préparé et pris avec les Douze, sont bien distinctes, mais faites en succession et selon un ordre qui doit être pertinent pour la signification.
« Et tandis qu’ils mangeaient »
Loin d’être terminé, le repas se poursuit avec une intensité accrue. La reprise de l’expression kai esthiontôn à comme effet de redoubler l’encadrement signifiant. Une nouvelle manifestation de l’action de manger à l’intérieur du repas en cours, c’est dire qu’on est en plein cœur de cette activité. Il y a comme une concentration ou une densité maximale de ce qui était déjà en œuvre. Nous arrivons au plus intime de ce qu’il en est du repas auquel Jésus a convié les siens.
« Il prit du pain…ceci est mon corps »
Au cœur du repas en cours, Jésus prend « du pain ». Sans article, ce « pain » n’est pas défini ; il n’est pas dans le texte à titre de constituant d’un rituel spécifique. C’est le pain ordinaire de tout repas humain. Ce sont les quatre actions posées par Jésus en lien avec ce pain qui vont le spécifier. D’abord, le geste de prendre qui implique un mouvement de la main, pour faire sien, pour s’approprier ce pain. Puis un acte de parole, « bénir », littéralement dire que c’est bon, et que ce qui est pris de la main est reconnu comme don reçu. Puis, les gestes de rompre et de distribuer. Si l’unité du pain est perdue, c’est pour un partage entre ceux qui font table commune. Cette perte observable de l’unité du pain est la voie par laquelle on passe ici pour que la prise des morceaux par ceux qui font table commune soit entendue comme recomposition de son « corps ». Jusque-là cependant, ce que Jésus fait du pain peut être observé : c’est une expérience sensible que chacun pourrait interpréter et comprendre en son for intérieur.
Sauf que Jésus accompagne ses gestes d’une parole qui redéfinit le pain présenté : « prenez, ceci est mon corps ». Ce qui est dit par Jésus ne peut se voir. C’est donné à entendre en se fiant à celui qui le dit. Les Douze doivent « prendre » tout ce que Jésus « donne ». L’invitation « prenez » concerne aussi les paroles que les convives doivent s’approprier pour être nourris de tout ce qui leur est servi par Jésus. Bien des choses importantes à remarquer dans ce bref énoncé. D’abord, l’absence en Marc de l’impératif « mangez » dans la parole énoncée. Bien sûr, les convives ont dû manger ce qu’il ont pris ! Mais, en ne manifestant que l’action de prendre, la lettre du texte met l’accent sur ce mouvement de la main qui montre qu’on prend part à l’action commune, un acte personnel de communion. Rappelons, à l’intérieur du même repas, cet autre geste de la main dans le plat. Exprimant la communauté de table et la proximité des corps, il devenait geste mensonger pour celui qui allait livrer Jésus, avec lequel pourtant il paraissait faire corps. Voici que Jésus invite les Douze à faire un autre geste de la main, cette fois pour prendre ce qui est offert ; geste présenté comme appropriation de « son corps ». Ce rapprochement à l’intérieur du même repas opère une transformation signifiante dans la manière de comprendre l’appropriation du corps de Jésus. Ce qui, dans la perspective du livreur, constitue une appropriation mensongère pour mettre à mort, est transformé dans la parole de Jésus, en don de son « corps ». Un don qui devient appropriation réelle quand il est pris par ceux qui font communauté de table et d’écoute pour le recevoir comme ils l’entendent dire. La reconnaissance du « corps » dans ce repas implique communion entre convives et confiance envers le locuteur, car elle repose sur la parole entendue et non sur des usages ou codes culturels et religieux déjà reconnus.
