Perspectives nouvelles sur la lecture,
2011 Anne Pénicaud

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[100] Cf l’École de Constance, et notamment R. JAUSS, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978 et W. ISER, L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, Bruxelles, P. Mardaga, 1985.

[101] Le consensus actuel est d’en faire remonter l’acte de naissance à l’ouvrage de R. SIMON, Histoire critique du Vieux Testament (1678). Cette modernité remonte ainsi au début du XVII° siècle.

[102] E. PARMENTIER, L’écriture vive, Interprétations chrétiennes de la Bible, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 78.

[103] P. GIBERT, La Bible, le Livre, les livres (Découvertes, n° 392), Paris, Gallimard, 2000), p. 124. Il ajoute, désignant les fondements philosophiques de cette exégèse : « En réalité, les questions et enjeux avaient déjà été posés par la Critica sacra du protestant Louis Cappel et par le Traité théologico-politique du juif Spinoza dans la mouvance directe de la philosophie de Descartes. » L’article « Herméneutique » d’un Dictionnaire biblique rédigé au tournant des années 1960 consonne avec cette présentation. Il décrit ainsi les « Règles qui permettent de déterminer le sens de l’Écriture », en les rapportant aux « règles profanes » que voici : « – 1/ Établir le texte exact, – 2/ Préciser le sens des mots, en tenant compte du contexte, des passages parallèles, des versions, du genre littéraire, du cadre historique, des sciences auxiliaires. », Article « Herméneutique », Dictionnaire biblique, J. DHEILLY, Desclée de Brouwer, Bruxelles, 1964, p. 497.

[104] L’interprétation de la Bible dans l’Église, Document de la Commission biblique pontificale, 15 avril 1993.

[105] Il ne s’agit pas ici de prétendre proposer une « histoire de l’exégèse », pour laquelle l’auteur de ces lignes ne serait pas particulièrement qualifiée par son identité de sémioticienne. En revanche, son extériorité par rapport au paradigme communicationnel lui permet d’adopter une posture d’observation indiquant l’unité conférée aux divers gestes de lecture dont le regroupement constitue « l’exégèse historico-critique » par leur référence commune au schéma de la communication.

[106] « La critique textuelle, pratiquée depuis longtemps, ouvre la série des opérations scientifiques. Se basant sur le témoignage des manuscrits les plus anciens et les meilleurs, ainsi que sur ceux des papyrus, des traductions anciennes et de la patristique, elle cherche, selon des règles déterminées, à établir un texte biblique qui soit aussi proche que possible du texte original », L’interprétation de la Bible dans l’Église, op. cit., p. 4.

[107] Article « Exégèse », A-E. HARVEY, Dictionnaire critique de théologie (Quadriges), J-Y. LACOSTE dir., Paris, PUF, 1998, pp. 446-449.

[108] Article « Genres littéraires dans l’Écriture », P. GIBERT, Dictionnaire critique de théologie, op cit, pp. 494-495.

[109] D’où la quête du « Jésus de l’histoire » visant « 1/ La reconstruction d’une biographie du Jésus historique en deçà des données évangéliques, et souvent contre elles ; 2/ l’alternative posée entre la judaïté de Jésus et sa qualité de fondateur d’un mouvement nouveau (si l’une est affirmée, l’autre tend à être niée. » Article « Jésus de l’histoire », D. MARGUERAT, Dictionnaire critique de théologie, op cit, pp. 598-607.

[110] Cette critique prend ainsi en compte l’inscription historique d’un auteur dans la situation politique et culturelle de son temps, dans la mesure où la documentation disponible sur cette période le rend possible : « […] alors que l’allégoriste voyait dans les bizarreries ou les contradictions du texte le signe d’un sens plus profond, le critique moderne y voyait des indices de son histoire prélittéraire. La présence de deux récits à peine compatibles de la création dans la Genèse devait être attribuée à un compilateur utilisant des matériaux dont la source n’était pas unique ; la non- cohérence de l’utilisation du nom divin (YHWH vs Elohim) était le signe que des matériaux de différentes traditions avaient été amalgamés en un seul texte. En distinguant ces éléments, il était possible de discerner des tendances particulières à chacun (par ex., dans la tradition « sacerdotale », « P », un intérêt évident pour les questions de rite. » Article « Exégèse », A-E. HARVEY, Dictionnaire critique de théologie, op. cit., pp. 446-449.

