Perspectives nouvelles sur la lecture,
2011 Anne Pénicaud

retour p. 15 p. 16/

3-3) Références bibliographiques

Ce dernier moment rendra compte de la forme assez particulière de la bibliographie jointe à ce travail. L’option a été prise de n’y mentionner que des textes effectivement lus, et cités dans le cadre de la présente lecture. Ce choix bibliographique s’explique par le projet mené ici. Il entend en effet développer une lecture, qui plus est ancrée dans le développement de modèles nouveaux. Il ne s’agit donc pas tant d’ériger un monument du savoir que de visiter des sentiers nouveaux, et pour une part inconnus. Cette décision a fait émerger deux points de difficulté, dont ce dernier moment d’Introduction tentera de rendre compte.

– La première difficulté concernait le rapport entre la lecture proposée ici et les différentes lectures exégétiques publiées autour de l’univers paulinien en général, et de l’épître aux Philippiens au particulier. Entre ces approches – toutes inscrites malgré leur diversité dans le cadre commun du schéma de la communication – et une perspective sémiotique relevant du schéma de la parole les échos sont, à l’usage, apparus comme très ténus. Pour tout dire le texte était là comme une île située au beau milieu de l’océan Atlantique, et qui serait contemplée d’un côté par l’Amérique et de l’autre par l’Europe… Il n’était pas possible de le considérer des deux points de vue à la fois. Cependant trois ouvrages exégétiques en français ont été pris pour référence, esquissant ainsi en contrepoint l’ombre de lectures autres que celle menée ici :

1/ Un ouvrage récent d’un exégète catholique, qui avait le double mérite de faire un point précis sur les différentes traductions du texte et de proposer une approche rhétorique contemporaine: Jean-Noël ALETTI, Saint Paul – Épître aux Philippiens – Introduction, traduction et commentaires, Paris, Gabalda, 2005.

2/ Un ouvrage un peu plus ancien d’un exégète protestant, reçu comme référence pour la lecture de l’Épître aux Philippiens : Jean-François COLLANGE, L’épître de Saint Paul aux Philippiens, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1973.

3/ Un ouvrage tout récent, attestant d’une approche spirituelle de ce texte : Enzo BIANCHI, Vivre, c’est le Christ – La lettre aux Philippiens, Paris Médiaspaul, 2007.

On trouvera ici peu d’allusions explicites à ces lectures : la différence du paradigme sémiotique a en effet rendu difficile un dialogue autour du texte, sauf pour des questions de traduction. Il n’empêche. Il nous a paru important de maintenir, comme une tension féconde, la consultation régulière de ces ouvrages en parallèle avec le développement de notre propre lecture.

– La deuxième difficulté concernait les innombrables lectures qui ont porté l’émergence de ce travail. Beaucoup d’entre elles se situent dans la littérature sémiotique. D’abord celle des premiers temps, et notamment les écrits d’Algirdas-Julien Greimas et de Joseph Courtès. Puis les travaux de Jacques Geninasca. Ensuite les très nombreux textes rédigés par les auteurs du CADIR, au premier rang desquels on placera les écrits de Jean Delorme pour l’exégèse, de Louis Panier et François Martin pour le versant théologique, et de Jean Calloud dans l’un et l’autre champ [161]. Avec comme un arrière-plan fondateur la perspective développée par ce dernier sur l’énonciation en rapport avec l’anthropologie lacanienne. D’autres encore devraient être nommés ici, et parmi eux François Genuyt, Jean-Claude Giroud, Jean-Pierre Duplantier, Alain Dagron, Jean-Yves Thériault, Cécile Turiot… Il faut ajouter à cette liste les travaux d’Anne Fortin, qui n’appartient pas directement au CADIR mais développe également une théologie fondée dans le geste sémiotique. La liste n’est pas exhaustive. De ces travaux n’ont été mentionnés, en bibliographie, que ceux cités dans les notes de ce travail. Dès lors beaucoup d’entre eux seront absents. Que leurs auteurs ne considèrent pas ce silence comme une omission, mais comme une limite imposée par le choix bibliographique indiqué ci-dessus. En effet l’exploration menée ici s’inscrit entièrement, comme cette Introduction l’a montré, dans le prolongement de l’ensemble – exceptionnellement riche eu égard à sa relative jeunesse – constitué par cette littérature sémiotique, qui aurait donc pu être intégralement citée.

Pour la même raison ont été mentionnés uniquement quelques ancrages linguistiques et littéraires de ce travail. En linguistique, Ferdinand de Saussure et Émile Benveniste. En littérature, Henri Meschonnic et Michael Rifaterre. Et deux grandes ombres. Celle de Roland Barthes, collègue et ami sémiologue du sémioticien Greimas, et responsable de la rencontre de la sémiotique avec la Bible lors du congrès de l’ACFEB évoqué ci-dessus. Et celle de Michel de Certeau, dont les travaux ont notamment développé sur l’énonciation un point de vue qui s’est avéré fondateur pour la réflexion menée ultérieurement au CADIR.