Seconde observation, « ceci » et non pas « ce pain ». Si on s’en tient au texte, le pronom grec touto (ceci) ne renvoie pas seulement au pain comme tel, comme nourriture, mais à ce pain en tant qu’il a été marqué de quatre gestes par le locuteur dans le cadre spécifique de ce repas. En d’autres termes, c’est le fait que ce soit du pain pris par Jésus, béni, rompu et offert par lui dans ce repas, qui constitue le « ceci » de l’énoncé « ceci est mon corps ». Le parcours observable du pain ne doit pas être oublié quand la parole est entendue. Ce parcours effectue lui-même une inversion de ce que constitue la prise par la main dans le plat pour consommer. Jésus inverse le sens du parcours de la livraison. Il « prend » pour « donner », les Douze « prennent » pour recevoir et refaire en communion l’unité perdue du pain. C’est ce partage du pain, dans le cadre spécifique de ce repas, que Jésus charge d’une valeur figurative nouvelle en disant que « ceci » constitue son « corps ». Deux ordres de perceptions se conjuguent dans l’énoncé « ceci est mon corps ». « Ceci », c’est-à-dire l’expérience racontée juste avant, « est mon corps », c’est-à-dire donné à reconnaître comme son « corps ». Les Douze ne doivent pas en rester à ce qu’ils voient, mais l’expérience vécue leur sert de lieu pour recevoir ce qui est donné à entendre. Ce qu’ils expérimentent ce soir-là les dispose à adhérer à ce qu’ils entendent. Chose certaine, c’est en se fiant à la parole de Jésus qu’ils peuvent aller au cœur signifiant de ce qui est vécu. Entendue véritablement, cette parole dit ce qu’il en est désormais du « corps » de Jésus. Il n’est pas à chercher dans le tombeau. Il est à reconnaître dans le partage du pain au cours d’un repas spécifique, sur la foi de la parole entendue. La parole sur le pain recatégorise le repas pris ce soir-là. Si jamais il fut « pascal », il devient repas transformant le mode de présence « corporelle » de Jésus.
Troisième remarque, enfin, quant à la traduction « mon corps ». Dans le texte biblique, ce terme appliqué aux humains désigne tout leur être dans sa dimension concrète et sensible, de sorte que la Bible Nouvelle Traduction est tout à fait justifiée de traduire « c’est moi », soulignant la présence véritable de tout l’être de Jésus. On évite ainsi les dérives auxquelles le lexème « corps » peut donner lieu, s’il est entendu seulement de la dimension physique du composé âme-corps, selon une anthropologie bien connue. Malgré cela, la traduction « mon corps » nous paraît préférable puisqu’elle reste ouverte à des possibilités figuratives bien manifestées dans notre texte. Entre autres, celle de faire « corps avec » manifestée dans la communauté de table et celle de « manger avec » répétée dans le texte. En effet, dans la parole prononcée, le pain présenté par Jésus est approprié comme son « corps ». La parole définit ce qui est présenté à la main en ce qu’il devient s’il est consommé en écoutant la parole, « mon corps ». En donnant son « corps » à prendre, Jésus transforme la perte du corps livré jusqu’à sa disparition, en instauration d’un corps nouveau formé de ceux qui prennent pour vrai ce qui leur est servi ce soir-là. La disparition de l’être concret et sensible de Jésus, vue comme meurtre ou comme perte de sa présence (pensons au parfum de Béthanie), se trouve annulée pour ouvrir sur un autre mode de présence, comme « corps » constitué et approprié de convives-auditeurs de sa parole. Si en Marc, le pain présenté par Jésus avait une valeur plus « corporative » que « nutritive » ?
« Puis, prenant une coupe »
Distinct du précédent, mais venant à sa suite, le geste sur la coupe s’ajoute à ce qui est fait au cœur du repas. Comme pour le pain, la coupe reste indéfinie dans la lettre du texte, avant sa prise par Jésus. Même son contenu n’est pas indiqué avant que Jésus ne le donne à entendre. Elle entre tout simplement dans le cœur du repas comme coupe de laquelle on boira. Auparavant, trois actions de Jésus en lien avec elle. D’abord, il la « prend », la sortant de l’indétermination dans laquelle elle était jusque là, pour la faire sienne dans le cadre de son repas. L’acte de « bénir » est ici remplacé par celui de « rendre grâce ». L’action de grâce exprime de la gratitude pour une chose accomplie. Pour quelle chose ? Si on reste dans le cadre du repas, ce serait pour ce qui vient d’être accompli avec le pain, comme si ce qui est signifié par le pain rompu et partagé était déjà accompli. L’action avec la coupe en rend grâce et la parole va en expliciter le sens. L’acte de « donner » la coupe aux convives complète le gestuel de Jésus. Ce don est manifesté d’un seul mouvement comme si tous pouvaient recevoir en même temps la coupe, qui ne peut quand même pas être distribué à la manière du pain. De même l’action de tous paraît simultanée : « et ils en burent tous ». À la différence du questionnement « l’un après l’autre » qui renvoyait chacun à sa relation personnelle avec Jésus, ici la mise en discours fait, du geste de boire de la coupe, une sorte d’action commune complétant le gestuel observable, avant que la parole de Jésus n’en définisse le contenu. Elle fait partie du champ de l’expérience sensible qui sera convertie en parole.