[111] Article « Exégèse », A-E. HARVEY, Dictionnaire critique de théologie, op. cit., pp. 446-449.

[112] Le genre est une « catégorie littéraire » reconnaissable à « un ensemble de règles et de caractères communs. », Larousse en cinq volumes, 1997, cité dans l’article « Genres littéraires dans l’Écriture », P. GIBERT, Dictionnaire critique de théologie, op. cit., pp. 494-495.

[113] A la suite notamment de Hermann Gunkel. « L’étude de la tradition orale dans d’autres cultures fit apparaître que la transmission exigeait des formes (genres littéraires) établies, correspondant aux circonstances dans lesquelles on utilisait lesdits matériaux. Les lois, par ex., avaient en général une forme casuistique quand on les citait devant un tribunal, mais une forme d’exhortation (« apodictique ») quand on les utilisait dans le culte. La coexistence de telles formes était un signe qu’elles venaient de différents milieux (Sitz im Leben), ce qui pouvait donner des informations précieuses sur l’histoire religieuse et culturelle du peuple ». Article « Exégèse », D. HARVEY, Dictionnaire critique de théologie, op. cit., pp. 446-449.

[114] Article « Genres littéraires dans l’Écriture », P. GIBERT, Dictionnaire critique de théologie, op. cit., pp. 494-495. Cette attention soutenue à la question des genres, et donc des formes littéraires mises en œuvre dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament, a ainsi permis aux exégètes de voir dans un texte (et tout particulièrement dans le texte de l’évangile) non « la création littéraire ou inspirée d’un seul auteur, mais la compilation d’un rédacteur utilisant de petits fragments qui devaient leur préservation à une période de transmission orale […] Des formes et de la structure de leur distribution dans les évangiles […] il était possible d’inférer leur Sitz im Leben, et donc les intérêts et les préoccupations des églises où ces matériaux avaient été préservés ». Article « Exégèse », D. HARVEY, Dictionnaire critique de théologie, op. cit., pp. 446-449.

[115] « En remarquant les changements subtils que chaque évangéliste semble avoir apporté au traitement de tel élément (chaque fois que la comparaison est possible), et en discernant un style de ces changements qui puisse indiquer ce qui intéressait particulièrement l’auteur, il parut possible de faire le portrait de chaque évangéliste, et de les considérer non plus seulement comme de bons rédacteurs, mais comme des écrivains créateurs, et même – approbation suprême ! – comme des « théologiens » de plein droit. » Article « Exégèse », Dictionnaire critique de théologie, op. cit., pp. 446-449. Ce questionnement a traversé la perspective développée dans l’Église catholique sur la lecture biblique durant les derniers siècles. En effet la définition canonique de l’inspiration incite à distinguer – autant que faire se peut ! – entre ce qui relève de l’ « auteur sacré » et ce qui doit être rapporté à « l’influx de Dieu » (article « Inspiration biblique », Dictionnaire biblique, op. cit., , p. 526). Cf la constitution de Vatican II, Dei Verbum : « Notre Sainte Mère l’Église, de par sa foi apostolique, juge sacrés et canoniques tous les livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, puisque, rédigés sous l’inspiration de l’Esprit Saint […], ils ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Église elle-même. En vue de composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il eut recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement. », Dei Verbum, Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Documents conciliaires 4, Paris, Éditions du Centurion, 1966, chap. 3, pp. 48-49.

[116] L’interprétation de la Bible dans l’Église, op. cit.

[117] Ibid.

[118] Ibid.

[119] Réseau de Recherches en Analyse Narrative des textes Bibliques, fondé en juin 2000 sous l’impulsion de l’exégète suisse Daniel Marguerat.