Cette Introduction a également mentionné l’importance des poètes, et de leur réflexion sur la parole. Le présent travail s’est spécialement appuyé sur l’œuvre de Christian Bobin, dont la lecture a accompagné et soutenu la rédaction de cette autre lecture : celle de l’Épître aux Philippiens, qui s’ouvre à présent.

Notes

[1] L’énonciation est un concept linguistique dont la sémiotique a élaboré une définition logique. Son point de départ linguistique réside dans les travaux d’É. Benveniste, qui caractérise l’énonciation comme « instance de la « mise en discours » de la langue saussurienne : entre la langue, conçue généralement comme une paradigmatique, et la parole – déjà interprétée par Hjelmslev comme une syntagmatique et précisée maintenant dans son statut de discours –, il était nécessaire, en effet, de prévoir des structures de médiation… », Article « Énonciation » , in A-J. GREIMAS & J. COURTÈS, Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979, p.126. Cet ouvrage constitue l’une des références théoriques majeures de la sémiotique greimassienne : souvent mentionné par le présent travail, il y sera désigné par les initiales DRTL.

[2]Ce constat a engagé le sémioticien J. GENINASCA à distinguer nettement le « texte », qu’il définit comme le résultat de la lecture, d’un « objet textuel » qui est le texte considéré indépendamment de sa lecture (cf « Du texte au discours littéraire et à son sujet », in Le discours en perspective, Nouveaux Actes sémiotiques 10/11, 1990). La distinction proposée là nous paraît essentielle, dans une perspective sémiotique. Cependant on ne l’a pas reprise ici pour éviter d’alourdir la lecture du présent travail, déjà lesté par un certain nombre de termes incontournables du métalangage sémiotique. Il n’en reste pas moins que cette distinction demeure fondatrice, et devait être établie dès le début de cette Introduction.

[3] P. VALERY « Au sujet du Cimetière Marin », Variété III, Œuvres, tome I, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1959, p. 1507. Cf aussi Tel Quel : « Quand l’ouvrage a paru, son interprétation par l’auteur n’a pas plus de valeur que toute autre par qui que ce soit. Si j’ai fait le portrait de Pierre, et si quelqu’un trouve que mon ouvrage ressemble à Jacques plus qu’à Pierre, je ne puis rien lui opposer — et son affirmation vaut la mienne. Mon intention n’est que mon intention, et l’œuvre est l’œuvre ».

[4] On pense ici notamment à Martin Heidegger, Ludwig Wittgenstein, Hans-Georg Gadamer, Paul Ricœur, Francis Jacques, Jacques Derrida… On trouvera, par ailleurs, une approche philosophique simple, mais intéressante, de la parole dans le livre de G. GUSDORF, La parole, Paris, PUF, 1953.

[5] Une précision s’impose ici. L’opposition entre historique et énonciatif ne recouvre pas la différence faite par l’exégèse entre diachronie et synchronie. En débat avec une exégèse historique diachronique, la sémiotique a inauguré une approche synchronique des textes développée également depuis lors par d’autres types d’exégèse (rhétorique, narratologie…). Cependant la « synchronie » sémiotique s’ancre dans une perspective énonciative qui n’est pas assumée de la même façon par les autres approches synchroniques. Elles se réclament en effet d’un référent historique, comme l’indiquera le second moment de cette introduction.

[6] On donnera ici au terme « scientifique » une acception minimale : celle d’une démarche rigoureuse, c’est-à-dire capable de rendre compte de ses présupposés, de ses procédures et de ses visées, et dont les résultats peuvent être vérifiés au regard de ces éléments.

[7] La Conclusion du travail reviendra sur cette question d’une généralité de la perspective sémiotique, mais aussi des enjeux de son application aux textes bibliques.

[8] R. JAKOBSON, Essais de linguistique générale, Paris, Minuit, 1963, pp. 139-161, ou encore Paris, Seuil, 1970, chapitre « Linguistique et poétique », pp. 207-248, et notamment p. 214.

[9] Article « Structuralisme », Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (DRTL), p. 360.

[10] Greimas en rendait compte par ce slogan quelque peu provocateur, qui a accompagné la sémiotique naissante : « Hors du texte, pas de salut ! ».

[11] Ils s’y inspiraient notamment de la théorie structurale du langage développée par le linguiste danois L. HJELMSLEV dans l’ouvrage intitulé Prolégomènes à une théorie du langage, Paris, Éditions de Minuit, 1971. 12 Article « Sémiotique », DRTL, p. 339.

[12] Article « Sémiotique », DRTL, p. 339.

[13] Article « Sémiotique », DRTL, p. 345.

[14] Ce terme, « génétique », désigne une perspective de transmission pour ainsi dire « organique » : la lecture historique proposée ici cherche à comprendre comment la sémiotique a « poussé » au CADIR à partir du « germe » greimassien. Ce terme ne doit pas être confondu avec celui de « générativité », qui sera utilisé prochainement pour rendre compte de la parenté entretenue par la sémiotique greimassienne avec la grammaire générative de N. Chomsky.

[15] La sémiotique greimassienne a en effet eu une grande fécondité, dont atteste la pluralité et la diversité de ses héritiers. La perspective développée ici limitera cette présentation à la façon dont l’héritage greimassien a été assumé par le CADIR de Lyon.