« Ceci est mon sang de l’alliance »
Cette parole de Jésus vient en effet après que « tous » eurent bu de la coupe, de sorte que l’action des Douze se trouve englobée dans l’expérience maintenant exposée pour l’audition et l’écoute. Le « ceci » de l’énoncé ne concerne pas simplement le contenu de la coupe, c’est tout le gestuel qui précède qui se trouve manifesté dans ces nouveaux signifiants donnés à entendre.
« Mon sang » ne renvoie pas à l’être de Jésus comme le faisait l’expression « mon corps ». Il représente plutôt la vie du corps. Ici, Jésus en parle comme d’un sang « répandu », sorti ou séparé du corps, comme d’ailleurs il l’est dans les deux paroles séparées et successives de Jésus. Il peut être figure métonymique de la mort comme meurtre, telle celle de Jésus suite à sa livraison, mais aussi des sacrifices dans la symbolique biblique. Dans le cadre du présent repas, où il a été question de la livraison de Jésus et du don de son corps, cette parole renvoie bien entendu au sang qui sera versé dans sa mort prochaine. Il nous paraît difficile d’y voir un rapprochement avec l’immolation de l’agneau, car la symbolique pascale s’est bien absentée du récit. Par contre, celle de « l’alliance » est explicite. Nous dirions : le sang répandu de Jésus devient signifiant de l’alliance. La parole de Jésus transforme la valeur du sang répandu, le faisant passer du champ du meurtre obtenu sur livraison à celui d’une conclusion d’alliance. Elle fait de ceux qui boivent de la coupe les participants d’une alliance.
La parole prononcée ne fait pas de Jésus celui qui verse son sang pour la multitude ; elle fait que son sang, versé suite à l’acte du livreur, prend une valeur d’alliance pour un grand nombre. À condition de boire de la coupe telle qu’elle est donnée, et de l’entendre selon les signifiants transformés dans la parole dite par Jésus. Tous boivent de la même coupe, montrant ainsi leur participation à ce qui leur est présenté comme signe d’alliance. Au plan du sensible ce qu’ils boivent de la coupe n’est pas vu comme du sang. Mais l’expérience de boire ensemble de cette coupe donnée par Jésus est dite – et transformée si on y prend part comme c’est dit – participation à « son sang de l’alliance ». En d’autres termes, la parole transforme la valeur figurative du geste posé : le fait de boire de la coupe offerte par Jésus devient geste et lieu signifiant de l’alliance. C’est la parole de Jésus, suivant celle sur le pain, qui fait, du geste de boire de cette coupe offerte, une participation à l’alliance établie en son sang. Boire de la coupe présentée au dernier repas de Jésus c’est entrer dans l’alliance qu’a réalisée le don de son corps fait juste avant.
Quelle « alliance », entre quels partenaires ? Clairement, c’est une alliance qui passe par le sang versé, et qui est entendue comme telle à condition de convertir l’expérience sensible en réception de ses signifiants dans la parole. Nous pouvons aussi reconnaître l’un des partenaires de l’alliance dans le lexème pollôn (beaucoup, un grand nombre, une multitude). Notons que le texte dit nombreux et non pas tous, écart où se joue la réponse du sujet à l’audition de la parole entendue. Cela permet également de réviser la valeur de « pour », en écartant surtout la tonalité expiatoire qu’on lui donne trop souvent. Il ne s’agit pas de sang « versé pour » dans un contexte d’échange ou de marchandage des prix. C’est un sang répandu qui transforme « un grand nombre » en partenaire d’alliance, du fait qu’il est issu du don du corps de Jésus, et du moment qu’ils y prennent part comme c’est dit. Le récit du repas ne manifeste toutefois pas de figure de l’autre partenaire de l’alliance.