[120] Cette question, extrêmement importante, ne peut être ici qu’à peine esquissée. Elle a été approfondie par de nombreux travaux du CADIR. Fr. Martin et L. Panier, en particulier, ont indiqué là un important écart avec la théorie de la lecture proposée par P. RICŒUR. Fr. MARTIN note : « Selon certains auteurs comme P. Ricœur ou les théoriciens de la « réception » (Rezeptionstheorie), la littérature, surtout quand elle est « de fiction », aurait pour fonction essentielle de renvoyer à « un autre monde possible » ou de construire et de proposer un univers de valeurs différent du monde de la « réalité ». Il nous paraît très insuffisant de mettre en avant cette fonction qui en fait en masque une autre, bien plus capitale : signifier et figurer, à travers la déformation du monde de la vraisemblance, la forme spécifique de l’acte énonciatif et donc explorer ainsi l’univers propre du sujet parlant (univers qui n’est pas à confondre avec « un autre monde possible », celui-ci étant principalement d’ordre imaginaire, l’autre étant le réel même du sujet). », Pour une théologie de la lettre, op. cit., p. 171, note 24. Pour une approche plus approfondie de cette question, on se rapportera à l’article de L. PANIER « Ricœur et la sémiotique – Une rencontre « improbable » ? ». L. Panier distingue encore, et également sur ce point, la voie sémiotique du CADIR de celle tracée par U. ECO dans le livre Lector in fabula, ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Grasset, 1985. Le CADIR se réclame là de la fonction « intransitive » conférée aux textes littéraires – et notamment aux textes bibliques – par la sémiotique littéraire de J. GENINASCA (cf l’article de cet auteur, « Le discours n’est pas toujours ce que l’on croit », Protée 26/1, 1998, pp. 109-118). Dans un texte récent, L. PANIER propose une définition de ce concept d’intransitivité, indiquant en même temps l’importance de ce concept pour une analyse sémiotique des textes bibliques : « il (J. Geninasca) distingue […] le discours transitif et le discours intransitif. Le premier régime caractérise des discours dont la fonction (ou l’opérativité) est d’élaborer des modes d’émergence et de construction de la signification, pour autant que ces textes font l’objet d’une lecture, d’une pratique énonciative. Ce régime concerne particulièrement les textes littéraires, ils comportent bien des éléments de représentation, mais les intègrent, les mettent « en discours », au profit de la construction de la signification. Et c’est de cette manière que la lecture sémiotique aborde les textes bibliques. Ces textes, dans la pratique de lecture, seraient donc des « laboratoires du sens » et auraient, de ce fait, une opérativité propre dans la construction des univers sémantiques et dans la constitution du sujet lecteur. », « Sémiotique et théologie : incidences et questionnements », conférence (encore inédite) prononcée à l’Université catholique de Louvain le 15/10/2010. On pourra également consulter, de L. PANIER , J-Y THÉRIAULT, A. FORTIN, « L’intrigue, une question sémiotique ? », in A. PASQUIER, D. MARGUERAT, A. WENIN, L’intrigue dans le récit biblique, Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium, CCXXXVII, 2010, pp. 65-85. En donnant ainsi une fonction théorique au concept d’ « intransitivité » J. Geninasca s’inscrivait lui-même dans une tradition de pensée déjà ancienne. En effet ce terme se trouve déjà chez Goethe et Novalis. Roland Barthes – une nouvelle fois – en rend compte ainsi : « Dès qu’un fait est raconté, à des fins intransitives, et non plus pour agir directement sur le réel, c’est-à-dire finalement hors de toute fonction autre que l’exercice même du symbole, […] la voix perd son origine, l’auteur entre dans sa propre mort, l’écriture commence. » R. BARTHES, « La mort de l’auteur », op. cit.

[121] C’est la « captatio benivolentiae » bien connue des orateurs romains !

[122] Résumons brièvement cette logique énonciative, dans la forme que lui donne le schéma de la parole. Elle tient que les textes ne sont pas des instruments de communication mais des « machines à sens » destinées à être activées par, pour et dans leurs lecteurs : la lecture étant, dans sa pluralité, le lieu d’effectuation du sens d’un texte. Émerge en même temps, et de façon corrélative, le fait que les textes sont l’attestation d’un univers de sens dont ils portent la proposition vers des lecteurs : non pour s’y déposer comme en des récepteurs passifs, mais pour que cette proposition, entendue par chacun dans sa particularité, vienne y faire sens à chaque fois de façon singulière.