[16] Fr. MARTIN, Pour une théologie de la lettre (Cogitatio Fidei, n° 196), Paris, Cerf, 1996, p. 65.

[17] L. PANIER, « Approche Sémiotique de la Bible : de la description structurale des textes à l’acte de lecture », in Ch. Berner et J-J. Wünenberger (éd), Mythe et philosophie. Les traditions bibliques, Paris, PUF, 2002, pp. 201-202.

[18] 18 Cette ouverture inaugurale du projet sémiotique explique l’existence, aujourd’hui, de sémiotiques différenciées développées dans des champs très divers : la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique, la mode… Le domaine universitaire de la sémiotique déborde ainsi très largement aujourd’hui le cadre des sciences du langage. Pour découvrir aisément l’application de la sémiotique au domaine pictural on lira avec profit les ouvrages de D. ARASSE, et en particulier – en guise d’initiation – un petit livre, paru dans la collection Folio, intitulé On n’y voit rien.

[19] Article « Discours », DRTL, p. 102.

[20] Article « Micro-univers », DRTL, p. 229.

[21] 21 V. PROPP, Morphologie du conte (Points n° 12) (1929), Paris, Seuil, 1965 & 1970. L. Panier note : « Chez Greimas, la sémiotique s’inscrit dans une double tradition : de réflexion linguistique d’une part (tradition structuraliste à partir de Saussure et Hjelmslev en particulier), et de recherche en ethno-littérature d’autre part (travaux de V. Propp sur les contes et travaux de Cl. Lévi-Strauss sur les mythes d’autre part). », L. PANIER, « Approche Sémiotique de la Bible : de la description structurale des textes à l’acte de lecture, op. cit., p. 199.

[22] L. PANIER, « Approche Sémiotique de la Bible : de la description structurale des textes à l’acte de lecture », op. cit., p. 206.

[23] La sémiotique décrit l’ « état » comme le rapport d’un « sujet » et d’un « objet » : ces termes doivent être entendus en un sens très large, l’objet étant, dans une perspective narrative, « ce qui a valeur pour un sujet ». Le « faire » se comprend là comme ce qui transforme l’état. L’examen solidaire des états et des actions permet à la sémiotique narrative de mettre en évidence les enjeux de valeurs dont ils sont porteurs et de les organiser relativement les uns aux autres. Pour plus de précision on se reportera à l’Annexe 2, mais aussi à la présentation de l’analyse narrative au Chapitre 1 du présent travail. Le retour sur ce postulat, fondateur pour l’analyse sémiotique, est l’une des caractéristiques du « schéma quinaire » dont s’inspire la narratologie. Cf Y. BOURQUIN – D. MARGUERAT, Pour lire les récits biblique (« Pour lire ») Paris, Cerf, 1998.

[24] La grammaire générative, développée à partir de 1957 autour des travaux de Noam Chomsky, cherche à décrire la possibilité, pour un sujet parlant, de former un nombre infini de phrases en utilisant des moyens en nombre fini. En accord avec ce modèle le projet sémiotique s’est rapidement infléchi vers le désir d’élaborer un modèle susceptible d’induire une approche générative de la signification.

[25] Article « Génératif (parcours) », DRTL, pp. 157-160. Cf aussi, A. HÉNAULT, Les enjeux de la sémiotique – 2 – Narratologie, sémiotique générale, Paris, PUF, 1983, p. 14. « Le modèle général de la mise en discours qu’est le parcours génératif apparaît comme une pyramide reposant sur sa pointe. Au niveau le plus profond, un minimum de formes dites « logiques » constituent le point de départ unique de toutes les complexifications qui seront nécessaires pour produire un quelconque message articulé. »

[26] L’ACFEB est l’Association Catholique Française pour l’Étude de la Bible.

[27] Le congrès de Chantilly, occasion de cette rencontre, a eu lieu en 1969. On peut faire remonter l’acte de naissance de la sémiotique à l’année 1966. C’est la date de parution du livre d’A-J GREIMAS Sémantique structurale, qui constitue le coup d’envoi de l’élaboration sémiotique de Greimas. Trois ans seulement se sont écoulés entre cette date et les débuts du développement de la sémiotique dans le champ de l’exégèse.

[28] J. DELORME, texte biographique inédit. Pour la période résumée ici, on se reportera avec profit à l’article « Sémiotique » rédigé par le même auteur dans L. PIROT, A. ROBERT, J. BRIEND & E. COTHENET Supplément au Dictionnaire de la Bible, Paris, Letouzey & Ané, 1992, pp. 281-336.

[29] Il s’agit essentiellement de Jean Delorme, fondateur et premier directeur du CADIR, et de Jean Calloud, avec qui s’est opérée cette fondation et dont la recherche a été décisive pour l’orientation des travaux du Centre.

[30] J. CALLOUD, « Le texte à lire », in Le temps de la lecture, exégèse biblique et sémiotique (Lectio divina n° 155), Paris, Cerf, 1993, p. 30-31.