« En vérité, je vous le dis, je ne boirai plus… »
Une énonciation de « je » à « vous », semblable à celle du v. 18. Celle-là avait ouvert le repas. Celle-ci vient le clôturer. Toute la section se trouve comprise entre deux « en vérité, je vous le dis ». Se trouve ainsi confirmé l’importance de la parole donnée pour faire entendre autrement l’expérience sensible des convives de ce repas. Parole sur laquelle on peut s’appuyer (« en vérité » ou « amen »), si on veut vraiment faire corps avec celui qui parle.
L’énoncé ouvre un espace temporel à venir où seul le « je » du locuteur est mis en scène. Suivant celle sur la coupe, cette déclaration prolonge la perspective au-delà de la mort prochaine de Jésus. Une rupture temporelle est annoncée et une distance indéterminée est mise entre deux temps : celui qui s’achève avec le don de la coupe, et un « jour » à venir « dans le Royaume de Dieu ». Le temps intermédiaire, dont la durée ne semble pas signifiante, est simplement défini par la cessation d’un boire antérieur, et le temps à venir, par la reprise d’un boire « nouveau ». On ne peut manquer de remarquer le figuratif de ce qui est bu par « je » : littéralement, « de ce qui est engendré par la vigne » et du « nouveau ». Nous comprenons que l’« engendré de la vigne » n’est pas simplement une définition du contenu à rétro-projecter dans la coupe bue par les Douze. Cette figure concerne la limite ou la rupture à laquelle est arrivé le « je » qui parle. L’image de l’engendrement à partir de la vigne évoque les fruits du travail de viticulture et la joie de leur consommation. Liée au boire, cette figure dit ici, particulièrement dans le cadre d’un repas, quelque chose de la convivialité des humains quand ils boivent du vin. Cette convivialité arrive à son terme pour Jésus (« je ») en train de parler ainsi aux Douze (« vous »). Dans ce contexte, cette déclaration renvoie à sa mort prochaine. Mais en même temps elle ouvre la perspective d’un « boire nouveau », d’une convivialité nouvelle retrouvée dans un monde qui ne peut se dire, et qui est simplement figuré comme « Royaume de Dieu ». « Le Royaume de Dieu », dit Jean Delorme, « est la métaphore consacrée de ce Réel devenu proche, prêt à se dévoiler (1, 15), dont quelque chose se dit dans le repas de fête d’une communauté rassemblée. »
Amorce d’une réflexion sur l’ensemble de la mise en discours
Nous avons observé que le dernier repas de Jésus était présenté dans sa préparation, puis dans sa mise en œuvre, comme première activité d’un grand Jour menant à la mort de Jésus sur la croix. De la préparation à la réalisation, il y a cependant un glissement dans les valeurs figuratives qui nous font passer de la Pâque à manger par le Maître avec ses disciples à un repas d’alliance auquel Jésus convie le Douze, avant de s’absenter des convivialités terrestres pour une autre convivialité, nouvelle et laissée mystérieuse, celle du Royaume des cieux.
Un repas spécifiquement préparé sur la parole du Maître sert de cadre à des paroles et gestes qui annoncent en leur donnant sens les événements de la grande journée qui s’amorce justement par ce repas. Aucune mention de consommation d’agneau ni de pratiques pascales lors de cette cène. C’est l’annonce de la « livraison » de Jésus par l’un des Douze qui se trouve à ouvrir une consommation largement faite de paroles. Au lieu de prendre ce récit comme une transformation de la Pâque juive (si peu manifestée dans le texte), nous préférons y voir le contexte de fête religieuse servir d’occasion à la tenue du dernier repas de Jésus avec les siens. C’est un repas unique, où la parole prend le relai de l’agneau, un repas qui annonce (14, 18-21) et interprète (14, 22-25) la mort de Jésus.