[123] Développant ce parallèle entre les deux approches, L. PANIER (« Lecture sémiotique et projet théologique – Incidences et interrogations », RSR 78/2 (1990), p. 204) parle d’une « visée rhétorique » de la narratologie : « Dans le domaine de l’exégèse biblique, on s’intéresse souvent aujourd’hui à la narratologie. Celle-ci apparaît à peu près en même temps que la sémiotique littéraire. Il s’agit d’une forme d’analyse du récit qui s’attache à la description (et à la typologisation) de la gestion du récit par la narration, ou des rapports entre la position du récit et la position du narrateur (en ce qui concerne l’organisation du temps, le déploiement des personnages et des lieux). La narratologie s’ouvre ainsi à une rhétorique narrative qui montre comment un lecteur se trouve impliqué dans la gestion du récit. »

[124] Apparaît là le risque d’une contagion du binaire, sur son versant polémique : en effet la différence risque ici d’être entendue comme menaçante, et par de ce fait comme ennemie.

[125] Il relève pour une bonne part d’un jeu de dupes, dévoilé dans le développement polémique pris par cette structure dès lors que plusieurs lecteurs sont amenés à confronter leurs points de vue sur l’ « intention de l’auteur » : la distance qui sépare ces points de vue en fait alors émerger le caractère imaginaire.

[126] En écho à ces considérations, on citera la façon dont L. PANIER (« Lecture sémiotique et projet théologique – Incidences et interrogations », op. cit., p. 208) décrit la convocation du sujet par une perspective sémiotique ancrée dans la parole : « La lecture sémiotique conduit ainsi à concevoir le texte comme une œuvre (œuvre de signification, œuvre à interpréter), et le lecteur comme sujet, relatif à l’acte d’interprétation qu’il effectue, relatif à l’énonciation du discours construit dans la lecture : l’œuvre est à interpréter et l’interprétation fait surgir le lecteur comme un sujet, articulé par le langage « mis en œuvre » dans le discours et non pas considéré seulement au niveau du savoir ou des représentations. »

[127] R. JAKOBSON, « Poétique », Essais de linguistique générale, op. cit., p. 213.

[128] La rapidité de cette présentation nous contraint à durcir les angles. Dans les faits, nombre d’aménagements ont été proposés au schéma de la communication, notamment l’intéressante « Formule de Lasswell », qui reconfigure la communication sur deux niveaux : un niveau supérieur, qui désigne l’énoncé, en résume l’enjeu par la formulation phonétique: KI-DIKOI-AKI. Le schéma lui adjoint un niveau inférieur, qui vise plutôt une description de l’énonciation : PEQUEM (par quels moyens) – AQUE (avec quel effet). On notera que la place du référent a disparu du schéma. Cependant il s’agit encore ici d’aménagements, alors que le schéma de la parole constitue un paradigme différent.

[129] Rappelons que cette forme de lecture n’est pas, loin s’en faut, réduite aux seuls textes bibliques. Cette réduction est simplement appelée ici par le champ exploré, qui est en l’occurrence la Bible.

[130] P. BEAUCHAMP, « Théologie biblique », dans B. LAURET et Fr. REFOULÉ dir., Initiation à la pratique de la théologie, t. 1, Introduction, Paris, Cerf, 1982, pp. 185-232.

[131] Dès lors bien sûr que cette lecture concerne les textes de la Bible.

[132] Cet article, intitulé « Lecture sémiotique et projet théologique – Incidences et interrogations », correspond à la conférence de présentation de la thèse de doctorat de L. PANIER. Il a été publié dans la revue RSR 78/2 (1990). Bien d’autres textes du même auteur auraient pu êtres donnés comme appuis à cette présentation. L’œuvre de L. Panier développe en effet très largement les questions abordées par cet article, y apportant à chaque fois des précisions et des éclairages renouvelés. Cette réflexion a été menée en parallèle avec la rédaction d’ouvrages théologiques : La naissance du fils de Dieu – Sémiotique et théologie discursive – Lecture de Luc 1-2, op. cit., ; Le péché originel – Naissance de l’homme sauvé, Paris, Cerf, 1966. Cette œuvre a ainsi un caractère fondateur pour la nouvelle pratique théologique présentée par l’article commenté ici.

[133] L. PANIER « Lecture sémiotique et projet théologique – Incidences et interrogations », p. 199. L’ensemble des citations proposées ici proviendront de ce texte.

[134] op. cit., p. 208.