Le récit de Mc fait passer de la Pâque juive au repas du Seigneur : le partage du pain signifiant le don du corps en lien avec la participation à la coupe bue comme action de grâce pour l’alliance reçue. Annonce de la mort certes, mais surtout sens donné à cette mort comme geste d’alliance. C’est le récit de la cène qui fait et autorise cette lecture de la passion et de la mort de Jésus. Ce récit est nécessaire pour que le corps livré soit reconnu comme transformation d’une présence corporelle, et pour que le sang du meurtre soit transformé en sang d’alliance. La mort de Jésus devient ainsi signifiante dans un repas où il reprend corps, son sang devient le signifiant d’une alliance nouvelle.
La dernier repas de Jésus constitue la première scène d’une longue journée. Comme le récit du parfum répandu dans l’ensemble du récit de la passion, il n’est pas simplement une avant-scène de cette journée, mais il en donne à l’avance une clef de lecture. Le récit de la dernière Cène construit déjà l’interprétation de l’arrestation et de la mise mort de Jésus. Comme le parfum répandu est perdu pour faire place au récit qui répercute le geste partout dans le monde, ainsi le corps et le sang de Jésus sont donnés pour que prenne place un repas d’alliance auquel pourra participer la multitude de ceux et celles qui seront rassemblés par ce mémorial parlant justement du « corps » donné pour la permanence du « corps », et du sang offert pour la vie en alliance.
« Après le chant des psaumes », le groupe avec Jésus quitte le lieu de la cène. Le petit segment textuel, entre le repas et l’arrivée à Gethsémani, est fait essentiellement de paroles échangées en route entre Jésus et ceux qui l’accompagnent. Ces paroles font comprendre à l’avance que devra se disperser le groupe des disciples réunis une dernière fois par le Maître, pour faire place à un nouveau rassemblement convoqué par Jésus après sa résurrection. Dans ce futur rassemblement, le dernier repas de Jésus trouvera son accomplissement.
NDLR : les notes qui suivent étaient dans le texte d'origine que nous n'avons plus. Nous les laissons ici, même si elles ne sont plus reliées au corps du texte.
- Voir la lecture de ce passage faite par Jean Delorme, « Sémiotique et lecture des évangiles. À propos de Mc 14, 1-11 » dans Naissance de la méthode critique, (Patrimoines, christianisme), Paris, Cerf, 1992, p. 161-174.
Cet article reprend une lecture faite dans le cadre d’une recherche, L’acte de lecture comme lieu théologique, menée avec Anne Fortin et Olivette Genest, recherche subventionnée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSHC). Tout en profitant du minutieux travail fait alors dans notre équipe par Olivette Genest, nous le reprenons ici d’une façon un peu différente de la sienne. Dans la même ligne, voir nos deux articles : « Le ‘jeune homme’ dans le récit de la passion chez Marc », Sémiotique et Bible, no 104 (2001), p. 24-42; « Comment Jésus fait le prophète en Mc 14, 56-72 », Sémiotique et Bible, no 110 (2003), p. 25-43. La rédaction de cet article a très largement profité également de l’étude de Jean Delorme, « Le dernier repas de Jésus dans le texte (Marc 14, 16-25) », dans M. Quesnel – Y.-M. Blanchard – C. Tassin, Nourritures et repas dans les milieux juifs et chrétiens de l’Antiquité (Mélanges Charles Perrot) (Lectio Divina 178), Paris, Cerf, p. 107-120. - Nous pensons que le récit du dernier repas de Jésus en Mc développe moins le don de Jésus comme nourriture que ne le fait Jn, par exemple, qui parle de « pain de vie ». En Mc, nous dirions que Jésus se donne comme corps, pour que le corps perdu survive dans la communion corporelle nouvelle des auditeurs de sa parole.
Il y a lieu de rappeler qu’on retrouvera bientôt dans le texte une « coupe » (14, 36) que Jésus doit accepter. Le fait que la figure du vin ne soit pas explicitée ici, au profit de l’accent mis sur le « boire de », nous autorise-t’il à rapprocher ces deux figures pour en construire la signification ? L’accent serait mis sur le fait de prendre part à ce que représente la coupe elle-même, plutôt qu’à la consommation du contenu. - « Le dernier repas de Jésus dans le texte (Marc 14, 16-25) », p. 117 (voir référence complète, note 2). Cette citation, la seule faite explicitement, veut témoigner ouvertement de la grande influence qu’a eu l’étude de Jean Delorme à tous les instants de notre lecture.
